dimanche 10 juillet 2016

« Notre position était de ne pas intervenir directement dans les affaires en Côte d’Ivoire »

SEM Vladimir Baykov
Interview de SEM. Vladimir Baykov, ambassadeur de la Fédération de Russie au journal « L’inter »

Excellence M. l’Ambassadeur, à quand remontent les relations entre la Russie et la Côte d’Ivoire ?
Nous avons une histoire assez longue. En 2017, nous célébrerons les 50 ans de l’établissement de nos relatons diplomatiques. A l’époque, pour certaines raisons politiques et idéologiques, l’ancien président ivoirien, Félix HouphouëtBoigny, avait décidé de suspendre les relations diplomatiques entre Abidjan et Moscou. Cette situation a duré pratiquement dix-sept ans, puisquelle sest prolongée jusquen 1986. Mais il est bien de souligner que c’est encore le président HouphouëtBoigny qui a rétabli les relations bilatérales entre nos deux pays. Nous sommes revenus il y a trente ans. Jai indiqué, lors de ma récente intervention, à la célébration de la Fête nationale de la Russie, que nous apprécions fortement le rôle joué par la Côte d’Ivoire à l’échelle sous-régionale. La Côte d’Ivoire est un acteur important.


« Nous attachons une grande importance à la formation des cadres au niveau de l’enseignement supérieur. »


Quel état des lieux faites-vous de la coopération entre les deux pays ?
L’ex-URSS, et maintenant la Fédération de Russie, a été aux côtés des Africains au moment des indépendances. Nous avons fait beaucoup à l’époque pour la formation de cadres venant des pays en voie de développement. Nous avons créé une université spécialement consacrée à la formation des cadres africains : l’université Patrice Lumumba. Ce sont là des observations de type général. Pour parler spécifiquement de la coopération avec la Côte d’Ivoire, il faut l’envisager à plusieurs niveaux. Nous attachons une grande importance à la formation des cadres au niveau de l’enseignement supérieur. Des bourses sont octroyées par l’Etat russe à la partie ivoirienne. Nous sommes autour d’une trentaine de bourses pour cette année 2016, avec une possibilité d’augmenter le nombre de candidats. Il existe aussi des cas de personnes disposées à financer par elles-mêmes leurs études. En 2015, 120 personnes sont allées pour les études en Russie à leurs propres frais. Ceci est très important pour nous parce que ce sont des gens qui apprennent à parler russe, qui s’imprègnent de la culture russe. Lorsqu’ils sont de retour en Côte d’Ivoire, ils deviennent, en quelque sorte, des ambassadeurs de la Russie en Côte d’Ivoire. Je sais, par exemple, que des anciens étudiants ivoiriens en Russie se sont organisés en association pour promouvoir la coopération bilatérale entre les deux pays. Nous encourageons ce type d’initiatives.

Qu’en est-il du volet économique ?
Nous essayons d’être présents dans les domaines pétrolier et minier, par exemple. Actuellement, compte tenu de la conjoncture, nos entreprises ne sont pas très enthousiastes. Une de nos entreprises pétrolières a décidé de suspendre ses activités en Côte d’Ivoire. Il faut aller vers des projets qui permettent aux deux parties d’avoir des avantages économiques mutuels. On ne peut pas, comme cela s’opérait à l’époque soviétique, faire des calculs uniquement sur la base idéologique. Ce n’est plus le cas. C’est donc dans cet esprit que nous travaillons aujourd’hui avec nos partenaires ivoiriens. Nous n’ignorons pas que le marché ivoirien est très concurrentiel. Il y a déjà de nombreux secteurs qui sont dévolus aux partenaires traditionnels. Je ne crois pas que les partenaires traditionnels en question nous attendent sur le marché ivoirien à bras ouverts. Il faut se battre pour espérer avoir des marchés. Nous verrons avec la partie ivoirienne quels pourraient être les mécanismes pour des concertations au niveau industriel. Nous espérons avoir des échanges à ce niveau. Il faut qu’on puisse savoir quelles sont les opportunités économiques afin de bien renseigner nos autorités. Nous prévoyons donc des missions économiques. Pour l’année 2015, nos importations, de la Côte d’Ivoire vers la Russie, se situent autour de 200 millions de dollars (environ 100 milliards FCFA). Pour ce qui est de nos exportations, de la Russie vers la Côte d’Ivoire, on se situe autour de 42 millions de dollars (environ 21 milliards FCFA). Cela fait, en tout, moins d’un quart de milliard de dollars. Ce n’est pas beaucoup, il y a un grand champ de travail.

