vendredi 9 décembre 2016

LA DÉCLARATION DE LA HAVANE

La Première déclaration de La Havane, discours de Fidel Castro,
Place de la Révolution, 2 septembre 1960
Auprès du monument de José Marti et sous le signe de sa mémoire, à Cuba, territoire libre  d'Amérique, le peuple, en vertu des pouvoirs inaliénables découlant de l'exercice effectif de la souveraineté, exprimé par le suffrage universel, direct et public s'est constitué en Assemblée nationale.
En son nom propre, et comme interprète du sentiment des peuples de notre Amérique, l'Assemblée nationale du Peuple de Cuba :
1. Condamne en tous ses termes la dénommée « Déclaration de San José de Costa Rica », qui est un document dicté par l'impérialisme américain et attentatoire à l'autodétermination nationale, à la souveraineté et à la dignité des peuples frères du continent.
2. Condamne aussi énergiquement l'intervention ouverte et criminelle exercée pendant plus d'un siècle par l'impérialisme nord-américain contre tous les peuples de l'Amérique Latine, qui, plus d'une fois ont vu leur sol envahi au Mexique, au Nicaragua, eu Haïti, à Saint Domingue ou à Cuba ; que la voracité des impérialistes yankee a dépouillé des régions étendues et riches comme le Texas, des centres stratégiques vitaux comme le canal de Panama, des pays entiers comme Porto-Rico convertis en territoire occupé ; enfin, auxquels l'Infanterie de Marine a fait subir un traitement ignominieux, s’attaquant aussi bien à nos femmes et à nos filles qu'au plus haut symbole de l'histoire nationale, tel le monument de José Marti.
Cette intervention, appuyée sur la supériorité militaire, sur des traités inégaux et sur la soumission misérable des gouvernements traîtres à leur peuple, a fait tout au long de plus d'un siècle, de notre Amérique, celle-là même que voulaient libre les Bolivar, Hidalgo, Juarez, San-Martin, O'Higgins, Sucre, Tiradentes et Marti -- une zone d'exploitation, une chasse gardée pour l'empire financier et  politique des Etats-Unis, enfin une réserve de votes dans les organismes internationaux où les pays latino-américains ont fait figure de moutons de Panurge du « Nord agité et brutal qui nous méprise » (José Marti).
L'Assemblée nationale du Peuple déclare que pour les gouvernements qui officiellement assument la représentation des pays d'Amérique Latine, accepter cette intervention continue et historiquement irréfutable c'est trahir l'idéal d'indépendance de leurs peuples, effacer leur souveraineté et empêcher une authentique solidarité entre nos pays, ce qui oblige cette Assemblée à répudier pareille intervention au nom du peuple cubain, porte-parole de l'espérance et de la résolution des peuples latino-américains, et interprète des accents libérateurs des héros immortels de notre Amérique.
3. L'Assemblée nationale du Peuple repousse également la tentative de maintenir la Doctrine de Monroe, utilisée jusqu'à présent, selon la prédiction de José Marti, « pour étendre la domination en Amérique » des impérialistes rapaces, et mieux inoculer le venin dénoncé aussi en son temps par José Marti, « le venin des emprunts, des canaux et des chemins de fer… », c'est pourquoi, face à l'hypocrite panaméricanisme qui n'est qu'une hégémonie des monopoles américains sur les intérêts de nos peuples et une mainmise yankee sur des gouvernements agenouillés devant Washington, l'Assemblée du Peuple Cubain proclame le latino-américanisme libérateur qui vibre chez Marti et Benito Juarez. En même temps, offrant son amitié au peuple des Etats-Unis, ce peuple de noirs lynchés, d'intellectuels persécutés, d'ouvriers contraints d'accepter la direction des gangsters -- elle réaffirme sa volonté de marcher la main dans la main avec le monde entier et non avec une partie du monde.
4. L'Assemblée nationale du Peuple déclare que l'aide offerte spontanément par l'Union Soviétique à Cuba, dans l'hypothèse que notre pays serait attaqué par les forces armées impérialistes, ne saurait être considérée comme un acte d'ingérence, mais constitue de toute évidence un acte de solidarité. Cette aide offerte à Cuba en prévision d'une attaque imminente du Pentagone, honore autant le gouvernement de l'Union Soviétique que les lâches et criminelles agressions contre Cuba déshonorent le gouvernement des Etats-Unis. Par conséquent, l'Assemblée générale du Peuple déclare à la face de l'Amérique et du monde, son acceptation et sa gratitude pour l'appui des fusées de l'Union Soviétique dans le cas où son sol serait envahi par des forces militaires des Etats-Unis.
