lundi 4 février 2013

Libérer Dieu

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du cœur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas…

Louis Aragon (la rose et le réséda)

Dans son Conseil à la France désolée, Sébastien Castellion s’adressait ainsi à Jean Calvin : « Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. » Nous en sommes donc encore à ce triste stade de la préhistoire de la pensée et de la foi. Au désolant stade du croyant-pyromane.
Au stade de ce que le Sage Hampâté Bâ, disciple de Tierno Bokar de Bandiagara, appelle la « foi solide ». La foi dure et brute, la foi sauvage qui fait des ravages. Administrer des coups de fouet, couper des bras, détruire le patrimoine culturel des peuples, haïr, tuer des hommes … au nom de Dieu ! Je demande : au nom de quoi le croyant, tout croyant, peut-il raisonnablement s’approprier et confisquer Dieu? Au nom de quelle vérité ou de quelle révélation, Dieu devrait-il être la chasse gardée d’une religion particulière (le Judaïsme, le Christianisme, l’Islam) ou d’une obédience particulière de chacune de ces religions ? Dieu – au nom de qui la haine universelle est répandue – n’est-il pas universel ? N’est-il pas pour tous et ne parle-t-il pas à tous et à chacun, quand Il veut, où Il veut et comme Il veut ? Pourtant, qui a lu Jésus et entendu Mahomet, celui-là se détournera du fanatisme et de l’intolérance. Celui-là quittera le chemin de la haine et œuvrera à une société de convivialité, à une philosophie de l’harmonie avec l’autre et avec la nature. Parce que la vérité religieuse n’est nulle part entière. La religion n’est ni l’Algèbre ni la Géométrie. C’est la sphère de la croyance, de l’opinion, de la Foi. Et la foi se partage avec l’autre, elle ne s’impose pas à l’autre. Voltaire affirme dans ses Lettres philosophiques : « Il est clair que tout particulier qui persécute un homme, son frère, parce qu’il n’est pas de son opinion, est un monstre.  Et d’ailleurs, pourquoi vouloir imposer mes raisons à l’autre ? Pourquoi ne pas disposer, comme dit si bien Kant, mes oreilles à entendre les raisons du contraire ? Ne sommes-nous pas tous sujets à la mutabilité et à l’erreur ? Si oui, alors il y a nécessité et même urgence à (se) tolérer. A comprendre enfin que chacun de nous est libre de croire ou de ne pas croire, de penser ce qu’il veut, de dire ce qu’il pense dans le respect de la dignité de l’autre et des lois de l’Etat.
Ce qu’il faut enseigner, c’est que toute religion est une voie vers la santé de l’âme. Si, comme le dit Jésus, c’est au fruit qu’on reconnaît l’arbre, alors on reconnaîtra la bonne religion au modèle de vie qu’elle propose, à l’hygiène de vie qu’elle nous impose, en nous débarrassant de toutes nos impuretés. Ce qu’il faut enseigner, c’est que la véritable guerre sainte ne consiste pas, au nom de Dieu, à tuer l’autre, mais à tuer en nous tout ce qui peut m’éloigner de l’autre car, homo homini deus est. Tuer l’homme, fût-ce au nom de Dieu, est un crime. Et quel crime n’éloigne pas de Dieu ? Quel crime pourrait rapprocher de Dieu ?
Qu’y a-t-il de sain et de saint dans l’acte de tuer et de détruire l’autre. Ce qu’il faut enseigner, c’est que le vrai serviteur de Dieu ne parle pas le langage des bombes comme il sait aussi se méfier des bombes qu’amorce le mauvais usage du langage. Le bon usage de Dieu, c’est de ne pas en faire usage contre son frère. Platon n’a pas été exporté et imposé à la pointe de l’épée. Pourquoi Jésus et Mahomet devraient-ils être imposés au monde à coups de bombes et de roquettes ? En matière de religion, le champ de bataille ne saurait constituer une source et une preuve de vérité. Dieu n’appartient ni à un camp ni à un clan. Il ne doit être l’otage de personne. Ni de la religion qui ne lui rend plus le service qu’Il exige d’elles. Ni de nos religions qui ne rendent plus service à la religion. Ni des religieux qui ne font guère plus honneur aux Saintes Ecritures.
Voilà pourquoi il faut, pour reprendre ad litteram Paulin Hountondji, « libérer Dieu ». Libérer Dieu de tous ceux qui l’ont pris en otage. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a point de contrainte en religion. Le Coran le dit. Qu’on ne s’y méprenne pas. Je ne m’adresse pas dans ces lignes à tous ces fous de Dieu, d’ici et d’ailleurs, pauvres prisonniers de la Caverne de la haine, de l’intolérance et de l’ignorance. Non, je parle aux jeunes générations, d’ici et de partout, à qui nous avons la charge de transmettre des valeurs. « La science chasse l’ignorance mais ne chasse pas un esprit qui a mal tourné », dit la sagesse orientale. Dieu ne divise pas. Il rassemble. Il lie et réconcilie ; l’homme avec lui-même, l’homme avec les autres hommes. Celui qui croit en Dieu ne nuit pas. Cela veut dire qu’il ne porte pas la nuit en lui. Il est Lumière…

Dr Simplice Dion Yodé


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Source : Fraternité Matin 04 Février 2013

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