dimanche 31 juillet 2016

« NOS COMPATRIOTES SOUFFRENT ET LE DISCOURS OFFICIEL NE REFLETE EN RIEN LEURS PREOCCUPATIONS »

Interview de Danièle Boni-Claverie, présidente de l’Union pour la République et la Démocratie (URD), opposition.
Danièle Boni-Claverie (2e à partir de la gauche)
Bonjour Mme la présidente, l’actualité sociale est marquée ces temps-ci par la grogne sociale contre le prix élevé de l’électricité. Comment réagissez-vous face à cette situation ?
J’ai déjà eu à mettre l’accent dans mes diverses interventions sur la gravité de la situation. Je n’aime pas jouer au pyromane ni attiser les braises mais en cas de déflagration, nous devons tous être conscients que nous nous trouvons dans le même chaudron. Nous assistons aujourd’hui à un ras-le-bol généralisé, qui se nourrit de la dégradation du quotidien des Ivoiriens. Nos compatriotes souffrent et le discours officiel, en déconnexion totale avec la réalité ne reflète en rien leurs préoccupations. Le gouvernement comme à son habitude se gargarise de chiffres et de projections économiques mirobolantes sans mesurer l’immense détresse sociale de nos concitoyens. L’émergence dont on nous rebat les oreilles devient un repoussoir pour des personnes qui n’ont même pas le minimum vital. D’autre part, nous faire croire que nous serons émergents en 2020 est une tromperie. Les acteurs sérieux du développement n’évoquent une possibilité réelle d’émergence qu’en 2040. C’est ça la vérité. En ce qui concerne plus spécifiquement la CIE, même si cette dernière est seule responsable de sa mauvaise communication, ne nous trompons pas de cible. Contrairement au propos du porte-parole du gouvernement, la faute originelle n’est pas à imputer à la CIE, qui n’est qu’un vendeur d’électricité. C’est le gouvernement qui fixe les prix. C’est donc lui le responsable de cette situation. Il lui revient, après négociations avec la CIE, d’annuler simplement cette hausse si mal gérée qui n’aura été qu’un déclencheur. En effet, à ce mécontentement s’ajoutent beaucoup de frustrations et de rancœurs. Tant que la réconciliation n’est pas faite, nous sommes à la merci d’éruptions plus ou moins contrôlables.

Les partis politiques sont quand même censés contribuer au bien-être des populations, mais on a l’impression qu’elles sont abandonnées à elles-mêmes et que le combat contre la cherté de la vie n’intéresse pas les leaders politiques.
A mon avis, ce n’est pas exact de dire cela. Personnellement, depuis 2 ans, toutes mes prises de position prennent en compte régulièrement la misère sociale des Ivoiriens. En tant que parti politique, l’URD dénonce la politique du gouvernement et son impuissance à lutter contre la cherté de la vie. Faisons attention de ne pas confondre un parti politique avec un syndicat ou une association de consommateurs qui dans le cas présent constitue le cadre idéal pour revendiquer et mener des négociations. C’est ce qu’il se passe actuellement. Chacun a son rôle à jouer et le jour où nous prendrons le pouvoir, nous appliquerons notre programme pour réduire les inégalités sociales, lutter contre l’inflation, augmenter le pouvoir d’achat des ménages, subventionner les denrées de première nécessité, diminuer le coût des médicaments, etc.

Autre sujet de l’actualité, c’est la réforme constitutionnelle. Au-delà de vos déclarations contre le projet, que faites-vous concrètement ? Vous attendez tranquillement le referendum ?
Je me réjouis de ce qu’un débat ait pu s’instaurer malgré tout grâce à l’opposition, grâce à vous, la Presse, et grâce également à d’éminents juristes dont l’éclairage était indispensable. Nous avons ensemble tiré la sonnette d’alarme sur les dérives autoritaires et solitaires du président de la République. C’est vrai que nous faisons beaucoup de déclarations, et elles ne sont pas inutiles. Elles ont permis d’attirer l’attention de l’opinion publique sur un certain nombre d’anomalies qui nous paraissent inacceptables. Mais nous n’avons pas l’intention d’en rester là. Il ne s’agit pas d’un débat entre intellectuels, et nous sommes plusieurs partis de l’opposition à nous organiser pour nous rendre dans les grandes communes d’Abidjan et à l’intérieur du pays afin de sensibiliser nos parents sur l’impact d’une constitution sur le vécu de tout un chacun. Il est indispensable que tout citoyen de ce pays comprenne les enjeux en cours et s’approprie cet instrument fondamental qui lui permet d’exercer sa souveraineté.