5. L'Assemblée nationale du Peuple de Cuba nie catégoriquement l'existence d'une quelconque prétention de la part de l'Union Soviétique et de la République populaire de Chine « d'utiliser la position économique, politique et sociale de Cuba pour briser l'unité continentale et mettre en péril  l'unité de l'hémisphère ».
Du premier au dernier coup de fusil, du premier au dernier de, vingt mille martyrs tombés dans le combat pour renverser la tyrannie et conquérir le pouvoir révolutionnaire, de la première à la dernière loi révolutionnaire, du premier au dernier acte de la Révolution, le peuple de Cuba a pris toutes ses décisions lui-même dans une liberté totale et absolue. Par conséquent on ne pourra jamais accuser l'Union Soviétique et la République populaire de Chine de l'existence d'une Révolution qui est la juste réponse de Cuba aux crimes et aux injustices instaurés par l'impérialisme en Amérique. Au contraire, aux yeux de l'Assemblée du Peuple Cubain ce qui met plutôt en péril la paix et la sécurité de l'hémisphère et du monde c'est la politique d'isolement et d'hostilité envers l'Union Soviétique et la République populaire de Chine préconisée par le gouvernement des Etats-Unis et imposée par lui aux gouvernements de l'Amérique latine, comme aussi la conduite belliqueuse et agressive du gouvernement américain et son opposition systématique à l'entrée aux Nations Unies de la République populaire chinoise, bien que celle-ci représente la quasi-totalité d'une nation de plus de six cent millions d'habitants.
Par conséquent, l'Assemblée nationale du Peuple de Cuba ratifie sa politique d'amitié envers tous les peuples du monde, réaffirme son intention d'établir des relations diplomatiques également avec tous les pays socialistes et dès cet instant en vertu de sa volonté souveraine et libre, informe le gouvernement de la République populaire de Chine qu'elle est d'accord sur l'établissements de relations diplomatiques entre les deux pays et que par suite sont abolies les relations conservées jusqu'à ce jour par Cuba avec le régime fantoche maintenu à Formose par les vaisseaux de la Septième Flotte américaine.
6. L'Assemblée nationale du Peuple réaffirme, sûre en cela d'exprimer un avis partagé par les peuples de l'Amérique Latine, que la démocratie n'est pas compatible avec l'oligarchie financière, avec l'existence de la discrimination du noir et les excès du Ku-Klux-Klan, avec la persécution qui destitua des savants comme Oppenheimer, qui interdit durant des années au monde d'entendre la voix merveilleuse de Paul Robeson prisonnier dans son propre pays, et qui livra à la chaise électrique les époux Rosenberg au milieu des protestations et de l'horreur du monde entier et malgré les appels à la clémence lancés par les gouvernants de divers pays et par le Pape Pie XII.
L'Assemblée nationale du Peuple exprime la conviction des Cubains que la démocratie ne saurait consister uniquement dans l'exercice d'un vote électoral presque toujours fictif et utilisé par les grands propriétaires et les politiciens professionnels, mais plutôt dans le droit pour les citoyens de décider de leur propre destin ainsi que le fait en ce moment cette Assemblée du Peuple. La démocratie en outre, n'existera en Amérique Latine que le jour où les peuples seront réellement libres de choisir, et que les humbles ne seront pas réduits à la plus abominable des impuissances par la faim, l'inégalité sociale, l'analphabétisme et les systèmes juridiques d'oppression.
C'est pourquoi l'Assemblée Nationale du Peuple condamne :
     les latifundia sources de misère pour le paysan et système rétrograde et inhumain de production agricole ;
     les salaires de famine, l'inique exploitation du travail humain par les intérêts illégitimes et privilégiés ;
     l'analphabétisme, le manque d'instituteurs, d'écoles, de médecins et d'hôpitaux, comme le manque de protection pour les vieillards, qui caractérise les pays d'Amérique ;
     la discrimination du noir et de l'indien ;
     l'inégalité et l'exploitation de la femme ;
     les oligarchies politiques et militaires qui maintiennent nos peuples dans la misère, empêchent leur essor démocratique et le plein exercice de leur souveraineté ;
     les concessions des richesses naturelles de nos pays aux monopoles étrangers comme étant une politique d'abandon et de trahison des intérêts des peuples ;
     les gouvernements qui restent sourds à la voix de leur peuple pour s'incliner devant les ordres de Washington ;
     le fait de tromper les peuples par des organes de diffusion inféodés à l'intérêt des oligarchies et à  la politique de l'impérialisme oppresseur ;
     le monopole des informations détenu par les agences des U.S.A., véritables instruments des trusts américains et de Washington ;
