Le lundi 11 juillet dernier à Niamey, se
sont réunis les cinq chefs des Exécutifs des Etats qui constituent le Conseil
de l’Entente, avec pour objectif affiché de donner une seconde vie à cette
vieille dame qui, de par le passé, a fait parler d’elle. Ne dit-on pas que « Les
vieilles marmites font les meilleures sauces » ? Porté sur les
fonts baptismaux le 29 mai 1959 à l’initiative de Félix Houphouët-Boigny
de la Côte d’Ivoire par les présidents Hamani Diori du Niger, Maurice
Yaméogo de la Haute Volta aujourd’hui Burkina Faso et Hubert Maga du Dahomey
(Bénin), rejoints en 1966 par le Togo de Gnassingbé Eyadema, le Conseil de
l'Entente est la doyenne des institutions sous-régionales ouest-africaines.
Toutefois, malgré les acquis économiques de l’organisation, les populations
n’entendaient plus parler que de la tombola communautaire organisée par les
loteries nationales des Etats membres, à cause de la longue léthargie dans
laquelle elle était tombée. En effet, née avec le péché originel de faire voler
en éclats, à l’approche des indépendances, le projet de la Fédération du Mali
portée par les fédéralistes comme Léopold Sédar Senghor, elle a difficilement
traversé les zones de turbulences des relations entre Etats.
Le Conseil de l’Entente semble renaître de ses cendres
L’un des plus grands trous d’air aura été
sans conteste la révolution burkinabè qui, par bravade au « vieux
caïman ivoirien », avait fait main basse sur les locaux de
l’institution pour en faire son siège. L’estocade a été la
disparition en 1993 d’Houphouët, qui a privé l’institution de son parrain.
Mais comme on le dit, depuis lors, « beaucoup d’eau a coulé sous les
ponts » et depuis ce sommet de Niamey, le Conseil de l’Entente
semble renaître, comme le phœnix, de ses cendres houphouétistes. Ce réveil
se justifie sans doute par les défis économiques et sécuritaires qui se posent
aujourd’hui aux Etats membres. C’est, en tout cas, aux dires du chef de la
diplomatie nigérienne, Ibrahim Yacouba, l’orientation voulue par les chefs des
Etats présents au sommet : « Consolider la paix et la sécurité de
la région, mettre en place des projets intégrateurs et structurants qui vont
fonder une économie de croissance pour nos peuples et permettre la libre
circulation des biens et des personnes à l’intérieur de cet espace-là ». La
légitimité de ces nouveaux chantiers ne saurait souffrir de débat dans un monde
libéralisé, où les économies nationales de l’espace ne peuvent assurer
durablement leur survie que dans des politiques d’intégration
sous-régionales et dans un contexte où, le Togo excepté, tous les Etats sont
engagés dans une lutte mortelle contre le péril djihadiste. La mutualisation
des efforts de développement à travers une institution qui se veut un
instrument de solidarité économique et financière et le partage de
renseignements entre Etats voisins dans la lutte contre le terrorisme,
constituent donc la matrice qui redonne vie au Conseil de l’Entente. Et pour
peu que les Etats, individuellement, se départissent de cet égoïsme qui voulait
canaliser la force de production de cet espace vers la Côte d’Ivoire de Félix
Houphouët-Boigny qui a refusé d’être « la vache à lait de l’AOF », le
Conseil de l’Entente peut disposer de puissants atouts pour réussir son
nouveau pari. En effet, d’abord de par sa taille relativement restreinte,
il apparaît comme un outil léger et donc plus maniable. Il est de fait plus
opérationnel et plus efficace. Ensuite, contrairement aux autres institutions
régionales comme l’UEMOA ou la CEDEAO qui ont des penchants soit pour le tout-économique
ou le tout politique, le Conseil de l’Entente est un instrument à la fois
politique et économique. Il a donc non seulement un spectre élargi d’action,
mais il a aussi l’avantage du « tout en un seul ». Enfin,
tous les chefs d’Etat, exception faite du togolais Faure Gnassingbé, ne sont
pas et ne seront pas sclérosés par de longs règnes qui finissent par inhiber
toute volonté d’action. La plupart d’entre eux sont à l’entame de leur
mandat et ont intérêt à des actions concrètes soit pour bénéficier d’un
second mandat soit pour réussir leur sortie de scène par le legs d’une bonne
image à la postérité. Il y a donc, dans cette résurrection, de
réelles notes d’optimisme voire d’espérance mais comme on le dit, « l’arbre
ne doit pas cacher la forêt. » En effet, le réveil, même justifié de
cette vieille dame, ne garantit pas le succès de l’entreprise. Il suscite en
effet bien des interrogations.
