mardi 12 juillet 2016

Dynamisme et négligences : les paradoxes de l’édition ivoirienne.*

H. N'Koumo
Interview d’Henri N'Koumo, Directeur du livre au ministère de la Culture et de la Francophonie.

Le nombre d'écrivains en Côte d'Ivoire est passé de 200, en 2000 à 450, en 2016. Comment expliquez-vous cela ?
C’est une bonne chose que de constater la présence dans les librairies et bibliothèques, ainsi que dans les autres espaces de promotion du livre, d'un nombre de plus en plus important d’écrivains ivoiriens. La grande étude faite par le Pr Bruno Gnaoulé-Oupoh dans son ouvrage « La Littérature ivoirienne », dans lequel il fait le point des publications d’auteurs de notre pays, de la naissance de la naissance de cette littérature en 1933 à 2000 est à saluer. Cette étude est des plus éclairantes sur la vie de notre littérature et de ses acteurs. Les chiffres que vous communiquez sont exacts : il y a, actuellement, un peu plus de 470 écrivains actifs. Ce chiffre devrait être porté à 500 en 2017, si la fréquence actuelle des publications de nouveaux auteurs est maintenue. Ce qui explique cette présence massive de jeunes auteurs, c’est la démocratisation de l’accès à l’édition. Avant 2000, il y avait très peu d’éditeurs, et leur fréquence de publications en littérature générale n’était pas accélérée. Les auteurs avaient, souvent, plusieurs de leurs manuscrits dans les tiroirs des éditeurs. Dans cette situation, il n’était pas toujours fait place aux jeunes auteurs. Ces derniers étaient contraints à une attente qui parfois durait plusieurs années, ce qui ramollissait leur enthousiasme, ainsi que celui de tous les autres candidats à la publication.

Comment expliquez-vous cette démocratisation ?
Aujourd'hui le visage de l’édi­tion ivoirienne a changé. L’Association des éditeurs ivoiriens (Assedi) enregistre dans ses rangs vingt maisons d'édi­tion. Il s'agit de maisons d’édition qui ont choisi de vivre la fraternité de l'édition au sein de cette association. Cependant mes services dénombrent, à ce jour, qua­rante-trois maisons d’édition. Les dernières sont Africa Reflets Editions, créée par M. Roger Ozé, un ancien des éditions CEDA, et Eden Editions, créée par des critiques littéraires. Bien de nou­velles maisons d'édition accor­dent une grande place aux jeunes écrivains. Tel est le cas des Nouvelles Editions Balafons qui ont donné leur chance à une centaine de jeunes auteurs au moins. Dans cet ensemble, il y a des plumes heureuses, belles, qui devraient valoir des lauriers à notre pays dans les pro­chaines années. Les maisons plus anciennes nous font découvrir également de jeunes auteurs talentueux, au souffle important, à l'écriture mûre, comme Attita Hino, lauréate du Prix national du Jeune Ecrivain 2014, pour son roman « Le grand masque a menti », ouvrage publié par Nei-Ceda.

Le ministre de la Culture et de la Francophonie a déclaré, lors du dernier Salon international du livre d'Abidjan, que des livres étaient truffés de fautes. Comment jugez jugez-vous cela ? A qui la responsabilité ?
La Côte d’Ivoire a eu une tra­dition du livre : ses ouvrages sont connus pour être de qualité. C'est ce qui nous vaut d'être cité en exemple lors des rencontres des profession­nels du livre en Afrique. Depuis que les moyens d'im­pression se sont démocratisés et que l'édition est devenue un métier plus accessible, bien des jeunes éditeurs se lancent dans l'arène sans une prépara­tion solide. La conséquence est que le livre ivoirien connaît désormais des faiblesses aussi bien au plan des techniques de fabrication que du contenu. Certains livres sont édités sans aucun soin, et leur contenu souffre de la présence fâcheu­se, pas seulement de coquilles, mais de fautes de divers types. Le ministre a attiré l'attention des éditeurs et des acteurs de la chaîne du livre sur cette situation navrante qui dessert le livre ivoirien, ainsi que le métier d’éditeur dans notre pays. Cette situation n’est pas tolérable. Il nous appartient de prolonger la qualité du livre ivoirien, dans le droit fil de l'héritage que nous ont laissé nos devanciers : tel est l'appel du ministre.

