mardi 5 juillet 2016

Six mois après l’ouverture du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, aucun témoignage probant n'est venu conforter l’ac­cusation.


« Il n’y a aucun regret à avoir, la France a fait ce qu’elle avait à faire… »
Jean-Marc Simon (« Secrets d’Afrique », page 329)
Qu'est-ce qui se passe à la CPI où huis-clos, annulation d'audience et coups de tonnerre se multiplient ? Analyses des non-dits révélateurs des négociations qui se poursuivent en dehors de la cour pénale internationale. Les der­niers câbles français ayant montré que le dossier Gbagbo a été construit après coup, seule ne restait plus que la perspective de sortir de la confrontation par la préservation de l'image de cet instrument de l'Occident.
N’est-iI plus coupable et encore moins Charles Blé Goudé ? Les derniers câbles français sur le dossier Gbagbo ont montré que l’his­toire des preuves s'est écrite une fois que l'ancien président a été arrêté et qu'il n'a pas voulu négocier les conditions de sa reddition. En fait, à bien regarder, il s’agit du procès de la fameuse phrase « qui a gagné les élections ? ». Car le 6 avril 2011, le dossier de Laurent Gbagbo est encore vierge. Et même si la France et ses médias ont mis en place depuis des années une politique de diabolisa­tion à travers Rfi et IAFP, il s’agit encore d’obliger le président ivoi­rien à lâcher du lest en quittant le pouvoir. Dailleurs, ce 6 avril, l’entourage de Nicolas Sarkozy peine à expliquer aux parlementaires français quils rencontrent ce qu'il reproche de répréhensible au régime de Gbagbo, Parce que la communauté française en Côte d'Ivoire n'est pas prise à partie et que contrairement en 2004, rien ne menace la quiétude des Fran­çais de Côte d’Ivoire. La plupart d'entre eux refusent d'ailleurs de quitter leurs domiciles malgré l'in­sistance de l’ambassadeur accré­dité à Abidjan et ses douces menaces. C'est pourtant cette menace qui pouvait obliger les militaires français à intervenir en Côte d’Ivoire. Alors Paris choisit la délation. Gbagbo est ainsi accusé de s'en prendre à la population civile, d'être au pouvoir depuis dix ans, d'avoir dit « Trois mille morts à gauche, mille morts à droite, moi j'avance », ce qui est faux, etc. En re­vanche, aucun document, aucune vidéo d'attaques de civils par les FDS, rien.
Car des semaines plus tôt, les binationaux avaient essayé de rai­sonner leurs autorités pour les persuader de renoncer aux opérations militaires qui se sont préparées dans le plus grand secret en France. Pour cela, ils ont multiplié les réunions, s'exposant aux rodomontades de l’ambassadeur français Jean-Marc Simon, plus que jamais engagé aux côtés des rebelles. Les menaces de celui-ci ne sont plus rares. Les récalcitrants savent qu'ils risquent de ne plus se faire assister par la mère patrie dès le moindre pépin. Alors, beaucoup préfèrent en rester là. Et même si d'autres passent allégrement outre la consigne, c'est déjà très peu pour changer la réalité construite depuis des années par la France et ses médias.
Mais Paris na rien et lorsqu’il faut faire le bilan de ce qu'elle re­proche à Gbagbo qui lui vaut de faire face à une intervention mili­taire, Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères et Gérard Longuet de la Défense, balancent le genre d'accusations passe-partout que l'on reprenait systématiquement contre le régime. Aucune preuve n’est documentée, pas de vidéo, pas de photos de partisans de Ouattara pris à partie. Même le fameux article 125 n'est pas documenté. France 24 publie pourtant, à l'instigation d'une cadre du RDR, la photo d'un homme qui tente de se défaire de ses flammes. L’image passe en boucle. Les faits sont sensés se dérouler à Yopougon, fief de Gbagbo. L’homme en feu serait alors un militant du RDR mais c’est un faux. L'homme en feu est en vérité un Zimbabwe et l’événement en question s'est dérou en Afrique du Sud longtemps avant. C'est donc cette absence de preuve que paye la CPI qui a agi à la demande de la France et des Etats-Unis. Alors ces derniers jours, les choses s'accélèrent. Suffit de savoir lire entre les lignes. Car la CPI a toujours autant de mal à tenir le procès. Et six mois après son ouverture, aucun témoignage probant n'est venu conforter l’ac­cusation. On a même le sentiment que les témoins du procureur ont décidé de mettre à mal sa straté­gie, comme ce fut encore te cas avec le témoin P97. Finalement, on en est toujours à établir la matérialité des faits, ce qui éloigne de la perspective du plan commun qui impliquerait Laurent Gbagbo dans les crimes qui ont été com­mis. Alors une nouvelle théorie a commencé à voir le jour à la cour pénale internationale. Que dit-elle ?
Lors de la dernière conférence de mise en l'état, le juge italien de la CPI, Cuno Tarfusser, a remis les pendules à l'heure, insistant sur la nécessité de finir rapidement le procès en raison de la santé du président Laurent Gbagbo. C'est d'ailleurs la première fois que ce juge fait assaut d’humanité à l’égard de l'ancien président. L'épisode du refus d’appeler Gbagbo président est encore trop frais pour ne pas souligner ce changement. Et selon ce nouveau timing, tout devrait être achevé en août 2017. On est loin, à ce sujet, des prévisions apocalyptiques du début du procès qui nous en­voyaient jusqu'en 2020. Or ceci est loin d’être une phrase en l’air. Sur­tout dans ce contexte-ci justement rappelé ci-dessus. Bref, visi­blement la CPI se prépare à une sortie honorable de la confronta­tion entre elle et les deux diri­geants ivoiriens. Car après tout, les Occidentaux n'ont pas l'intention de bloquer l'avenir de la CPI, leur instrument contre de nombreux dirigeants. C'est ainsi qu'il faut également comprendre la levée des sanctions de la Suisse contre l'ancien président et toute sa fa­mille. Autrement dit, à quoi cela servirait ?

Sévérine Blé
Titre original : « Dossier Gbagbo, CPI, crise postélectorale : Ce que disent de nouveaux documents français ».
Source : Aujourd’hui 24 juin 2016

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire