SEM Vladimir Baykov |
Interview de
SEM. Vladimir Baykov, ambassadeur de la Fédération de Russie au journal
« L’inter »
Excellence
M. l’Ambassadeur, à quand remontent les relations entre la Russie et la Côte
d’Ivoire ?
Nous
avons une histoire assez longue. En 2017, nous célébrerons les 50 ans de
l’établissement de nos relatons diplomatiques. A l’époque, pour certaines
raisons politiques et idéologiques, l’ancien président ivoirien, Félix
Houphouët‐Boigny,
avait décidé de suspendre les relations diplomatiques entre Abidjan et Moscou.
Cette situation a duré
pratiquement dix-sept ans, puisqu’elle s’est
prolongée
jusqu’en
1986. Mais il est bien de souligner que c’est encore le président Houphouët‐Boigny qui a rétabli les relations bilatérales entre nos deux pays. Nous sommes
revenus il y a trente ans. J’ai
indiqué,
lors de ma récente
intervention, à
la célébration de la Fête nationale de la Russie, que nous
apprécions fortement le rôle joué par la Côte d’Ivoire à l’échelle
sous-régionale. La Côte d’Ivoire est un acteur important.
« Nous attachons une grande importance à la
formation des cadres au niveau de l’enseignement supérieur. »
Quel
état des lieux faites-vous de la coopération entre les deux pays ?
L’ex-URSS,
et maintenant la Fédération de Russie, a été aux côtés des Africains au moment
des indépendances. Nous avons fait beaucoup à l’époque pour la formation de
cadres venant des pays en voie de développement. Nous avons créé une université
spécialement consacrée à la formation des cadres africains : l’université
Patrice Lumumba. Ce sont là des observations de type général. Pour parler
spécifiquement de la coopération avec la Côte d’Ivoire, il faut l’envisager à
plusieurs niveaux. Nous attachons une grande importance à la formation des
cadres au niveau de l’enseignement supérieur. Des bourses sont octroyées par
l’Etat russe à la partie ivoirienne. Nous sommes autour d’une trentaine de
bourses pour cette année 2016, avec une possibilité d’augmenter le nombre de
candidats. Il existe aussi des cas de personnes disposées à financer par
elles-mêmes leurs études. En 2015, 120 personnes sont allées pour les études en
Russie à leurs propres frais. Ceci est très important pour nous parce que ce
sont des gens qui apprennent à parler russe, qui s’imprègnent de la culture
russe. Lorsqu’ils sont de retour en Côte d’Ivoire, ils deviennent, en quelque
sorte, des ambassadeurs de la Russie en Côte d’Ivoire. Je sais, par exemple,
que des anciens étudiants ivoiriens en Russie se sont organisés en association
pour promouvoir la coopération bilatérale entre les deux pays. Nous
encourageons ce type d’initiatives.
Qu’en
est-il du volet économique ?
Nous
essayons d’être présents dans les domaines pétrolier et minier, par exemple.
Actuellement, compte tenu de la conjoncture, nos entreprises ne sont pas très
enthousiastes. Une de nos entreprises pétrolières a décidé de suspendre ses
activités en Côte d’Ivoire. Il faut aller vers des projets qui permettent aux
deux parties d’avoir des avantages économiques mutuels. On ne peut pas, comme
cela s’opérait à l’époque soviétique, faire des calculs uniquement sur la base
idéologique. Ce n’est plus le cas. C’est donc dans cet esprit que nous
travaillons aujourd’hui avec nos partenaires ivoiriens. Nous n’ignorons pas que
le marché ivoirien est très concurrentiel. Il y a déjà de nombreux secteurs qui
sont dévolus aux partenaires traditionnels. Je ne crois pas que les partenaires
traditionnels en question nous attendent sur le marché ivoirien à bras ouverts.
Il faut se battre pour espérer avoir des marchés. Nous verrons avec la partie
ivoirienne quels pourraient être les mécanismes pour des concertations au
niveau industriel. Nous espérons avoir des échanges à ce niveau. Il faut qu’on
puisse savoir quelles sont les opportunités économiques afin de bien renseigner
nos autorités. Nous prévoyons donc des missions économiques. Pour l’année 2015,
nos importations, de la Côte d’Ivoire vers la Russie, se situent autour de 200
millions de dollars (environ 100 milliards FCFA). Pour ce qui est de nos
exportations, de la Russie vers la Côte d’Ivoire, on se situe autour de 42
millions de dollars (environ 21 milliards FCFA). Cela fait, en tout, moins d’un
quart de milliard de dollars. Ce n’est pas beaucoup, il y a un grand champ de
travail.