Dans ce cas, quelles sont les dispositions prises par le ministère pour contrer cette avancée ?
En ces moments où le ministè­re conduit diverses actions pour que nos compatriotes fassent du livre un ami et que le livre de Côte d'Ivoire soit visible dans les grands Salons, dans le monde, il n'est pas acceptable que tous ces efforts soient mis à mal par des éditeurs peu soucieux de leurs devoirs professionnels. Des efforts sont faits par l'Association des éditeurs ivoiriens et le ministère pour que les éditeurs fautifs se ressaisissent. Ces efforts doivent permettre à tous les éditeurs de marcher d'un même pas vers la qualité de leurs publi­cations et la grandeur du livre ivoirien. C'est dans cet esprit qu'a été organisé récemment, à l’Insaac, avec l'appui de l'am­bassade d'Espagne, un atelier dont le titre est tout un programme : « La passion du livre pour une édition de qualité en Côte d'Ivoire ».

Y a-t-il des conditions pour mettre en place une maison d'édition ?
Les maisons d'édition sont créées selon les principes de base de création des entreprises commerciales. Il leur est exigé un registre de commerce et toute la petite paperasse qui va avec. Cette façon de faire a été heureuse, pour la vie du livre pendant une période donnée. Aujourd'hui dans le cadre du renforcement de la professionnalisation du secteur du livre et de sa pro­tection, cela ne suffira plus. Désormais, il est demandé aux éditeurs désireux d'adhérer à l'Association des éditeurs ivoiriens d'avoir un siège connu et fonctionnel. Ce siège fait l'objet d'une visite, puis d'une deuxième visite six mois plus tard, pour que l’on s’assure de son fonctionne­ment effectif. Mieux, la Loi portant industrie du livre, qui a été promulguée, permettra de nettoyer les écuries d'Augias.

Que dit cette loi ?
Les décrets d'application de cette loi sur lesquels nous travaillons actuellement sous la houlette du ministre, devraient imposer aux éditeurs d’avoir un agrément en bonne et due forme. Cet agrément sera comme une feuille de route pour tous ceux qui veulent faire métier d’éditeur. Il per­mettra de renforcer les méca­nismes de gouvernance dans le monde de l'édition, et écartera les mauvais éditeurs qui font vivre des jours peu relui­sants au livre ivoirien. Par ailleurs, la Loi autorisant la mise en place d’un Fonds de développement du livre, les décrets d’application pour­raient permettre la création d'une ligne budgétaire pour la formation continue des édi­teurs et de leur personnel. Sur la base de cette loi, bien d'autres leviers devant per­mettre de faire grandir nos maisons d'édition font l'objet d'études actuellement.

Selon vous, quelles sont les conditions pour qu'une maison d'édition publie des manuscrits des jeunes auteurs ?
Les éditeurs travaillent, en premier chef, sur les manuscrits que leur soumettent les auteurs. Chaque maison d'édi­tion a sa ligne éditoriale propre et le type d'écrivain dont il entend publier les livres. Certains misent sur des écrivains déjà accomplis, pour s'assurer une bonne vente commerciale sur le livre à publier. D'autres choisissent de révéler des nouveaux auteurs dont le talent est porteur d'é­nergie et de grandeur. Ces maisons d'édition, souvent, jouent presque leur destin commercial et leur survie, sur la qualité de chaque auteur à publier. En effet ce sont sou­vent les recettes des premières publications qui permettent de maintenir la chaîne des publications. Si ces maisons sont encore en fonction, c'est parce qu’elles tiennent bien la route et ont des choix éditoriaux bien sentis. Miser sur de jeunes auteurs est un défi que relèvent assez bien certaines de nos jeunes maisons d'édi­tion.

Interview réalisée par Renaud Djatchi
(*) Titre original : « Les fautes dans les livres, c’est intolérable ».

Source : LGInfos 11 juillet 2016

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