Assa Traoré (au centre) la sœur d'Adama, mort le 19 juillet,
accompagné de
Youssouf et de Bagui, le 22 novembre 2016
devant la mairie de Beaumont-sur-Oise
(Val-d'Oise). JULIEN MATTIA / AFP
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Jugés mercredi pour menaces et violences
contre personnes dépositaires de l’autorité publique, les deux frères d’Adama
Traoré, mort en juillet lors d’une interpellation par la gendarmerie, ont été
reconnus coupables. Outre les huit mois de prison ferme et l’interdiction de
séjour à Beaumont-sur-Oise pour Bagui, les deux frères doivent payer 7390 euros
d’intérêts civils aux forces de l’ordre.
L’ironie est d’une terrible cruauté : dans la nuit du mercredi 14 au jeudi
15 décembre, Bagui Traoré, grand frère d’Adama Traoré, mort asphyxié le 19
juillet dernier face contre terre et menottes dans le dos dans la cour de la gendarmerie
de Persan (Val d’Oise), a été condamné à verser 5.740 euros de dommages et
intérêts aux six policiers municipaux et deux gendarmes parties civiles dans
son procès. Parmi eux, le commandant de la brigade de gendarmerie de Persan…
Reconnu coupable d’outrages, menaces et violences contre personnes dépositaire
de l’autorité publique, Bagui Traoré écope aussi d’une peine de huit mois
ferme, assortie d’une interdiction de séjour à Beaumont-sur-Oise, commune où se
trouve une grande partie de sa famille, dont sa mère avec qui il habite.
Cette condamnation aurait pu enflammer le quartier de Boyenval à
Beaumont-sur-Oise, qui a déjà vécu plusieurs nuits d’émeutes depuis la mort
d’Adama. Mais le sourire de Bagui a préservé la paix sociale ; un sourire
éclatant et lumineux lorsqu’il a su que son petit frère Youssouf, depuis trois
semaines à ses côtés en détention provisoire à la prison d’Osny, écopait, lui,
de trois mois de prison sans maintien en détention. « Vous êtes libre ce soir
», a signifié la présidente du tribunal au jeune homme de 22 ans, père d’une
fillette de huit mois, reconnu coupable des seuls faits de menaces et outrages.
Youssouf est aussi condamné à verser 1.650 euros d’intérêts civils aux forces
de l’ordre. A eux deux, les frères Traoré doivent donc 7 390 euros aux deux
gendarmes et six policiers municipaux. «
J’m’en fous de moi, c’est lui qui compte », lançait Bagui à travers son
beau sourire au public resté nombreux dans la salle d’audience jusqu’à cette
heure tardive de la nuit.
Le procès des deux frères Traoré, qui s’est tenu hier devant le tribunal de
Pontoise (Val d’Oise), était bien « hors norme » comme l’a qualifié l’avocate
des policiers et gendarmes, Me Caty Richard, dans sa plaidoirie. « Une
procédure de comparution immédiate malheureusement simple et ordinaire », pour
le procureur adjoint de Pontoise, Francois Capin-Dulhoste, qui oublie que
jamais les personnes poursuivies pour de tels faits n’ont droit à une audience
fleuve de onze heure, avec huit parties civiles présentes au procès (et en
uniforme s’il vous plait), onze témoins cités par la défense et autant entendus
durant l’enquête...
Les faits remontent au 17 novembre 2016, aux alentours de 20h45. La maire
UDI de Beaumont sur Oise, Nathalie Groux, souhaite mettre au vote du conseil municipal
une prise en charge par la municipalité des frais de justice pour sa plainte en
diffamation contre Assa Traoré. Cette dernière, accompagnée de sa famille et de
ses soutiens, décide de venir assister à la séance. Une « provocation » pour le
procureur adjoint. « Vous pensiez
sérieusement que vous seriez autorisés à assister au conseil municipal avec la
cinquantaine de personnes qui vous accompagnait ? », lance-t-il à Assa
Traoré, venue déposer à la barre comme témoin. « Vous pensez que ce n’est pas normal que j’assiste au conseil
municipal ?, lui répond, sans se départir de son calme olympien, la sœur d’Adama.
On a le droit d’y assister, comme tout citoyen. Surtout sur une question qui
nous concerne directement, puisqu’il s’agit de nos impôts. Je n’ai jamais
demandé à ce que tout le monde puisse entrer ».
Pour vérifier cette affirmation, la présidente du
tribunal a passé des heures à demander aux onze témoins cités par la défense
comment ils avaient eu l’information, au cas où la famille Traoré aurait eu
l’outrecuidance de pousser les Beaumontois à s’intéresser à la vie politique
locale... A une maman venue avec ses enfants :
- Vous pensiez que vous
pourriez rentrer dans la mairie avec vos enfants, la poussette, etc. ?