Il
n’y a pas que l’économie, Excellence M. l’Ambassadeur. Vous convenez que la
coopération peut se déployer également sur les plans culturel, touristique
voire sportif ?
Effectivement,
il ne faut pas négliger le domaine culturel, à travers des journées
d’expositions, par exemple. Je crois que le cinquantenaire de l’établissement
de nos relations diplomatiques sera l’occasion d’organiser un grand moment
culturel, tant en Côte d’Ivoire qu'en Russie. En matière de tourisme, j’avoue
que c’est assez compliqué, parce que nos deux pays sont très éloignés l’un de
l’autre, géographiquement. Ce n’est pas très évident qu’un touriste russe ordinaire
choisisse la destination Côte d’Ivoire. Il faut pouvoir le stimuler,
l’encourager. Il faut, dans le même temps, qu’il y ait plus de moyens de
communication et de transport. Il n’existe pas de ligne directe entre la Côte
d’Ivoire et la Russie. Le voyage se fait par correspondance. Mais si le secteur
du tourisme se développait et que la destination ivoirienne commençait à être
attractive pour les touristes russes, il serait possible d’envisager des vols
charters. C’est un travail qui demande des efforts des deux côtés. En ce qui
nous concerne, nous voudrions encourager la destination russe aux Ivoiriens,
surtout qu’il y a de nombreuses personnes en Côte d’Ivoire qui s’intéressent à
la Russie. Il y a beaucoup de découvertes à faire en Russie. La Russie, ce
n’est pas seulement Moscou. Il y a la Sibérie, avec le lac Baikal qui est la
plus grande réserve au Monde d’eau douce, etc. Sur le plan sportif, la Côte
d’Ivoire est mondialement reconnue, dans le domaine du football notamment. Nous
avons beaucoup de respect pour les sportifs ivoiriens. Nous prévoyons de
relancer les contacts avec les départements concernés. Nous pourrions faciliter
la formation d’entraîneurs ivoiriens en Russie, au niveau des centres de
formation. Ou bien, comme ce fut le cas, dans les années 90, faire venir des
entraineurs russes en Côte d’Ivoire qui pourront travailler avec les Ivoiriens.
Tout est possible. Tout peut se discuter. Je n’entrerai pas dans tous les
détails. Mais sachez que nous avons un agenda important avec nos partenaires
ivoiriens. Lorsque le président de la République m’a reçu, à l’occasion de la
présentation de mes lettres de créances, il a clairement encouragé nos efforts.
Il a exprimé la volonté de son pays de travailler dans le sens de la
redynamisation de nos contacts.
Combien
de visas, en moyenne, accordez-vous par an, à partir d’Abidjan ?
Le
chiffre est modeste. On se situe aux environs de 500 visas. C’est, dans la
majeure partie des cas, des visas pour études. Pour les visas pour touristes,
on est autour de 200. La question des visas est l’un des sujets que nous
évoquerons avec nos partenaires ivoiriens. Si on souhaite un afflux de
touristes à destination de la Côte d’Ivoire, on pourrait voir ensemble comment
assouplir les choses en n’ignorant pas, bien sûr, la question sécuritaire.
« Au cours des discussions au niveau du Conseil
de sécurité, notre position a toujours été de dire qu’il fallait respecter la
volonté du peuple ivoirien, laisser au peuple le droit de se décider par
lui-même. »
La
position de la Russie dans la crise que la Côte d’Ivoire a connue en 2010 a été
l’objet de polémiques. Dites-nous, quelle a été la position de la Russie dans
la crise ivoirienne ?
En
tant que membre permanent du Conseil de sécurité, notre position a toujours été
le respect de la souveraineté nationale et le maintien de la stabilité. Nous
sommes pour la stabilité. Au cours des discussions au niveau du Conseil de
sécurité, notre position a toujours été de dire qu’il fallait respecter la
volonté du peuple ivoirien, laisser au peuple le droit de se décider par
lui-même. Notre position était de ne pas intervenir directement dans les
affaires en Côte d’Ivoire. Je ne voudrais pas entrer plus en détail puisque les
décisions ont été votées par le Conseil de sécurité. Aujourd’hui, nous
souhaitons soutenir les efforts de la Côte d’Ivoire pour qu’elle devienne un
pays émergent. Nous souhaiterions voir un partenaire solide, un pays stable.
