« …Au-delà de la convergence de vues qui a rendu possible l’histoire de M. Koulibaly avec le FPI,
l’adhésion de cet intellectuel au FPI n’est pas une démarche spontanée et volontaire. »
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Mamadou
Koulibaly est un intellectuel brillant. Il écrivait donc des analyses
brillantes quand son destin croisa celui de Gbagbo Laurent qui lui demanda de
se joindre à lui et ses camarades plutôt que de lutter seul de son côté. Ainsi
le libéral qu’il est adhéra au FPI, un parti de gauche qui était parfaitement
en phase avec lui sur la question du franc CFA, et sur bien d’autres points, en
particulier, la dénonciation de la politique économique alors menée par le
président Houphouët qui était caractérisée par des monopoles et des privilèges
indus de toutes sortes que combattaient Gbagbo et ses camarades. Sans doute
faudrait-il aussi noter que l’opposant Gbagbo ne mettait pas en cause
l’entreprenariat privé, parce que les planteurs du cacao dont la Côte d’Ivoire
est le premier producteur au monde sont des entrepreneurs privés. Il y avait
aussi la question des libertés. Bref… Ce qu’il faut retenir, au-delà de la
convergence de vues qui a rendu possible l’histoire de Mamadou Koulibaly avec
le FPI, c’est que l’adhésion de cet intellectuel au FPI n’est pas une démarche
spontanée et volontaire.
Le libéral qu’il est était donc venu au
FPI pour servir de force d’appoint à ce parti. Son adhésion au FPI n’était pas
non plus par goût pour la politique, et la suite de cet article va le démontrer
amplement.
Le grand public commence à découvrir
Koulibaly sous la transition militaire. Il est l’un des ministres choisis par
Gbagbo pour porter l’étendard du FPI. Il servira au budget. Puis, quand Gbagbo
Laurent remporte l’élection présidentielle de 2000, il atterrit au ministère de
l’économie et des finances où il se fera remarquer par sa volonté de lutter
contre les fraudes, et particulièrement contre les fraudes aux impôts. Il
marquera ainsi les esprits, notamment par cette descente dans les bureaux de
Hijazi, un homme d’affaires qui sera traduit devant les tribunaux.
Sa fougue est débordante. Il créera même
la polémique en évoquant publiquement la nécessité d’un retrait de la Côte
d’Ivoire du Franc CFA. Interrogé en 2001 sur les ondes de la radio Africa N° 1,
le président Gbagbo ne le désavoue pas et préfère botter en touche. ”Ce que le ministre a dit est très bien,
mais ce n’est pas dans mon programme” dit-il, sans doute pour ne pas
dévoiler trop vite ses cartes.
Mamadou Koulibaly aura souvent maille à
partir avec ses camarades du FPI pour ses sorties fracassantes, mais
bénéficiera toujours de l’indulgence indéfectible du président Gbagbo.
Après le renversement du président
Gbagbo par l’armée française, l’homme pense que son heure est arrivée, et
essaie d’effacer les traces de celui qui l’a fait venir au FPI, en voulant
changer le nom de ce parti et son idéologie. Il échoue et démissionne du FPI le
11 juillet 2011 pour créer un parti, LIDER, un mois plus tard le 11 août 2011.
Un parti qui a aujourd’hui beaucoup de mal à trouver un espace dans le paysage
politique ivoirien. Mais qu’à cela ne tienne, Mamadou Koulibaly compte se
présenter à l’élection présidentielle que veut organiser le régime Ouattara en
2015. Par goût pour la politique ?
Et pourtant, alors président intérimaire
du FPI, il menaçait de quitter la politique pour reprendre la craie, si ses
propositions de changer profondément le FPI étaient rejetées. Il disait aussi
ne pas pouvoir créer un parti ”parce
qu’il faut beaucoup d’argent pour créer un parti“, avant d’en créer
finalement un.
Alors pourquoi Mamadou Koulibaly continue-t-il
de faire de la politique alors que toute son histoire montre que le technocrate
qu’il est n’a jamais voulu être un homme politique, et qu’il doit sa carrière
politique essentiellement à Laurent Gbagbo ?