Il n’y a pas que l’économie, Excellence M. l’Ambassadeur. Vous convenez que la coopération peut se déployer également sur les plans culturel, touristique voire sportif ?
Effectivement, il ne faut pas négliger le domaine culturel, à travers des journées d’expositions, par exemple. Je crois que le cinquantenaire de l’établissement de nos relations diplomatiques sera l’occasion d’organiser un grand moment culturel, tant en Côte d’Ivoire qu'en Russie. En matière de tourisme, j’avoue que c’est assez compliqué, parce que nos deux pays sont très éloignés l’un de l’autre, géographiquement. Ce n’est pas très évident qu’un touriste russe ordinaire choisisse la destination Côte d’Ivoire. Il faut pouvoir le stimuler, l’encourager. Il faut, dans le même temps, qu’il y ait plus de moyens de communication et de transport. Il n’existe pas de ligne directe entre la Côte d’Ivoire et la Russie. Le voyage se fait par correspondance. Mais si le secteur du tourisme se développait et que la destination ivoirienne commençait à être attractive pour les touristes russes, il serait possible d’envisager des vols charters. C’est un travail qui demande des efforts des deux côtés. En ce qui nous concerne, nous voudrions encourager la destination russe aux Ivoiriens, surtout qu’il y a de nombreuses personnes en Côte d’Ivoire qui s’intéressent à la Russie. Il y a beaucoup de découvertes à faire en Russie. La Russie, ce n’est pas seulement Moscou. Il y a la Sibérie, avec le lac Baikal qui est la plus grande réserve au Monde d’eau douce, etc. Sur le plan sportif, la Côte d’Ivoire est mondialement reconnue, dans le domaine du football notamment. Nous avons beaucoup de respect pour les sportifs ivoiriens. Nous prévoyons de relancer les contacts avec les départements concernés. Nous pourrions faciliter la formation d’entraîneurs ivoiriens en Russie, au niveau des centres de formation. Ou bien, comme ce fut le cas, dans les années 90, faire venir des entraineurs russes en Côte d’Ivoire qui pourront travailler avec les Ivoiriens. Tout est possible. Tout peut se discuter. Je n’entrerai pas dans tous les détails. Mais sachez que nous avons un agenda important avec nos partenaires ivoiriens. Lorsque le président de la République m’a reçu, à l’occasion de la présentation de mes lettres de créances, il a clairement encouragé nos efforts. Il a exprimé la volonté de son pays de travailler dans le sens de la redynamisation de nos contacts.

Combien de visas, en moyenne, accordez-vous par an, à partir d’Abidjan ?
Le chiffre est modeste. On se situe aux environs de 500 visas. C’est, dans la majeure partie des cas, des visas pour études. Pour les visas pour touristes, on est autour de 200. La question des visas est l’un des sujets que nous évoquerons avec nos partenaires ivoiriens. Si on souhaite un afflux de touristes à destination de la Côte d’Ivoire, on pourrait voir ensemble comment assouplir les choses en n’ignorant pas, bien sûr, la question sécuritaire.


« Au cours des discussions au niveau du Conseil de sécurité, notre position a toujours été de dire qu’il fallait respecter la volonté du peuple ivoirien, laisser au peuple le droit de se décider par lui-même. »


La position de la Russie dans la crise que la Côte d’Ivoire a connue en 2010 a été l’objet de polémiques. Dites-nous, quelle a été la position de la Russie dans la crise ivoirienne ?
En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, notre position a toujours été le respect de la souveraineté nationale et le maintien de la stabilité. Nous sommes pour la stabilité. Au cours des discussions au niveau du Conseil de sécurité, notre position a toujours été de dire qu’il fallait respecter la volonté du peuple ivoirien, laisser au peuple le droit de se décider par lui-même. Notre position était de ne pas intervenir directement dans les affaires en Côte d’Ivoire. Je ne voudrais pas entrer plus en détail puisque les décisions ont été votées par le Conseil de sécurité. Aujourd’hui, nous souhaitons soutenir les efforts de la Côte d’Ivoire pour qu’elle devienne un pays émergent. Nous souhaiterions voir un partenaire solide, un pays stable. C’est très important pour la Russie puisque dans notre vision du monde multipolaire, nous estimons que chaque pays a son rôle à jouer.