C’est très important pour la Russie puisque dans notre vision du monde
multipolaire, nous estimons que chaque pays a son rôle à jouer.
En
matière de lutte contre le terrorisme, quel peut être l’apport de la Russie à
la Côte d’Ivoire et vice versa ?
C'est
un volet très sensible et très important. Vous savez que la Côte d’Ivoire a été
déjà la cible d'attaque terroriste. En Russie, nous sommes dans cette situation
depuis maintenant une quinzaine d'années, et nous comprenons très bien que
c'est un fléau international. S'il y a quelque chose que nous devons faire,
c'est de déraciner ce fléau. Cela revient à trouver les moyens pour que les
jeunes soient de moins en moins portés vers les extrémismes, vers les idées
terroristes. Il faut faire en sorte qu’ils ne soient pas tentés par ce qu’on
appelle la guerre sainte. Une manière d’y arriver, c’est de mettre en œuvre des
politiques socio-économiques dirigées vers ces couches de la population. Il ne
faudrait pas que des gens se sentent exclus ou rejetés par la société. Lorsque
des gens se sentent exclus, ils ont tendance à former des groupes
incontrôlables et peuvent constituer une menace pour les fondements de l’Etat.
Donc, en ce qui nous concerne, nous travaillons sur cet aspect socio-économique
pour déraciner ce fléau et annihiler la possibilité de recrutement de futurs
terroristes. Un deuxième volet a trait à la coopération internationale. Dans ce
domaine, nous sommes très actifs. S’agissant de la Côte d’Ivoire, nous sommes
disposés à établir une coopération avec les services spécialisés, à avoir un
échange d’informations et d’expériences. La formation des cadres par la partie
russe, en matière de lutte contre le terrorisme, est aussi envisageable. C’est
dans ce contexte, me semble-t-il, que nous pouvons être utiles à la Côte
d’Ivoire. Nous ne pouvons pas, comme le font ses partenaires traditionnels,
dépêcher des contingents ou organiser un centre de coordination. Nous n’avons
pas de présence militaire ici. Tandis que les autres qui combattent le
terrorisme avec des armes ont plus d’expérience pour aider la Côte d’Ivoire sur
le plan militaire. Je constate d’ailleurs que nos amis français ont dépêché une
délégation ministérielle très importante après que soit survenue l’attaque de
Grand-Bassam. Pour me résumer, la Russie peut être davantage utile dans le
domaine de l’information, de l’échange d’expériences et de formation, ainsi que
de perfectionnement des spécialistes ivoiriens de lutte antiterroriste. Tout
cela, bien sûr, est tributaire de la volonté politique des autorités.
« La
crise a été voulue, elle a été provoquée. »
Abordons,
à présent, les relations internationales. Le rôle de la Russie dans la crise
ukrainienne est différemment perçu. Comment expliquez-vous cette crise ?
La
crise actuelle en Ukraine a été voulue par certaines puissances, par certaines
forces politiques en Occident qui ont tout mis en œuvre pour arracher l’Ukraine
de sa famille slave, une famille historiquement unie et proche. La crise a été
voulue, elle a été provoquée. Aujourd’hui, l’Ukraine est déchirée. C’est un
pays sous contrôle de forces extérieures, dans sa politique économique,
extérieure et intérieure. Les autorités actuelles ukrainiennes ne sont pas
libres. Le fait que l’est de l’Ukraine échappe aujourd’hui aux autorités de Kiev
est explicable et logique. C’est le résultat de cette crise provoquée par les
forces extérieures. Bien sûr, il y avait à l’origine un mécontentement général
de la population. Mais partout, dans le monde, ce genre de situation existe.
Même en France, actuellement, il y a des accrochages. La crise en Ukraine est
une tragédie pour nous, pour notre histoire, pour nos relations.
Le
rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie passe mal auprès de
certaines capitales occidentales. Peut-on parler d’une opération de force de la
part de Moscou ?