     les lois répressives qui interdisent aux ouvriers, paysans, intellectuels, aux grandes masses de chaque pays de s'organiser et de lutter pour leurs revendications sociales et nationales ;
     les monopoles et entreprises impérialistes qui pillent continuellement nos richesses, exploitent nos ouvriers et paysans, qui saignent et maintiennent arriérés nos économies et soumettent la politique de l'Amérique Latine à leurs desseins et à leurs intérêts.
Enfin l'Assemblée Nationale du Peuple de Cuba condamne l'exploitation de l'homme par l'homme et l'exploitation des pays sous-développés par le capital financier impérialiste.
En conséquence l'Assemblée Nationale du Peuple de Cuba proclame à la face de l'Amérique :
     le droit du paysan à la terre, le droit de l'ouvrier au fruit de son travail ;
     le droit des enfants à l'éducation, le droit des jeunes au travail ;
     le droit des étudiants à un enseignement libre, expérimental et scientifique ;
     le droit des noirs et des indiens  à la pleine dignité de l'homme ;
     le droit de la femme à l'égalité civile, sociale et politique ;
     le droit des vieillards à une fin de vie assurée ;
     le droit des intellectuels, artistes et savants à lutter par leurs œuvres pour un monde meilleur ;
     le droit des Etats à nationaliser les monopoles impérialistes pour récupérer les richesses et ressources nationales ;
     le droit des pays au libre commerce avec tous les peuples du monde ;
     le droit des nations à leur pleine souveraineté ;
     le droit des peuples de transformer les casernes en écoles, et armer les ouvriers, paysans, intellectuels, étudiants, noirs, indiens, femmes, jeunes, vieillards, tous les opprimés et exploités, afin qu'ils puissent eux-mêmes défendre leur droit et leur avenir.
7. L'Assemblée nationale du Peuple de Cuba reconnaît le devoir pour les ouvriers, paysans, étudiants, intellectuels, noirs, indiens, jeunes, femmes, vieillards, de lutter pour leurs revendications économiques, politiques et sociales ; le devoir pour les nations opprimées et exploitées de lutter pour leur libération ; le devoir pour chaque peuple d'être solidaire de tous les peuples opprimés, colonisés, exploités ou victimes d'une agression, quel que soit le continent où ils se trouvent et la distance qui les sépare. Tous les peuples du monde sont frères !
8. L'Assemblée nationale du Peuple de Cuba est convaincue, que l'Amérique Latine se mettra en marche bientôt, unie et victorieuse, libérée des liens qui transforment son économie en richesse livrée à l'impérialisme américain et qui l'empêchent de faire entendre vraiment sa voix dans les réunions où les ministres bien stylés répondent honteusement en chœur au maître despote. Elle ratifie pour ce motif, sa décision de travailler à ce commun destin latino-américain qui permettra à nos pays d'édifier une solidarité véritable fondée sur la libre volonté de chacun d'eux, et sur les aspirations de tous. Dans la lutte pour cette Amérique Latine libérée, au milieu des voix serviles qui usurpent leur représentation officielle, s'élève maintenant avec une force irrésistible, la voix pure des peuples, voix surgie des entrailles des mines de charbon et d'étain, des usines et des sucreries, des terres féodales où les paysans misérables, rotos du Chili, cholos de Bolivie et du Pérou, gauchos d'Argentine, jibaros de Porto-Rico, héritiers de Zapata et de Sandino, saisissent les armes  de leur liberté, voix qui s'exprime en nos étudiants, nos femmes, nos enfants et nos vieillards sans  sommeil, voix qui résonne chez nos poètes et nos romanciers !

A cette voix fraternelle, l'Assemblée du Peuple de Cuba répond : Présent ! Cuba ne faillira pas. Cuba est ici aujourd'hui pour ratifier à la face de l'Amérique Latine et du monde comme un engagement historique son dilemme irrévocable : La Patrie ou la Mort.
9. L'Assemblée nationale du Peuple de Cuba décide que cette déclaration sera connue sous le nom de « Déclaration de La Havane »[1].

La Havane, Cuba, Territoire Libre d'Amérique, 2 Septembre 1960.

Cette Déclaration de La Havane a été lue et approuvée par l'Assemblée nationale du Peuple de Cuba tenue sur la place Marti à La Havane, Cuba, Territoire Libre d'Amérique, le deux septembre mil neuf cent soixante.

OSVALDO DORTICOS TORRADO, Président de la République.
FIDEL CASTRO RUZ, Premier ministre.

([1]) - La Déclaration de La Havane a été publiée dans le Journal officiel de la République de Cuba, édition extraordinaire spéciale du vendredi 2 septembre 1960, numéro 4.

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