En matière de lutte contre le terrorisme, quel peut être l’apport de la Russie à la Côte d’Ivoire et vice versa ?
C'est un volet très sensible et très important. Vous savez que la Côte d’Ivoire a été déjà la cible d'attaque terroriste. En Russie, nous sommes dans cette situation depuis maintenant une quinzaine d'années, et nous comprenons très bien que c'est un fléau international. S'il y a quelque chose que nous devons faire, c'est de déraciner ce fléau. Cela revient à trouver les moyens pour que les jeunes soient de moins en moins portés vers les extrémismes, vers les idées terroristes. Il faut faire en sorte qu’ils ne soient pas tentés par ce qu’on appelle la guerre sainte. Une manière d’y arriver, c’est de mettre en œuvre des politiques socio-économiques dirigées vers ces couches de la population. Il ne faudrait pas que des gens se sentent exclus ou rejetés par la société. Lorsque des gens se sentent exclus, ils ont tendance à former des groupes incontrôlables et peuvent constituer une menace pour les fondements de l’Etat. Donc, en ce qui nous concerne, nous travaillons sur cet aspect socio-économique pour déraciner ce fléau et annihiler la possibilité de recrutement de futurs terroristes. Un deuxième volet a trait à la coopération internationale. Dans ce domaine, nous sommes très actifs. S’agissant de la Côte d’Ivoire, nous sommes disposés à établir une coopération avec les services spécialisés, à avoir un échange d’informations et d’expériences. La formation des cadres par la partie russe, en matière de lutte contre le terrorisme, est aussi envisageable. C’est dans ce contexte, me semble-t-il, que nous pouvons être utiles à la Côte d’Ivoire. Nous ne pouvons pas, comme le font ses partenaires traditionnels, dépêcher des contingents ou organiser un centre de coordination. Nous n’avons pas de présence militaire ici. Tandis que les autres qui combattent le terrorisme avec des armes ont plus d’expérience pour aider la Côte d’Ivoire sur le plan militaire. Je constate d’ailleurs que nos amis français ont dépêché une délégation ministérielle très importante après que soit survenue l’attaque de Grand-Bassam. Pour me résumer, la Russie peut être davantage utile dans le domaine de l’information, de l’échange d’expériences et de formation, ainsi que de perfectionnement des spécialistes ivoiriens de lutte antiterroriste. Tout cela, bien sûr, est tributaire de la volonté politique des autorités.


« La crise a été voulue, elle a été provoquée. »


Abordons, à présent, les relations internationales. Le rôle de la Russie dans la crise ukrainienne est différemment perçu. Comment expliquez-vous cette crise ?
La crise actuelle en Ukraine a été voulue par certaines puissances, par certaines forces politiques en Occident qui ont tout mis en œuvre pour arracher l’Ukraine de sa famille slave, une famille historiquement unie et proche. La crise a été voulue, elle a été provoquée. Aujourd’hui, l’Ukraine est déchirée. C’est un pays sous contrôle de forces extérieures, dans sa politique économique, extérieure et intérieure. Les autorités actuelles ukrainiennes ne sont pas libres. Le fait que l’est de l’Ukraine échappe aujourd’hui aux autorités de Kiev est explicable et logique. C’est le résultat de cette crise provoquée par les forces extérieures. Bien sûr, il y avait à l’origine un mécontentement général de la population. Mais partout, dans le monde, ce genre de situation existe. Même en France, actuellement, il y a des accrochages. La crise en Ukraine est une tragédie pour nous, pour notre histoire, pour nos relations.

Le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie passe mal auprès de certaines capitales occidentales. Peut-on parler d’une opération de force de la part de Moscou ?
En février 2014, lorsqu’il y avait le coup d’Etat à Kiev avec une participation directe d’acteurs extérieurs, il y a eu un questionnement : fallait-il laisser pour compte la Crimée, qui continuait d’être historiquement et culturellement rattachée à la Russie historique ? C’était un moment difficile pour notre président, qui a décidé d’aider la population de Crimée à faire son choix. Le choix a été fait avec le référendum, en présence de gens armés qu’on appelait les gentils, qui, plus tard, s’avéraient être des militaires. Une chose est sûre, il n’y a pas eu d’effusion de sang, pas de victime, sachant bien que 20.000 militaires ukrainiens étaient sur place. Beaucoup de ces militaires n’ont d’ailleurs pas souhaité repartir et ont décidé de rester en Crimée et de devenir ou redevenir citoyens russes. Il y avait aussi, au moment du référendum, 25.000 militaires russes. Cette présence russe obéissait à un contexte juridique puisque dans le cadre des accords bilatéraux, la Russie avait sa flotte, une base militaire. Pas d’accrochage, pas d’affrontement. Si vraiment, les gens ne voulaient pas réintégrer la Russie, les militaires ukrainiens présents auraient peut-être pris les armes. Presque 90% de la population de Crimée s’est exprimée en faveur du rattachement à la Russie. Ce sont des chiffres qu’on ne saurait négliger. Même nos partenaires en Occident reconnaissent que c’est une chose irréversible. Il faut, par ailleurs, éviter le deux poids deux mesures. Pourquoi avoir reconnu, hier, le droit à l’autodétermination au Kosovo, de l'ex-Yougoslavie, et ne pas reconnaître ce droit aujourd’hui à la Crimée ? La Crimée ne sera plus dans l’Ukraine. Même si on organisait aujourd’hui encore un référendum, la majorité serait pour que la Crimée reste rattachée à la Russie. Je crois que, tôt ou tard, le monde reconnaîtra le statut actuel de la Crimée. Pour nous, c’est une affaire classée. On ne revient plus sur le dossier.


« Nous ne sommes pas là pour dire que nous sommes des pro-Assad et que nous voulons que son régime reste en place. Ce que nous disons, c'est que l'avenir de ce pays doit être décidé par le peuple syrien, lui-même, dans toute sa diversité. »


La guerre en Syrie est un autre point de tension entre les Russes et les Occidentaux. On peut dire que Moscou a pris fait et cause pour Bachar Al-Assad ?
Nous avons dit dès le début de cette crise, par la voix de notre président Vladimir Poutine, qu'il ne fallait pas intervenir de manière militaire dans les affaires intérieures des pays arabes, au moment de ce fameux processus de printemps arabe. Ce qui s'est passé en Lybie nous montre bien le danger réel, et justement ce que vous avez vécu récemment à Grand-Bassam, est aussi une conséquence de cette politique un peu aveugle de nos partenaires, qui prétextent défendre des valeurs démocratiques pour ouvrir la boîte de pandore. La Lybie n'existe plus comme Etat, malgré tous les efforts de former un gouvernement. Donc, en ce qui concerne la Syrie, c'est un pays très complexe avec des populations différentes, des religions différentes. Il y a des musulmans de différentes tendances, il y a les chrétiens. La Syrie est aussi un berceau de civilisations. Nous avons décidé d'intervenir dans ce pays parce que nous avons reçu la demande formelle des autorités légitimes. Mais écoutez, si c'était un régime qui n'était pas solide, il n'aurait pas pu résister durant tout ce temps, depuis 2011. Notre approche sur la question est celle-ci : nous ne sommes pas là pour dire que nous sommes des pro-Assad et que nous voulons que son régime reste en place. Ce que nous disons, c'est que l'avenir de ce pays doit être décidé par le peuple syrien, lui-même, dans toute sa diversité. Il ne faut pas que des acteurs extérieurs interviennent dans le règlement politique interne de cette crise. Et si un jour on arrive à trouver une solution, ce sera une solution inter-syrienne. Si nous sommes actuellement du côté du gouvernement Assad, c'est parce que nous comprenons bien que c'est le seul gouvernement légitime, qui lutte contre les terroristes de Daesh et les autres, qui essaie de maintenir l'intégrité de son territoire. C'est pour cela que nous avons décidé des frappes aériennes, mais à la demande du gouvernement, pour bien repousser ces groupes terroristes. Maintenant la situation s'est renversée, et ce sont maintenant les forces gouvernementales et leurs alliés qui ont pris de l'avance. Dans le même temps, nous avons réussi, en collaboration avec nos partenaires occidentaux, à imposer le cessez-le-feu, qui, il faut bien le dire, est respecté en général. Le problème vient du côté des forces qui sont contrôlées par les Etats-Unis ou l'Arabie Saoudite, qui continuent à faire des incursions et à provoquer la partie adverse. Nous pensons que si nous arrivons à maintenir le cessez-le-feu, le régime des négociations, ce sera une bonne avancée. Mais le problème, c'est qu'il y a des milices qui sont très proches des mouvements terroristes et qui sont considérées par les Etats-Unis ou certains pays de la région comme des forces qui luttent pour la démocratie, mais qui sont en réalité en collaboration avec les organisations terroristes. Nous constatons qu'en utilisant comme bouclier humain ces soi-disant forces démocratiques, on épargne les terroristes et on ne permet pas de continuer les offensives contre ces mouvements. C'est cela l'ambigüité de nos partenaires. Pourquoi ? Parce qu'ils maintiennent comme condition sine qua non le départ de Bachar Al Assad. Mais, un jour ou l'autre, il va partir. Mais pourquoi voulez-vous qu'il y ait des morts, que l'effusion de sang continue, qu'il y ait encore des nombreux réfugiés ? Nous avons rappelé l'expérience libyenne. Voulez-vous qu'il y ait une autre Lybie, où il n'y a plus d'Etat, où ne règnent que des milices ?

