Dirigés par des potentats offshores,
c’est-à-dire à la loyauté nomade et centrifuge, surfant sur deux, trois ou
quatre passeports, entourés de ministres incompétents et arrogants, les peuples
africains ont tout à craindre du siècle qui vient de s’ouvrir. Ils doivent
savoir que dépourvus de leadership compétent et dévoué à l’Afrique, le
continent se trouve sous la menace directe d’un nouvel asservissement. A
travers les évènements en cours au Congo, en Somalie, au Soudan, en Libye, au
Nigéria, en Côte d’Ivoire et au Mali, se dessine une stratégie qui rappelle
étrangement le XIXe siècle. C’est ici qu’il faut entendre, et surtout
comprendre ces mots du Pr Alain Berthoz, professeur honoraire de la Chaire de
physiologie de la perception et de l’action au Collège de France : « La mémoire du passé n’est pas faite pour
se souvenir du passé, elle est faite pour prévenir le futur. La mémoire est un
instrument de prédiction. » Mais c’est pourtant ici que pèchent les
sociétés africaines actuelles, et particulièrement leurs élites, par une
ignorance coupable de leur histoire et de celle de l’Europe et des Etats-Unis.
Il s’agit ici des vraies élites, pas des collabos de l’ordre esclavagiste qui
ont transformé nos écoles en fabriques de serfs. L’histoire est la vraie
matrice de l’intelligence prospective. Aussi, pour avoir la mémoire courte, les
Africains de ce temps sont-ils de piètres joueurs d’échecs. Face à la crise
actuelle du capitalisme qui accélère leur entrée en décadence, les Etats
d’Occident ont décidé de reconduire en Afrique et en Asie de l’Ouest, régions
qui monopolisent la quasi-totalité des ressources naturelles, une stratégie qui
leur avait été particulièrement bénéfique au XIXe siècle, la désorganisation
généralisée. En effet, le boom démographique, le boom éducatif et la prise de
conscience des peuples sont les forces qui, conjuguées avec des Etats solides,
risquent de rendre à ces deux régions, leur indépendance globale. C’est cette «
menace » que l’Occident entend contrer par la géopolitique du chaos, aidé en
cela par les forces les plus rétrogrades de ces deux régions : les primitifs
djihadistes et les zombies offshores. Cette manœuvre par le chaos, guerre
fourbe menée sous le masque de Tartuffe, se décline en deux pratiques : la
destruction des Etats et la razzia des ressources. La poursuite par l’Occident
d’une existence de gaspillage est à ce prix.
Nouvelle donne.
Unique acteur sur l’échiquier africain depuis
la chute du mur de Berlin, l’Occident pouvait se reposer sur les plans
d’ajustement structurel, les putschs et les trucages électoraux pour tenir en
laisse les Etats africains afin de spolier les richesses des peuples.
L’émergence des BRIC, qui a introduit de nouveaux acteurs dans la partie, et la
crise de 2008 ont changé la donne. Ces deux faits sont des tendances lourdes
dont il faut compendieusement indiquer les implications. Le pic du prix du
baril à 147$ en juillet 2008 et le krach boursier des subprimes deux mois plus
tard n’étaient pas les symptômes d’une crise conjoncturelle mais les
révélateurs d’un déclin structurel. Depuis quatre ans, en Europe comme aux
Etats-Unis, la désindustrialisation s’est étendue, la pauvreté s’est accrue, le
recul de la part du PIB en parité de pouvoir d’achat s’est poursuivi, la
sécession des rentiers de la finance s’est consolidée et le nombre de personnes
en grand âge a continué de croître. Ce sont là autant de constantes de longue
durée qui indiquent que les pays du Nord sont, pour ce siècle qui va,
lourdement engagés dans une décadence. L’essor de la Chine, du Brésil, de
l’Inde et le retour de la Russie, sont désormais un fait établi. Depuis 2009,
la Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique. Les Occidentaux
découvrent les délices de la concurrence. On rirait presque de lire un rapport
officiel où les autorités françaises se gendarment pour «en finir avec la
mondialisation déloyale ». Ah, bon ? Il y a de la déloyauté dans la
mondialisation ? Pourtant on nous avait assuré du contraire. Mais ce qui est
plus important, c’est que ces nouveaux acteurs présentent une approche
différente des échanges qui diversifie effectivement l’offre sur le marché
mondial. La concurrence de ces acteurs a ouvert aux Etats africains une marge
de manœuvre. La géopolitique du chaos est l’antidote à cette nouvelle
conjoncture mondiale. La colonisation sur le modèle du XIXe siècle étant
impossible – aucun peuple n’accepte aujourd’hui d’être dirigé par des étrangers
–, les impérialistes d’Occident, désormais affranchis du contrôle démocratique
de leurs peuples et en complicité avec des pays-commandites tels le Qatar, ont
opté pour la dislocation des Etats existants sur les territoires dont ils
convoitent les ressources. Cette destruction devant leur offrir comme unique
interlocuteur dans ces espaces, des potentats offshores conduisant en
contremaîtres des Etats-zombies ou des warlords incultes, cupides et violents
terrorisant des zones de non-droit. Cette tactique de la dislocation s’appuie
sur un triptyque : éliminer les chefs charismatiques et non malléables,
fomenter des « révolutions », rébellions et autres printemps, ou les subvertir
s’ils sont autonomes, et émietter les territoires des pays convoités.