En
février 2014, lorsqu’il y avait le coup d’Etat à Kiev avec une participation
directe d’acteurs extérieurs, il y a eu un questionnement : fallait-il laisser
pour compte la Crimée, qui continuait d’être historiquement et culturellement
rattachée à la Russie historique ? C’était un moment difficile pour notre
président, qui a décidé d’aider la population de Crimée à faire son choix. Le
choix a été fait avec le référendum, en présence de gens armés qu’on appelait
les gentils, qui, plus tard, s’avéraient être des militaires. Une chose est
sûre, il n’y a pas eu d’effusion de sang, pas de victime, sachant bien que
20.000 militaires ukrainiens étaient sur place. Beaucoup de ces militaires
n’ont d’ailleurs pas souhaité repartir et ont décidé de rester en Crimée et de
devenir ou redevenir citoyens russes. Il y avait aussi, au moment du
référendum, 25.000 militaires russes. Cette présence russe obéissait à un
contexte juridique puisque dans le cadre des accords bilatéraux, la Russie
avait sa flotte, une base militaire. Pas d’accrochage, pas d’affrontement. Si
vraiment, les gens ne voulaient pas réintégrer la Russie, les militaires
ukrainiens présents auraient peut-être pris les armes. Presque 90% de la
population de Crimée s’est exprimée en faveur du rattachement à la Russie. Ce
sont des chiffres qu’on ne saurait négliger. Même nos partenaires en Occident
reconnaissent que c’est une chose irréversible. Il faut, par ailleurs, éviter
le deux poids deux mesures. Pourquoi avoir reconnu, hier, le droit à
l’autodétermination au Kosovo, de l'ex-Yougoslavie, et ne pas reconnaître ce
droit aujourd’hui à la Crimée ? La Crimée ne sera plus dans l’Ukraine. Même si
on organisait aujourd’hui encore un référendum, la majorité serait pour que la
Crimée reste rattachée à la Russie. Je crois que, tôt ou tard, le monde
reconnaîtra le statut actuel de la Crimée. Pour nous, c’est une affaire
classée. On ne revient plus sur le dossier.
« Nous ne sommes pas là pour dire que nous sommes
des pro-Assad et que nous voulons que son régime reste en place. Ce que nous
disons, c'est que l'avenir de ce pays doit être décidé par le peuple syrien, lui-même,
dans toute sa diversité. »
La
guerre en Syrie est un autre point de tension entre les Russes et les
Occidentaux. On peut dire que Moscou a pris fait et cause pour Bachar Al-Assad
?
Nous
avons dit dès le début de cette crise, par la voix de notre président Vladimir
Poutine, qu'il ne fallait pas intervenir de manière militaire dans les affaires
intérieures des pays arabes, au moment de ce fameux processus de printemps
arabe. Ce qui s'est passé en Lybie nous montre bien le danger réel, et
justement ce que vous avez vécu récemment à Grand-Bassam, est aussi une
conséquence de cette politique un peu aveugle de nos partenaires, qui
prétextent défendre des valeurs démocratiques pour ouvrir la boîte de pandore.
La Lybie n'existe plus comme Etat, malgré tous les efforts de former un
gouvernement. Donc, en ce qui concerne la Syrie, c'est un pays très complexe
avec des populations différentes, des religions différentes. Il y a des
musulmans de différentes tendances, il y a les chrétiens. La Syrie est aussi un
berceau de civilisations. Nous avons décidé d'intervenir dans ce pays parce que
nous avons reçu la demande formelle des autorités légitimes. Mais écoutez, si
c'était un régime qui n'était pas solide, il n'aurait pas pu résister durant
tout ce temps, depuis 2011. Notre approche sur la question est celle-ci : nous
ne sommes pas là pour dire que nous sommes des pro-Assad et que nous voulons
que son régime reste en place. Ce que nous disons, c'est que l'avenir de ce
pays doit être décidé par le peuple syrien, lui-même, dans toute sa diversité.