La France a un intérêt économique certain dans cet espace
En effet, on peut d’abord se poser la
question existentielle de son maintien, dans un contexte où la pléthore
des institutions sous-régionales se disputant les mêmes plates-bandes, crève la
vue. En plus de grever les budgets des Etats membres dont la plupart peinent à
payer les cotisations, la prolifération des institutions régionales et
sous-régionales constitue une véritable barrière à l’harmonisation des
politiques et des pratiques sur le terrain, rendant illisibles leurs
actions et leurs impacts sur le développement. Ensuite, on peut se demander si véritablement
il y a au sein de cette institution, de vrais critères de convergence, au
regard de la contradiction entre les indicateurs de gouvernance poursuivis et
la décision de confier le pilotage du navire au président togolais qui apparaît
comme le mouton noir de la bergerie, lui qui ne veut pas entendre parler
d’alternance politique et qui semble bien parti pour s’éterniser au pouvoir
contrairement à ses quatre pairs africains. Puis, il y a aussi la question du
leadership qui pose de facto le problème des ressources nécessaires au
financement des projets envisagés. La Côte d’Ivoire, en raison de la légitimité
historique conférée par le fondateur de l’institution et en raison de son
statut de locomotive économique de la sous-région, semble toute désignée pour
ce rôle. Mais le pays, en proie à ses propres démons liés à la mosaïque des
nationalités présentes sur son territoire et devant faire face à de titanesques
efforts de reconstruction, peut-il s’accommoder durablement de cette
mission ? Enfin, dernière question et pas la moindre, quel est le rôle de
l’ancienne métropole de ces anciennes colonies françaises ? L’institution,
de toute évidence, appartient à la Françafrique et on peut y voir en sous-main
la manœuvre de la France, qui a là l’occasion de lustrer sa vitrine d’Afrique
qu’est la Côte d’Ivoire, mais surtout a un intérêt économique certain dans cet
espace desservi par de grandes multinationales françaises.
"Le Pays"
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de
provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre
ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou
l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu
informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des
mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : Le Pays 12 juillet 2016
À NOTRE AVIS…
Cet arbre peut-il encore porter des fruits ? Pour pouvoir répondre à
cette question de façon vraiment pertinente, encore faut-il bien savoir ce que
c’est que cet arbre, qui l’a planté, sur quel type de terrain et, surtout, dans
quel dessein ?
Pour vous y aider, chers amis lecteurs, nous vous proposons ces lignes extraites de Félix
Houphouët et la Côte d’Ivoire. L’Envers d’une légende de notre collaborateur Marcel
Amondji (Karthala 1984 ; pp.240-241)
:
« (…), l'histoire du Conseil de l'Entente et
surtout son fonctionnement sont sans doute les meilleurs révélateurs de la supercherie
de l’houphouétisme.
Après avoir servi à couler le projet de la Fédération
du Mali, le Conseil de l'Entente est devenu un instrument de la domination
économique de l'impérialisme français sur un certain nombre de pays
francophones de la région. Son secrétariat administratif, confié formellement à
un ancien ministre de Fulbert Youlou et entièrement constitué d'« expatriés »,
échappe complètement aux organes de souveraineté des pays membres, la Côte
d'Ivoire comprise. Si la Côte d'Ivoire paraît y jouer un certain rôle, c'est
parce qu'elle est plus « riche » que ses partenaires. Quand on sait ce que
cette richesse signifie pour l'indépendance du pays et, en particulier, pour
l'indépendance d’Houphouët, il est facile de deviner qu'à travers la
prépondérance de la Côte d'Ivoire, c'est, en réalité, la domination des
intérêts français basés à Abidjan qui s'exerce sur la Haute-Volta, le Niger, le
Bénin et le Togo.
On pourrait définir le Conseil de l'Entente comme une
réduction, à l’échelle sous-régionale, du champ de la diplomatie
néo-colonialiste en Afrique. Le rôle qu'y tient le dirigeant ivoirien n'est que
le rôle d'un intermédiaire ou d’un comparse. Et telle est bien sa position sur
l'échiquier africain. En matière de relations interafricaines, en effet, la
Côte d’Ivoire d’Houphouët n'a jamais fait sa propre politique, mais elle a
toujours fait la politique de la France et de ses alliés. »
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