Quelle est votre solution pour la crise en Syrie ?
Nous préconisons d'abord que toutes les parties prenantes au conflit, sauf Daech, composé par des étrangers, et les autres organisations terroristes, toutes les parties, notamment les Kurdes qui combattent les terroristes, qui contrôlent une bonne partie de la Syrie qu'ils ont libérée, se mettent ensemble pour discuter. Que toutes les forces politiques qui sont pour une Syrie démocratique, libre, où toutes les religions sont protégées, soient parties prenantes à la discussion politique. Aujourd'hui, la seule solution à ce conflit, c'est une solution pacifique politique, et non militaire. Imaginez un jour que les Américains décident d'intervenir militairement. D'abord ce sera une sorte d'agression, parce que la Syrie fait toujours partie des Nations unies. C'est un pays reconnu. Quand il s'agissait de la destruction des armes chimiques, l'Occident a fermé les yeux et a bien reconnu le régime de Damas. Il y a eu des discussions pour la destruction des stocks d'armes chimiques. Maintenant qu'il s'agit des négociations pour aboutir à la paix, on nous dit : « non, ils ne sont pas légitimes ». Il faut qu'on renonce au dogme idéologique. Il faut qu'on voie bien quels sont les vrais dangers de la menace terroriste, unir nos efforts pour bien combattre le fléau. Il me semble que nous sommes quand même très conséquents dans notre démarche. Dès le début, nous avons dit que nous sommes contre toute intervention de l'étranger, sauf avec l'accord du gouvernement légitime de Damas, que nous sommes pour un processus qui prenne en compte toutes les forces vives de la nation syrienne, sauf les terroristes.


« Notre volonté, c'est d'avoir des relations solides et amicales avec le peuple turc. Mais avec les autorités actuelles, c'est difficile. »


Qu’en est-il des relations entre la Russie et la Turquie ?
Avec le peuple ami turc, nous avons beaucoup de choses en commun, pour le renforcement et le développement de nos relations sur les plans économique et touristique. Il y avait environ trois millions de Russes qui passaient leurs vacances en Turquie chaque année. Et brusquement, tout a été arrêté.

