Une contribution de Jean-Claude DJEREKE
La Vie et demie, avant de devenir le titre d’un roman, est le nom d’un hôtel où Chaïdana occupe la
chambre 38. Que se passe-t-il dans cette chambre ? C’est plusieurs pages plus loin que l’on a la réponse à cette question. Au
commencement du roman, Sony Labou Tansi nous apprend que nous sommes dans la
république de Katamalanasie. Mais s’agit-il vraiment d’une république au sens où ce mot est employé par
Montesquieu pour qui « tout serait perdu si le
même homme, ou le même corps, exerçait ces trois pouvoirs : celui de
faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de
juger les crimes ou les différends des particuliers » (cf. L’Esprit des lois, 1748) ? Non ! Ce qui est décrit ici
ressemble plutôt à une monarchie car, dans ce pays imaginaire, le guide
providentiel est l’homme à tout faire, dirige d’une main de fer, nomme et dégomme
qui il veut, arrête, emprisonne et torture ceux qui ne sont pas d’accord avec lui. Tel est le cas de
Martial, le principal opposant. Celui-ci finira par être assassiné. Et son
corps sera atrocement mutilé. Chaïdana, sa fille, cherchera à venger sa
mort.
Comment s’y prend-elle ? Quelle stratégie
met-elle en place pour atteindre son objectif ? Sachant que les collaborateurs
du guide (ministres, généraux et colonels) sont friands des « belles
femmes en dessous de vingt-cinq ans », la belle Chaïdana décide de séduire
et de coucher avec chacun d’entre eux dans sa chambre d’hôtel. « Je suis un produit de
leur main : je les aurai tous », jure-t-elle en effet. Mais Chaïdana n’est pas une prostituée ordinaire. Ce
qu’elle fait dans la chambre 38 de « La
vie et demie », ce n’est pas d’abord pour gagner de l’argent mais pour punir le régime qui
a tué son père. Elle ne se contentera donc pas d’offrir son joli corps à ses clients. Elle leur donnera
aussi la mort en leur faisant consommer du champagne empoisonné. Trente-six des
cinquante ministres de la Katalamanasie mourront de ce champagne spécial.
L’un des messages que l’écrivain congolais veut faire
passer, ici, c’est que ceux qui se croient forts ne
sont pas invincibles et que, si les faibles le veulent, ils peuvent toujours
trouver des voies et moyens pour leur faire payer leur cruauté. Récemment,
Obama a laissé entendre que la Russie n’était qu’un petit pays. Possible que le pays de Poutine n’ait pas autant de moyens militaires
que les États-Unis. N’empêche que, avec intelligence, il a
réussi à chasser d’Alep (Syrie) les rebelles « modérés »
soutenus par Obama, Hollande, Cameron et Cie.
Publié en 1979 chez Seuil (Paris), le roman La Vie et demie ne
se montre guère tendre avec les pouvoirs africains, 20 ans après les
indépendances. Labou Tansi y exprime le désenchantement de tous ceux qui
avaient cru qu’être député, ministre ou président
de la République signifiait servir ses compatriotes sans discrimination,
construire son pays comme les Blancs construisent les leurs, promouvoir l’intérêt général. Nous sommes en 2016
et, excepté des pays comme le Ghana, le Botswana ou la Tanzanie, le pouvoir
continue d’être perçu ici et là comme un
instrument d’enrichissement personnel et d’oppression. De plus, nombre de
personnes ayant une parcelle d’autorité et rétribuées avec l’argent du contribuable sont plus préoccupées d’accumuler femmes, voitures et villas
(même si on n’a jamais vu un homme dormir dans
deux maisons en même temps) que de servir humblement et efficacement ceux à qui
elles doivent leurs postes et titres. On est alors tenté de croire que nos pays
ne sont pas si différents de la Katamalanasie de Sony Labou Tansi et qu’ils sont condamnés à patauger dans
la médiocrité. Nous ne devrions pas céder à une telle tentation pour la bonne
et simple raison que Jerry John Rawlings a brillamment démontré qu’on peut changer le destin d’un pays et que la corruption, la
dictature, le laisser-aller ou les coups d’État ne sont pas une fatalité. Comment a-t-il
transformé l’ex-Gold Coast ? En mettant ses
compatriotes au travail, en sanctionnant ceux qui désobéissaient aux lois.
Bref, Rawlings est parvenu à stopper la pagaille qui tuait le Ghana à petit
feu. Avant son arrivée au pouvoir, le pays ne marchait pas bien, il était si
mal en point que les Ivoiriens avaient inventé l’expression « être tombé comme le Ghana ».
Mais, une fois aux commandes, Jerry Rawlings a redonné au pays un nouveau
visage et aux Ghanéens leur fierté non seulement en usant de fermeté mais en
donnant lui-même l’exemple du travail bien fait, de la
justice et du respect des lois de la République. Le désespoir est la pire des
choses qui puisse arriver à un être humain ou à un peuple.
Autrement dit, celui
qui n’espère plus est déjà mort. Or,
déclare Cicéron, tant qu’il y a la vie, il y a l’espoir (« Dum spiro, spero »). Parce qu’elle était convaincue que rien n’est définitivement perdu tant qu’on est en vie, Chaïdana ne baissa
pas les bras après que son père fut assassiné par le guide providentiel. Elle
ne songea pas non plus à collaborer de quelque manière que ce soit avec le
dictateur sous prétexte qu’il était trop fort et qu’on ne pouvait rien contre lui. Elle essaya plutôt de poursuivre le combat
commencé par son père, finit par trouver, à force de chercher, la meilleure
manière de détruire ce régime totalitaire et violent. Nulle part, dans le
roman, on ne la voit résignée ni silencieuse. Peut-être avait-elle compris que « nos vies commencent à se terminer le
jour où nous devenons silencieux à propos des choses qui comptent »
(Martin Luther King).
L'auteur |
J.-C. Djereke
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