- Bah oui.
- Ça aurait été un peu
difficile…
- Ma grande étudie la démocratie locale en
ce moment à l’école, je me suis dit que ce serait instructif…
La fillette et son petit frère de huit mois gazés par les policiers
municipaux n’ont sans doute pas apprécié le cours d’éducation civique… Car les
choses dégénèrent rapidement. Pour l’occasion, tous les effectifs municipaux –
six policiers dont deux maitres chiens – sont mobilisés, accompagnés de
gendarmes en renfort. « Il y avait, en
tout, 47 membres des forces de l’ordre, a calculé l’avocate des frères
Traoré, Me Noémie Saidi-Cottier. Contre
une quarantaine de personnes, avec des poussettes et des personnes âgées ».
« Une foule hostile » d’après les policiers. Des gens « excédés » de se voir
refuser l’entrée de la salle du conseil, disent les témoins, qui reconnaissent
que les « insultes ont fusées ». Bagui Traoré aurait alors insulté et menacé
des agents puis donné un coup de poing à une policière municipale. Devant le
tribunal, il nie avec véhémence : « J’ai
rien fait de tout ça ». Confronté aux policiers et gendarmes, il finit par
exploser : « Ils portent les couleurs de
la France et ils mentent devant vous ! Y avait tout le quartier ce soir-là,
pourquoi y a que nous ici ? C’est un complot. Ils savent qu’ils vont avoir des
problèmes juridiquement, après la mort de mon frère, c’est pour ça qu’ils s’en
prennent à nous. Quand on a été emmenés en prison, un gendarme nous a dit : "Vous
êtes ici parce que votre sœur fait trop de bruit" ».
A au moins trois reprises, policiers municipaux et gendarmes font usage de
leurs grenades lacrymogènes …sans les deux sommations obligatoires. « Pour se
protéger », se justifient-ils à la barre. Mais leurs dépositions sur les faits
sont floues et contradictoires. La policière s’est pris un « coup de poing » ?
Elle n’a pas vu son agresseur. Pourquoi, alors, porter plainte contre Bagui ?,
s’étonne Me Bouzrou. « Un collègue m’a
dit que c’était lui ». Ce collègue en question se trouvait pourtant à
plusieurs mètres de la mêlée, au milieu des gaz lacrymogènes et a tenu à
modifier sa propre déposition le surlendemain des faits... L’autre policière
qui s’est fait cracher dans le dos ? Elle n’a pas vu les faits, mais a « très
bien entendu » et c’est le même policier municipal qui assure que Bagui est
l’auteur du crachat. La policière municipale qui a utilisé sa « gazeuse » ?
Elle voulait « protéger » son collègue victime de coups de pied, alors que
lui-même reconnaît qu’il n’a subit aucune violence. Quant au maître chien qui a
déposé plainte contre X pour violences, il a été mordu par son propre berger
allemand…
« C’est une enquête pourrie, minable,
bidon ! », tonne Me Yassine Bouzrou qui met en cause l’absence de perquisition,
d’auditions des élus de l’opposition et les « déclarations évolutives » des
forces de l’ordre. « Le doute profite aux prévenus » rappelle-t-il au tribunal.
« Il n’y a rien de tangible, aucun
élément probant », renchérit sa consœur Me Noémie Saidi-Cottier, qui
rappelle que Bagui Traoré, condamné douze fois, dont sept quand il était
mineur, s’est amendé depuis sa sortie de prison en 2013 : « Il est devenu père, gagne sa vie, aide sa mère, il est parfaitement
inséré ». Depuis la mort de son frère Adama, « il fait des cauchemars terribles, prend des médicaments ». « Il l’a
vu recousu et ne s’en remet pas ».
Mais pour le procureur adjoint François
Capin-Dulhoste, la défense, en faisant citer onze témoins à l’audience, a «
enfumé cette procédure » avec un « show à l’américaine ». Il requiert six mois
de prison contre Youssouf, dix pour Bagui, avec interdiction de séjour à
Beaumont pour les deux frères et maintien en détention. « Ça suffit, les amalgames sont insupportables, martèle-t-il. Ce ne sont pas des prisonniers politiques !
» Dans sa plaidoirie, l’avocate Noémie Saidi-Cottier lui répond : « Ce n’est pas un complot que nous craignons
aujourd’hui, c’est une erreur judiciaire ». Elle n’a visiblement pas été
entendue.
MARIE BARBIER
Source : HUMANITE.FR
15 décembre 2016
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