...Pratiques anciennes
Sommes-nous à l’aube d’un nouvel esclavage ?
Cette question n’est plus d’actualité, elle est dépassée. Quand M. Zadi Kessy
dit à ses filleuls de l’ENSEA que pour les questions de revalorisation
salariale dans l’entreprise, ses pairs et lui ont les mains liées, car les
décideurs sont à Paris, Londres ou New-York. Sommes-nous encore libres ? Telle
est la seule question qui vaille aujourd’hui. Suis-je alarmiste ? Répondront
par l’affirmative ceux qui ont manqué, sur l’écran de l’histoire, l’épisode de
la colonisation. Je les invite à aller lire Le roi de Kahel, de Tierno Monénembo, hymne colonial qui, simple
hasard, a été couronné du prix Renaudot en 2008. En attendant, servons-nous de
la tragédie du Mali pour débusquer les esclavagistes et leurs complices, les
mêmes qui ont assassiné Lumumba, en projetant sur les évènements les lumières
de l’histoire. C’est à la suite et à l’instigation des grandes compagnies
capitalistes que les Etats européens ont de tout temps attaqué l’Afrique. Que
ce soit la Compagnies des Indes et du Sénégal, ou la Lloyds autrefois, ou
Areva, Monsanto, Nestlé, Shell et Goldman Sachs aujourd’hui, c’est la même
logique qui est en jeu. Bonnet blanc et blanc bonnet. Le capitaine d’industrie
est l’ex-futur ministre des affaires étrangères ou du département du commerce ;
et vice-versa. Vous en doutez ? Lisez les CV. Pas ceux de George W. Bush ou de
Condoleezza Rice, trop caricatural ; regardez pour les autres. Par exemple
celui de Christine Lagarde, qui a fait la leçon à nos députés. Pendant que vous
y serez, profitez pour consulter la liste du conseil d’administration de la
multinationale qui sévit près de chez vous ; vous serez surpris du nombre de
vieilles connaissances. Donc, il paraît que les Touareg, discriminés, ont
attaqué le Mali pour réclamer leur autonomie. C’est alors une guerre
d’indépendance ? Menée par 2% de la population ? Que nous répond l’histoire ?
Des mots d’une limpidité troublante : «
Kayor appartient au Damel dont je suis sûr, nous sommes entièrement liés
d’intérêt… Pour celui de Djollof dont le roi se nomme Bourba-Ouolof, je ne sçay
s’il me fera quelques difficultés, mais s’il ne veut pas s’arranger avec moy,
je luy ferai faire la guerre par Damel. Je leur ferai assez bien sentir leur
intérêt et je donnerai à Damel des présents de poudre et de balles afin de
l’engager à attaquer Bourba-Ouolof, je pourrois même lui fournir un détachement
et du canon de campagne ». Que l’histoire parle à travers la plume de M.
Charles Poncet, gouverneur de Gorée, informant en mai 1764, le ministre du
commerce français de son intention de susciter une guerre entre le Djollof et
le Kayor ne fait qu’apporter un surcroît d’éclairage. « Entièrement liés
d’intérêt » dit Poncet. Ah, oui ! C’est pour cela que les communiqués du MNLA,
pardon du Damel, sont donnés depuis… Paris, sur France 24 ? « Rien à voir, s’indigne l’universitaire
collabo offshore, inculte en histoire, la
France a volé au secours du Mali contre AQMI. » La bonne affaire ! Que
disait déjà La Fontaine au sujet des voleurs, de l’âne et de maître Aliboron le
troisième larron ? Ignorants aussi en histoire et en littérature, ces larrons
d’AQMI, pardon du GSPC, pardon du GIA, pardon du DRS, pardon… enfin ces larrons
de rebelles du Nord, qui ont cru pouvoir escamoter tranquillement l’âne.