A qui la faute ?
La faute est de la classe politique qui est actuellement au pouvoir à Ankara. Les dirigeants turcs actuels n'ont pas accepté les règlements. Tout a commencé avec la crise syrienne. Nous comprenons bien que les autorités turques avaient leur propre vision de l'avenir de la Syrie. Et quand la Russie a dit niet et que nous allons soutenir le gouvernement légitime de Damas, cela a créé la colère au niveau des autorités turques. La suite, c'est la provocation, la destruction délibérée de notre avion militaire dans l'espace aérien syrien. Il y a eu aussi la barbarie sur l'un des pilotes qui descendait en parachute et qui a été mitraillé par des miliciens qui criaient de joie. C'était un acte délibéré pour montrer à la Russie qu'ils sont les maîtres des lieux. Alors le président Poutine a réagi vigoureusement, et vous connaissez les conséquences. Nous avons gelé toutes nos relations politiques, touristiques. Et maintenant les Turcs parlent d'un petit malentendu. Non, ce n'est pas un malentendu. En faisant cela, ils voulaient montrer qu'ils sont les maîtres du jeu. Pour revenir à la normalité entre nos deux pays, il y a trois conditions posées par notre président. D'abord, la présentation d'excuses officielles, cela n'a pas été fait. Ils se sont limités à quelques petits courriers, quelques gestes, mais nous voulons qu'ils reconnaissent leur faute et présentent des excuses officielles. C'était un coup tordu qu'ils ne veulent pas reconnaître. Ensuite, nous avons demandé les poursuites judiciaires contre les assassins des pilotes. Cela a été filmé et tout le monde a vu. Et enfin, nous demandons une compensation, un geste symbolique, mais rien de tout cela n'a été fait. Notre volonté, c'est d'avoir des relations solides et amicales avec le peuple turc. Mais avec les autorités actuelles, c'est difficile. Nous restons optimistes. La Fédération de Russie comprend bien la gravité de la situation de crise dans les relations bilatérales. Cela ne peut pas durer éternellement, mais il faut que le gouvernement turc fasse le premier pas pour montrer sa responsabilité dans la faute qui a été commise avec le bombardement de notre avion.


« Notre volonté, c'est d'avoir des relations solides et amicales avec le peuple turc. Mais avec les autorités actuelles, c'est difficile. »


La Russie est sous sanctions occidentales. Jusqu’à quand cette situation va-t-elle durer ?
Je pense que ce sont des questions à poser à nos partenaires occidentaux, car ce sont eux qui ont décidé de prendre des sanctions pour nous punir à cause de ce qui s'est passé en Crimée ou de notre politique à l'égard de l'Ukraine. Notre volonté, c'est d'avoir des relations solides et amicales avec le peuple turc. Mais avec les autorités actuelles, c'est difficile. Nous avons vécu la guerre civile, la grande guerre patriotique avec énormément de victimes, de destructions. Mais nous avons pu surmonter tout cela. Notre peuple est donc capable de surmonter cet autre problème. Peut-être que ces sanctions nous ont amené à développer encore plus notre économie, à rechercher d'autres partenaires en Afrique, en Amérique latine, en Asie. Le marché russe est vaste, il y a de la place pour tout le monde. C'est à l'Occident de lever ses sanctions, et nous notre principe, c'est que nous ne demandons rien. Si l'Occident juge nécessaire de nous sanctionner, c'est leur appréciation des choses. Ils ont peut-être pensé, à un moment donné, que nous allons les supplier, mais ce n'est pas le cas.

Ces sanctions ont quand même des conséquences sur la Russie…
Il y a des conséquences. Il y a par exemple la conjoncture économique internationale qui n'est pas très propice aux pays producteurs de pétrole, d'hydrocarbure. Cela nous a aussi frappés, avec la chute du prix du pétrole. Mais en même temps, cela nous a davantage stimulé à travailler plus dans tous les domaines. Nous avons par exemple commencé à remplacer les produits qui étaient, par le passé, importés. Cela fait plus d'économie pour nos entreprises. Ce qui n'est pas bien pour notre économie avec ces sanctions, c'est du côté du financement. C'était par exemple plus facile pour nos banques de trouver du financement sur les marché européen et américain. Cela nous a été coupé et ça complique quelque peu notre système bancaire, il faut bien le reconnaître. Il y a donc, bien sûr, des conséquences. Mais si vous mesurez les conséquences économiques, politiques, que vous les comparez avec les résultats qu'on pourrait avoir dans les perspectives, l'économie russe et la société russe ont montré une grande capacité de résistance à ce choc externe, à cette pression exercée par l'Occident. Nous connaissons des problèmes avec les médicaments, mais nous y travaillons aussi pour trouver les moyens de remplacer les médicaments que nous importions. Pour l'essentiel, il faut savoir que nous n'allons supplier personne, nous ne demanderons pardon à personne.

(Propos recueillis par Hamadou Ziao)

Source : L’inter 27 juin 2016

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