Qu’allez-vous faire au cas où le projet tel que pensé par Ouattara est quand même proposé aux Ivoiriens ?
Nous ferons campagne pour le « non ». Ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît car une confusion est en train de s’installer dans les esprits. On entend dire souvent, « oui, nous allons boycotter le référendum ». Dans le cas d’espèce, il ne s’agit pas d’un boycott mais, au contraire, il faut que les Ivoiriens aillent massivement voter pour se prononcer sur leur devenir. De même qu’en 2000, ils ont voté massivement pour le « oui », de la même manière, nous allons les inciter à rejeter massivement ce projet de nouvelle constitution. Il faut que nos compatriotes comprennent qu’une constitution est le fondement sur lequel se bâtit une nation. C’est elle qui organise les pouvoirs publics, qui détermine l’exercice de nos libertés, et les propriétaires de la maison Ivoire doivent comprendre qu’ils ont leur mot à dire. Ce sera « non » à  la démarche solitaire du président de la République qui veut nous imposer sa volonté alors qu’il revient au peuple d’exprimer sa souveraineté.

Que proposez-vous dans le cadre d’une réforme constitutionnelle ?
Nous n’avons pas souscrit au désir du président de la République, qui nous demandait d’envoyer nos propositions au comité des experts, puisque nous récusons son rôle et réclamons la mise en place d’une assemblée constituante ou, à défaut, d’une grande commission consultative comme en l’an 2000, qui réunira toutes les forces vives de la nation. Le Chef de l’Etat, lorsqu’il a reçu l’opposition, n’a présenté aucun texte mais s’est borné à un exposé oral qui nous a situés sur les changements qu’il entend introduire et sur sa volonté d’instaurer une 3ème République. En tant qu’opposition, nous savons exactement ce que nous ne voulons pas. Le ticket président/vice-président ne présente aucun intérêt pour nous car il ne change en rien la nature du pouvoir mais se réduit à de simples préoccupations successorales. Il est également difficilement tolérable qu’au lendemain du référendum, avant les législatives, des mesures transitoires permettent la nomination d’un vice-président qu’on va faire adouber par le Parlement et qui exercera des prérogatives présidentielles déléguées par le chef de l’Etat sans être passé par le suffrage universel. A l’URD, notre réflexion nous amène à rechercher un rééquilibrage entre les pouvoirs publics et le Parlement pour mieux contrôler les activités du gouvernement. Nous souhaitons valoriser la fonction de contrôle de l’Assemblée nationale en augmentant, par exemple, le nombre des commissions permanentes, et en renforçant leurs capacités de régulation.

Comment va votre parti, l’URD ?
Le parti se porte bien. Nous résistons, nos militants sont actifs et nous continuons à animer nos coordinations et nos sections malgré les faibles moyens financiers mis à notre disposition. Nous sommes pénalisés par l’absence d’un siège, qui a été vandalisé en son temps par les FRCI, mais les cadres du parti sont encouragés par la fidélité de nos militants. Après la crise postélectorale, il y avait une chape de peur qui tétanisait nos adhérents et mettait un frein à leurs activités. Je constate aujourd’hui avec satisfaction que la peur est partie, et c’est vraiment un signe encourageant. Je reconnais que nous sommes un petit parti. Nous ne sommes pas forcément bruyants mais je crois pouvoir dire que nous apportons notre contribution et savons nous faire entendre quand il le faut.

Les différents états-majors des partis politiques se préparent activement pour les prochaines échéances électorales, notamment les législatives. L’URD a-t-elle des candidats ?
Oui, nous sommes en train de nous organiser. C’est pour nous une question de survie. Ne seront financés dans la prochaine législature que les partis ayant des élus au Parlement.

Envisagez-vous d’y aller seuls ou en synergie avec d’autres partis ou regroupements de l’opposition ?
Nous avons tout intérêt, au sein de l’opposition, à susciter des alliances pour nous donner le plus de chances de l’emporter. Tout sera étudié en fonction des réalités et nous nous allierons au cas par cas, selon les régions dans l’intention de faire gagner le mieux placé. C’est le réalisme qui doit nous guider.

Vous faites confiance à la CEI pour organiser des élections crédibles ?
Nous avons toujours dénoncé avec force le déséquilibre patent qui existe à la CEI en faveur du pouvoir. Je crois pouvoir dire que l’URD a été de tous les combats, même s’ils n’ont pas abouti. Actuellement, nous sommes très vigilants car le projet de nouvelle constitution a enlevé la commission [électorale indépendante] de la liste des institutions et nous sommes en droit de nous demander ce que cela peut bien cacher. Allons-nous revenir à des élections organisées par le ministère de l’Intérieur ? On ne peut pas effacer d’un revers de la main des acquis obtenus de haute lutte par l’opposition d’alors. Votre question est pertinente mais une lutte est un long processus. L’idéal démocratique se construit petit à petit et les acquis s’arrachent les uns après les autres. Il nous est apparu à l’URD que la solution n’était pas de tourner le dos au jeu politique mais d’y participer cette fois-ci. Nous n’avons pas voulu systématiser la politique de la chaise vide et nous allons appeler tous nos représentants dans les commissions électorales locales à être particulièrement vigilants.