Comment !? Vous dites… Tous ces sigles ne renvoient pas aux mêmes acteurs ? Ah,
bon ! Vous n’avez jamais entendu parler de poupées russes,
alors ?… Et vous avez cru à cette hénaurme farce
hollywoodienne du Global War on Terror ? Ou au fait que le MNLA, ce groupuscule
de trafiquants incultes convertis en rebelles, décide tout seul comme un grand,
d’avoir une « république » en plein cœur du désert, alors que rien de tel ne
s’est vu depuis le temps de Sounjata ? Hum… Il faut alors être admiratif devant
votre capacité de tolérance aux absurdités. Dans ce cas lisez The Dark Sahara du Pr Jeremy Keenan. Et
pourquoi, selon vous, l’armée malienne n’accompagne-t-elle pas Serval à Kidal ?
Parce que le MNLA doit légitimer la future Monusco, pardon Monusma. La mémoire
sert à prédire, on vous dit… Mais Poncet parle aussi d’autres choses. Il entend
lancer sa guerre préventive parce qu’il soupçonne le roi Bourba-Ouolof de
pouvoir lui faire « quelques difficultés » dans ses pillages, rapts et rapines.
Eh bien, l’histoire sans pitié, dessille les yeux des plus naïfs. Diocounda
Traoré – ou Haya Sanogo – n’est pas le descendant de Bourba-Ouolof. Le Mali ne
peut faire la moindre difficulté à quiconque veut s’emparer des richesses des
Maliens ou les réduire en esclavage. Les femmes transformées en esclaves sexuelles
et quotidiennement violées à Gao ou les mains coupées à Tombouctou sont triste-
ment exemplaires de cet état de fait. Cruelle, l’histoire poursuit qu’il en est
de même, du Sénégal, de la Guinée, de la Côte d’Ivoire, du Burkina, du Togo ou
du Niger. A quoi servent alors ces « armées » pléthoriques et obèses qui
obèrent nos budgets, interrogent les peuples africains inquiets ? La réponse se
trouve dans une dépêche publiée à Ouagadougou, l’autre jour : « La gendarmerie française vient d’achever
la formation d’une force spéciale chargée de lutter contre toute forme
d’insurrection. » L’insurrection, c’est l’action, pour un peuple, de se
révolter contre un pouvoir tyrannique. Ces « armées » ne sont donc pas
destinées à nous protéger contre des envahisseurs mais à nous empêcher de «
faire quelque difficultés » si l’on veut nous soumettre et nous exploiter.
Elles ne sont que les héritières de ces troupes de tirailleurs qui ravageaient
villes et hameaux durant la colonisation. Pour rendre la chose plus limpide,
regardons en Côte d’Ivoire où l’AFD (Agence Française du Développement), entre
deux accaparements de terres, aide le Damel à réhabiliter et à construire des
prisons. Cheikh Anta Diop nous avait prévenus, la sécurité précède le
développement, et sans intégration régionale, nous serons toujours à la merci
du premier aventurier venu.
Les dividendes du désordre
La géopolitique du chaos a pour projet de
perpétuer « les accords inégaux » et d’empêcher la Chine de pratiquer « une
mondialisation déloyale » en achetant les matières premières africaines à des
prix moins indécents. Je vois d’ici le sceptique ricaner : il n’y a aucun
profit pour qui que ce soit dans le désordre. Voilà un qui ne connaît pas
l’adage français qui dit que de la confusion naît l’opportunité. Mais, donnons
un exemple plus probant. Depuis que l’Onu, les Etats-Unis et les Européens ont
installé le chaos en Somalie, les thoniers espagnols, français, italiens et
autres, peuvent piller pour des millions d’Euro les ressources halieutiques de
ce pays. Bon, il faut être juste. Ces pays veulent bien payer les droits de
pêche, malheureusement il n’y a plus d’Etat. Comme c’est commode… « Mais c’est différent ici, il n’y a aucun
intérêt au Mali, un des pays les plus pauvre du monde, éructe, sur les plateaux
de médias complaisants, le même universitaire à gages. » Voici encore un
qui, comme l’autre (vous savez bien, l’anticancre) a raté une belle occasion de
se taire. C’est sans doute par téléportation que l’uranium d’Arlit se retrouve
en Alsace. Notre universitaire pédant ne sait pas ce qu’on appelle la sécurité
des voies d’approvisionnement. Il n’a jamais appris que Kidal est plus proche
de Niamey que de Bamako. Comment… ? Ce n’est plus de l’histoire, c’est de la
géographie ? C’est exact, mais Elisée Reclus nous a enseigné qu’il n’y a pas
trop de différence. Pour lui, l’histoire c’est de la géographie dans le temps
et la géographie de l’histoire dans l’espace. Dans géopolitique, il y a donc
géographie, vous savez, la science qui sert, d’abord, à faire la guerre (si
l’on en croit Yves Lacoste), et les géographes dressent des cartes, et tout le
monde sait que les cartes sont très bavardes, surtout les cartes géologiques.