Il ne faut pas que des acteurs extérieurs interviennent dans le règlement
politique interne de cette crise. Et si un jour on arrive à trouver une
solution, ce sera une solution inter-syrienne. Si nous sommes actuellement du
côté du gouvernement Assad, c'est parce que nous comprenons bien que c'est le
seul gouvernement légitime, qui lutte contre les terroristes de Daesh et les
autres, qui essaie de maintenir l'intégrité de son territoire. C'est pour cela
que nous avons décidé des frappes aériennes, mais à la demande du gouvernement,
pour bien repousser ces groupes terroristes. Maintenant la situation s'est
renversée, et ce sont maintenant les forces gouvernementales et leurs alliés
qui ont pris de l'avance. Dans le même temps, nous avons réussi, en
collaboration avec nos partenaires occidentaux, à imposer le cessez-le-feu,
qui, il faut bien le dire, est respecté en général. Le problème vient du côté
des forces qui sont contrôlées par les Etats-Unis ou l'Arabie Saoudite, qui
continuent à faire des incursions et à provoquer la partie adverse. Nous
pensons que si nous arrivons à maintenir le cessez-le-feu, le régime des
négociations, ce sera une bonne avancée. Mais le problème, c'est qu'il y a des
milices qui sont très proches des mouvements terroristes et qui sont considérées
par les Etats-Unis ou certains pays de la région comme des forces qui luttent
pour la démocratie, mais qui sont en réalité en collaboration avec les
organisations terroristes. Nous constatons qu'en utilisant comme bouclier
humain ces soi-disant forces démocratiques, on épargne les terroristes et on ne
permet pas de continuer les offensives contre ces mouvements. C'est cela
l'ambigüité de nos partenaires. Pourquoi ? Parce qu'ils maintiennent comme
condition sine qua non le départ de Bachar Al Assad. Mais, un jour ou l'autre,
il va partir. Mais pourquoi voulez-vous qu'il y ait des morts, que l'effusion
de sang continue, qu'il y ait encore des nombreux réfugiés ? Nous avons rappelé
l'expérience libyenne. Voulez-vous qu'il y ait une autre Lybie, où il n'y a
plus d'Etat, où ne règnent que des milices ?
Quelle
est votre solution pour la crise en Syrie ?
Nous
préconisons d'abord que toutes les parties prenantes au conflit, sauf Daech,
composé par des étrangers, et les autres organisations terroristes, toutes les
parties, notamment les Kurdes qui combattent les terroristes, qui contrôlent
une bonne partie de la Syrie qu'ils ont libérée, se mettent ensemble pour
discuter. Que toutes les forces politiques qui sont pour une Syrie
démocratique, libre, où toutes les religions sont protégées, soient parties
prenantes à la discussion politique. Aujourd'hui, la seule solution à ce
conflit, c'est une solution pacifique politique, et non militaire. Imaginez un
jour que les Américains décident d'intervenir militairement. D'abord ce sera
une sorte d'agression, parce que la Syrie fait toujours partie des Nations
unies. C'est un pays reconnu. Quand il s'agissait de la destruction des armes
chimiques, l'Occident a fermé les yeux et a bien reconnu le régime de Damas. Il
y a eu des discussions pour la destruction des stocks d'armes chimiques.
Maintenant qu'il s'agit des négociations pour aboutir à la paix, on nous dit :
« non, ils ne sont pas légitimes ». Il faut qu'on renonce au dogme idéologique.
Il faut qu'on voie bien quels sont les vrais dangers de la menace terroriste,
unir nos efforts pour bien combattre le fléau. Il me semble que nous sommes
quand même très conséquents dans notre démarche. Dès le début, nous avons dit
que nous sommes contre toute intervention de l'étranger, sauf avec l'accord du
gouvernement légitime de Damas, que nous sommes pour un processus qui prenne en
compte toutes les forces vives de la nation syrienne, sauf les terroristes.
« Notre
volonté, c'est d'avoir des relations solides et amicales avec le peuple turc.
Mais avec les autorités actuelles, c'est difficile. »
Qu’en
est-il des relations entre la Russie et la Turquie ?
Avec
le peuple ami turc, nous avons beaucoup de choses en commun, pour le
renforcement et le développement de nos relations sur les plans économique et
touristique. Il y avait environ trois millions de Russes qui passaient leurs
vacances en Turquie chaque année. Et brusquement, tout a été arrêté.
A
qui la faute ?