Votre parti a signé avec 22 autres partis une déclaration pour demander le retrait du projet de constitution présenté par le chef de l’Etat. Est-ce le début de la mise en place d’une coalition de l’opposition pour être plus forts ou juste un rassemblement éphémère ?
Se retrouver au sein d’une coalition n’est pas chose aisée ; chaque parti a son agenda et des nuances existent entre les uns et les autres. C’est pourquoi, à mon sens, c’est une belle victoire que d’avoir réussi à ce que 23 partis puissent s’entendre sur une déclaration commune pour dénoncer la volonté du président de la République d’effectuer un passage en force avec son projet de nouvelle constitution. Nous avons la volonté de poursuivre des actions concertées sur des points qui nous rassemblent comme, par exemple, la réconciliation nationale, qui est en panne. Le passif de la crise postélectorale n’a pas été apuré et cela handicape sérieusement la cohésion nationale.

L’URD était membre de l’AFD, l’APN et aujourd’hui le CRED. Qu’est-ce qui explique la multiplicité de ces plateformes ? Dynamisme ou manque de cohésion au sein de l’opposition ?
Il faut plutôt y voir l’expression d’une volonté de se rassembler pour mieux se faire entendre. Comme ce sont des regroupements informels, nous avons toute latitude de créer ce qui nous convient le mieux à un moment précis. Nous avons quitté l’AFD parce que nous étions quatre partis qui demandions qu’une réflexion soit engagée avant la présidentielle, pour déterminer une stratégie électorale discutée et acceptée par tous. Cela n’a pas été fait, nous nous sommes quittés sans nous séparer puisque nous nous retrouvons aujourd’hui dans une même coalition. L’APN, quant à elle, s’est dissoute d’elle-même quand les partis qui la composaient ne se sont pas entendus sur leur non-participation aux municipales. Trois de ces partis se retrouvent maintenant dans le CRED. N’y voyez pas de l’inconstance ou de l’inconséquence mais plutôt la marque d’une vitalité de partis qui s’unissent pour être plus forts.

L’écrivain Bernard Dadié et l’ancien Premier ministre togolais Koffigoh ont initié, depuis le 22 juin dernier, une pétition internationale pour la libération de Laurent Gbagbo. Comment voyez-vous cette initiative ? Peut-elle contribuer à faire bouger les lignes ?
C’est une méthode de mobilisation qui a fait ses preuves dans le monde entier et je salue cette initiative de Bernard Dadié et Koffigoh, appuyée par le FPI du président Aboudrahamane Sangaré, car elle contribue à amplifier la notoriété déjà grande du président Laurent Gbagbo et va aider, nous l’espérons, à réparer l’injustice de sa détention et de celle de Charles Blé Goudé à La Haye. Je suis fière que les membres de mon parti soient associés à tous les démocrates d’Afrique et du Monde qui se mobilisent pour obtenir leur libération. C’est un vaste mouvement de résistance qui s’organise pour les ramener en Côte d’Ivoire, là d’où ils n’auraient jamais dû partir. Et le gouvernement montre sa fébrilité puisqu’il n’hésite pas à emprisonner des personnes dont le seul tort a été de faire signer cette pétition.

Simone Gbagbo est encore devant les assises pour crimes contre l’humanité après avoir été déjà condamnée à 20 ans de prison en 2015. Le constat est que 5 ans après la crise post-électorale, ce sont uniquement les pro-Gbagbo qui sont poursuivis par la justice. Dans ces conditions, peut-on imaginer que la réconciliation puisse être possible ?
La réconciliation telle qu’elle nous est présentée par le pouvoir n’est qu’un leurre. Elle a été mal enclenchée. Peu après son investiture, le président Ouattara s’était engagé à traduire en justice tous les responsables de la crise quel que soit leur appartenance politique ou leurs grades dans l’armée. Etc… Six ans après, la justice des vainqueurs prospère, un seul camp est indexé et les procès se succèdent qui veulent faire croire à l’opinion publique que tous les crimes de la crise reposent sur les seuls pro-Gbagbo. Le sentiment qu’on a est celui d’un acharnement particulier sur Mme Gbagbo et les dernières péripéties médicales qu’elle a subies ne sont pas faites pour nous rassurer sur les capacités de clémence de ce régime. Normalement, l’émergence vise à améliorer les conditions de vie des populations en s’appuyant sur une sécurité dont le rôle n’est pas simplement de réprimer mais aussi de protéger, de rassurer sur une bonne gouvernance, sur la consolidation de l’Etat de droit et sur une justice équitable. Or la détention du président Laurent Gbagbo, de Simone son épouse, de Charles Blé Goudé et de tous ces anonymes qui croupissent dans les prisons ne fait qu’aggraver les divisions, les animosités et un grand sentiment de frustration au sein des Ivoiriens. On aurait été en droit d’attendre d’un homme d’Etat, s’il veut être grand, qu’il ne se soustraie pas à sa fonction d’espérance et de justice.

Propos recueillis par Stéphane Bahi et Emmanuel Akani
Titre original : « Hausse du prix de l’électricité. Boni-Claverie : "C’est le gouvernement qui est responsable" ».


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Source : Le Nouveau Courrier 29 Juillet 2016

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