Ainsi, celles de l’Azawad racontent qu’au-dessous du désert il y a de
l’uranium, et aussi beaucoup d’or, et un peu de pétrole. D’autres cartes
murmurent même que plus bas encore se trouvent une gigantesque nappe d’eau
fossile qui semble s’étendre sous tout le sahel, jusqu’en Somalie. Et voilà
pourquoi votre fille est muette, Madame !
Laissons le Mali, où la géopolitique du
chaos, toujours en cours, est pour l’instant trop éblouissante pour la majorité
des experts autoproclamés, et où des populations flouées acclament de
Tombouctou à Bamako des pompier-pyromanes, et parlons du Libéria, où les
projecteurs ont été éteints. Vous savez bien, le Libéria, ce pays qui a connu
une sanglante « guerre civile », et dont on a déporté l’ancien dirigeant à la
Haye pour qu’il y endosse le rôle de premier président déféré devant la CPI. Le
Libéria où séjourne depuis plus d’une décennie une force étrangère qui
transforme le pays en protectorat. Que dit l’histoire à ce sujet ? Pour être
éclairé, parcourons quelques centaines de kilomètres vers l’Est, allons dans le
royaume d’Abomey, dans les années 1815. Le prince Gankpé, qui prendra le nom de
règne de Gézo, excédé d’attendre son sur le trône, lance une rébellion contre
le roi Adandozan, « monarque jugé tiède au sujet de la Traite négrière ». En
1818, à l’issue d’une guerre brutale, Gankpé renverse le souverain légitime et
prend le pouvoir, aidé par le Portugais Francisco Félix da Souza alias Cha-Cha
dont le titre officiel est « protecteur des intérêts économiques liés au
commerce atlantique ». Cela a le mérite d’être clair. Ceux du XIXe siècle ne se
cachaient pas derrière d’hypocrites « Haut représentant du… », ou « Médiateur
spécial de… ». Victorieux, Gézo lance une lutte « sanglante contre les fils
d’Adandozan dont la plupart furent pourchassés et exécutés. Les fameuses
amazones, guerrières restées fidèles au roi, sont décimées. Les annales royales
sont manipulées pour présenter Adandozan comme un souverain déchu pour
incompétence, et de ce fait, gommé de la généalogie royale. » Voici comment on
livre un pays à la colonisation.
Mais revenons au présent, revenons au
Libéria. N’est-ce pas là que des dirigeants offshores ont vendu le quart des
terres du pays à des multinationales vampires, lesquelles ont créé de
gigantesques plantations d’hévéa et de palmiers à huile, comme au bon vieux
temps de Saint-Domingue, où triment les nègres descendants de ceux ayant
accueillis des esclaves affranchis, sous la féroce garde de milices privées
dénommées, en novlangue : sociétés de sécurité ? D’ailleurs, pourquoi je
parle de la paille qui est dans l’œil du voisin ? Sans doute à cause de la
douleur causée par la poutre dans le mien. Il paraît que ce sont les
propriétaires de l’Olympique de Marseille qui vont nous apprendre à cultiver le
riz maintenant. Quelle injure à la mémoire d’Houphouët ! Nous n’avons pas
attendu la bande à Dreyfus pour savoir comment être autosuffisants. Mais qui a
dissout la SORIZCI ? Et puis, quelle ineptie que de transformer toute la savane
allant de Boundiali à Odienné en rizière. Sauf si l’on veut provoquer un
écocide. Que les négriers d’autrefois se parent aujourd’hui du label
d’investisseurs change-t-il le mal qu’ils causent ? Donc, nous disons ici
solennellement à tous ceux qui sont en train de s’accaparer ainsi nos terres,
quels que soient les contrats que vous signerez avec les autorités du moment, Assemblée
comprise ou pas, le peuple ivoirien ne reconnaîtra jamais ces accords.
Dr
Abdoulaye Sylla, Université de Cocody (in L’éléphant déchaîné 8-11 février 2013)
en maraude dans
le web
Sous
cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui
ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et
des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la
« crise ivoirienne ».
Source
: CIVOX. NET 11 Février 2013
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