Nous avons déjà vu comment il est arrivé
au FPI, nous allons maintenant lui laisser la parole pour qu’il nous raconte la
suite puisque, interrogé sur la chaîne de télévision camerounaise STV2, il
explique lui-même comment il est devenu député et comment finalement il a atterri
à la présidence de l’Assemblée nationale.
« Pour l’assemblée nationale, ce
qui s’est passé, à mon niveau en tout cas, il (le président Gbagbo) m’a demandé
d’aller être député à Koumassi. Ça ne m’intéressait pas d’être député. Il m’a
dit : ”Si, si, il faut y aller pour faire
gagner notre liste”. J’y suis allé, notre liste a gagné », dit Mamadou
Koulibaly pour expliquer comment il est devenu député. Et voici ce qu’il dit
pour la présidence de l’assemblée nationale : « Et puis, il me dit : ”Bon, tu vas aller présider l’assemblée
nationale”. Je lui demande : Qu’est-ce que je vais y faire ? ”Il faut que tu ailles connaitre du pays,
que tu fasses un peu plus de politique. L’assemblée est relativement calme. Tu
as très peu de choses à faire à l’ouverture de la session, un discours à la
session de clôture. Ça te laisse du temps pour parcourir la Côte d’Ivoire,
mieux connaître les Ivoiriens, faire plus de politique que de technocratie. Et
puis tu vas te reposer parce que la transition militaire t’a vraiment épuisé”. Ce
que je trouvais bien : sortir des bureaux, aller parler au peuple, rencontrer
le peuple, et j’ai donné mon accord. La seule condition que le président Gbagbo
m’avait imposée : "Tu y vas, mais il
faut me trouver un successeur au ministère des Finances". Ce que j’ai
fait. Mon directeur de cabinet, c’était Bohoun Bouabré. J’ai dit à Bohoun
Bouabré : Tu viens prendre ma place, je vais faire un peu de politique ».
Voilà donc ce que dit Mamadou Koulibaly dans
cette fameuse interview, et qui renseigne sur la façon dont cet homme est
arrivé à être le dauphin constitutionnel dans la République. On voit à travers
ce témoignage qu’il a été constamment poussé dans le dos par le président
Gbagbo dont la sollicitude particulière à l’égard d’un homme parmi tant
d’autres peut susciter des questions dont celle-ci qui suit : Pourquoi donc
Laurent Gbagbo demandait-il à Mamadou Koulibaly de « parcourir la Côte d’Ivoire, mieux connaître les Ivoiriens, faire
plus de politique que de technocratie » ? Aurait-il décidé secrètement
d’en faire son successeur ? Car cette démarche s’inscrit nécessairement dans la
logique d’un destin national. Quand on parcourt la Côte d’Ivoire, ce n’est pas
pour être élu dans une région. Sinon, il suffirait seulement de parcourir la
région convoitée.
Mieux, au moment où le président Gbagbo
proposait à Mamadou Koulibaly le poste de président de l’Assemblée nationale,
ce dernier n’était encore qu’un illustre inconnu. Ce qui interroge encore plus
sur la logique du président Gbagbo car pour le hisser sur le perchoir de
l’assemblée, il avait dû écarter Emile Boga Doudou, un compagnon de route de la
première heure, qui avait dû se contenter d’un poste de ministre d’Etat,
ministre de l’Intérieur.
Gbagbo, qui avait dit un jour qu’« un ressortissant du Nord sera un jour
président de la Côte d’Ivoire », pensait-il à Mamadou Koulibaly dont
beaucoup d’Ivoiriens, y compris moi, pensaient que le fauteuil présidentiel lui
était destiné ? En tout cas, au vu de tout ce qui précède, il ne serait pas
incongru de le penser.
En voulant « tuer » l’homme
qui l’a fait, et en voulant détruire son œuvre, l’œuvre d’une vie de
sacrifices, alors que même en prison, Laurent Gbagbo n’en est pas moins en vie
et demeure dans une posture de lutte, Mamadou Koulibaly a, semble-t-il, irrémédiablement
ruiné tout le capital sympathie engrangé auprès des populations et de beaucoup
de patriotes.
Quel gâchis !
Alexis Gnagno
Titre
original : « Comment Gbagbo a fait l’homme politique Mamadou Koulibaly ».
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