La
faute est de la classe politique qui est actuellement au pouvoir à Ankara. Les
dirigeants turcs actuels n'ont pas accepté les règlements. Tout a commencé avec
la crise syrienne. Nous comprenons bien que les autorités turques avaient leur propre
vision de l'avenir de la Syrie. Et quand la Russie a dit niet et que nous
allons soutenir le gouvernement légitime de Damas, cela a créé la colère au
niveau des autorités turques. La suite, c'est la provocation, la destruction
délibérée de notre avion militaire dans l'espace aérien syrien. Il y a eu aussi
la barbarie sur l'un des pilotes qui descendait en parachute et qui a été
mitraillé par des miliciens qui criaient de joie. C'était un acte délibéré pour
montrer à la Russie qu'ils sont les maîtres des lieux. Alors le président
Poutine a réagi vigoureusement, et vous connaissez les conséquences. Nous avons
gelé toutes nos relations politiques, touristiques. Et maintenant les Turcs
parlent d'un petit malentendu. Non, ce n'est pas un malentendu. En faisant
cela, ils voulaient montrer qu'ils sont les maîtres du jeu. Pour revenir à la
normalité entre nos deux pays, il y a trois conditions posées par notre
président. D'abord, la présentation d'excuses officielles, cela n'a pas été
fait. Ils se sont limités à quelques petits courriers, quelques gestes, mais
nous voulons qu'ils reconnaissent leur faute et présentent des excuses
officielles. C'était un coup tordu qu'ils ne veulent pas reconnaître. Ensuite,
nous avons demandé les poursuites judiciaires contre les assassins des pilotes.
Cela a été filmé et tout le monde a vu. Et enfin, nous demandons une
compensation, un geste symbolique, mais rien de tout cela n'a été fait. Notre
volonté, c'est d'avoir des relations solides et amicales avec le peuple turc.
Mais avec les autorités actuelles, c'est difficile. Nous restons optimistes. La
Fédération de Russie comprend bien la gravité de la situation de crise dans les
relations bilatérales. Cela ne peut pas durer éternellement, mais il faut que
le gouvernement turc fasse le premier pas pour montrer sa responsabilité dans
la faute qui a été commise avec le bombardement de notre avion.
« Notre
volonté, c'est d'avoir des relations solides et amicales avec le peuple turc.
Mais avec les autorités actuelles, c'est difficile. »
La
Russie est sous sanctions occidentales. Jusqu’à quand cette situation va-t-elle
durer ?
Je
pense que ce sont des questions à poser à nos partenaires occidentaux, car ce
sont eux qui ont décidé de prendre des sanctions pour nous punir à cause de ce
qui s'est passé en Crimée ou de notre politique à l'égard de l'Ukraine. Notre
volonté, c'est d'avoir des relations solides et amicales avec le peuple turc.
Mais avec les autorités actuelles, c'est difficile. Nous avons vécu la guerre
civile, la grande guerre patriotique avec énormément de victimes, de
destructions. Mais nous avons pu surmonter tout cela. Notre peuple est donc
capable de surmonter cet autre problème. Peut-être que ces sanctions nous ont
amené à développer encore plus notre économie, à rechercher d'autres
partenaires en Afrique, en Amérique latine, en Asie. Le marché russe est vaste,
il y a de la place pour tout le monde. C'est à l'Occident de lever ses
sanctions, et nous notre principe, c'est que nous ne demandons rien. Si
l'Occident juge nécessaire de nous sanctionner, c'est leur appréciation des
choses. Ils ont peut-être pensé, à un moment donné, que nous allons les
supplier, mais ce n'est pas le cas.
Ces
sanctions ont quand même des conséquences sur la Russie…
Il
y a des conséquences. Il y a par exemple la conjoncture économique
internationale qui n'est pas très propice aux pays producteurs de pétrole,
d'hydrocarbure. Cela nous a aussi frappés, avec la chute du prix du pétrole.
Mais en même temps, cela nous a davantage stimulé à travailler plus dans tous
les domaines. Nous avons par exemple commencé à remplacer les produits qui étaient,
par le passé, importés. Cela fait plus d'économie pour nos entreprises. Ce qui
n'est pas bien pour notre économie avec ces sanctions, c'est du côté du
financement. C'était par exemple plus facile pour nos banques de trouver du
financement sur les marché européen et américain. Cela nous a été coupé et ça
complique quelque peu notre système bancaire, il faut bien le reconnaître. Il y
a donc, bien sûr, des conséquences. Mais si vous mesurez les conséquences
économiques, politiques, que vous les comparez avec les résultats qu'on
pourrait avoir dans les perspectives, l'économie russe et la société russe ont
montré une grande capacité de résistance à ce choc externe, à cette pression
exercée par l'Occident. Nous connaissons des problèmes avec les médicaments,
mais nous y travaillons aussi pour trouver les moyens de remplacer les
médicaments que nous importions. Pour l'essentiel, il faut savoir que nous
n'allons supplier personne, nous ne demanderons pardon à personne.
(Propos recueillis par Hamadou Ziao)
Source : L’inter 27 juin 2016
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