H. N'Koumo |
Interview
d’Henri N'Koumo, Directeur du livre au ministère de la Culture et de la
Francophonie.
Le
nombre d'écrivains en Côte d'Ivoire est passé de 200, en 2000 à 450, en 2016. Comment
expliquez-vous cela ?
C’est une bonne chose que de constater la
présence dans les librairies et bibliothèques, ainsi que dans les autres espaces
de promotion du livre, d'un nombre de plus en plus important d’écrivains ivoiriens.
La grande étude faite par le Pr Bruno Gnaoulé-Oupoh dans son ouvrage « La Littérature ivoirienne »,
dans lequel il fait le point des publications d’auteurs de notre pays, de la naissance
de la naissance de cette littérature en 1933 à 2000 est à saluer. Cette étude est
des plus éclairantes sur la vie de notre littérature et de ses acteurs. Les chiffres
que vous communiquez sont exacts : il y a, actuellement, un peu plus de
470 écrivains actifs. Ce chiffre devrait être porté à 500 en 2017, si la fréquence
actuelle des publications de nouveaux auteurs est maintenue. Ce qui explique cette
présence massive de jeunes auteurs, c’est la démocratisation de l’accès à l’édition.
Avant 2000, il y avait très peu d’éditeurs, et leur fréquence de publications
en littérature générale n’était pas accélérée. Les auteurs avaient, souvent,
plusieurs de leurs manuscrits dans les tiroirs des éditeurs. Dans cette situation,
il n’était pas toujours fait place aux jeunes auteurs. Ces derniers étaient contraints
à une attente qui parfois durait plusieurs années, ce qui ramollissait leur
enthousiasme, ainsi que celui de tous les autres candidats à la publication.
Comment
expliquez-vous cette démocratisation ?
Aujourd'hui le visage
de l’édition ivoirienne a changé. L’Association des éditeurs ivoiriens
(Assedi) enregistre dans ses rangs vingt maisons d'édition. Il s'agit de
maisons d’édition qui ont choisi de vivre la fraternité de l'édition au sein de
cette association. Cependant mes services dénombrent, à ce jour, quarante-trois
maisons d’édition. Les dernières sont Africa
Reflets Editions, créée par M. Roger Ozé, un ancien des éditions CEDA, et Eden Editions, créée par des critiques
littéraires. Bien de nouvelles maisons d'édition accordent une grande place
aux jeunes écrivains. Tel est le cas des Nouvelles Editions Balafons qui ont donné
leur chance à une centaine de jeunes auteurs au moins. Dans cet ensemble, il y
a des plumes heureuses, belles, qui devraient valoir des lauriers à notre pays
dans les prochaines années. Les maisons plus anciennes nous font découvrir
également de jeunes auteurs talentueux, au souffle important, à l'écriture
mûre, comme Attita Hino, lauréate du Prix national du Jeune Ecrivain 2014, pour
son roman « Le grand masque a menti », ouvrage publié par Nei-Ceda.
Le
ministre de la Culture et de la Francophonie a déclaré, lors du dernier Salon
international du livre d'Abidjan, que des livres étaient truffés de fautes. Comment
jugez jugez-vous cela ? A qui la responsabilité ?
La Côte d’Ivoire a eu une tradition du
livre : ses ouvrages sont connus pour être de qualité. C'est ce qui nous
vaut d'être cité en exemple lors des rencontres des professionnels du livre en
Afrique. Depuis que les moyens d'impression se sont démocratisés et que
l'édition est devenue un métier plus accessible, bien des jeunes éditeurs se
lancent dans l'arène sans une préparation solide. La conséquence est que le
livre ivoirien connaît désormais des faiblesses aussi bien au plan des
techniques de fabrication que du contenu. Certains livres sont édités sans
aucun soin, et leur contenu souffre de la
présence fâcheuse,
pas seulement de coquilles, mais de fautes de divers types. Le ministre a
attiré l'attention des éditeurs et des acteurs de la chaîne
du livre sur cette situation navrante qui dessert le livre ivoirien, ainsi que
le métier d’éditeur dans notre pays. Cette situation n’est pas tolérable. Il
nous appartient de prolonger la qualité du livre ivoirien, dans le droit fil de
l'héritage que nous ont laissé nos devanciers : tel est l'appel du
ministre.
Dans
ce cas, quelles sont les dispositions prises par le
ministère pour contrer
cette avancée ?
En ces moments où le
ministère conduit diverses actions pour que nos compatriotes fassent du livre
un ami et que le livre de Côte d'Ivoire soit visible dans les grands Salons,
dans le monde, il n'est pas acceptable que tous ces efforts soient mis à mal
par des éditeurs peu soucieux de leurs devoirs professionnels. Des efforts sont
faits par l'Association des éditeurs ivoiriens et le ministère pour que les
éditeurs fautifs se ressaisissent. Ces efforts doivent permettre à tous les éditeurs
de marcher d'un même pas vers la qualité de leurs publications et la grandeur
du livre ivoirien. C'est dans cet esprit qu'a été organisé récemment, à l’Insaac,
avec l'appui de l'ambassade d'Espagne, un atelier dont le titre est tout un programme
: « La passion du
livre pour une édition de qualité en Côte d'Ivoire ».
Y
a-t-il des conditions pour mettre en place une maison d'édition ?
Les maisons d'édition
sont créées selon les principes de base de création des entreprises
commerciales. Il leur est exigé un registre de commerce et toute la petite
paperasse qui va avec. Cette façon de faire a été heureuse, pour la vie du
livre pendant une période donnée. Aujourd'hui dans le cadre du renforcement de
la professionnalisation du secteur du livre et de sa protection, cela ne
suffira plus. Désormais, il est demandé aux éditeurs désireux d'adhérer à
l'Association des éditeurs ivoiriens d'avoir un siège connu et fonctionnel. Ce
siège fait l'objet d'une visite, puis d'une deuxième visite six mois plus tard,
pour que l’on s’assure de son fonctionnement effectif. Mieux, la Loi portant
industrie du livre, qui a été promulguée, permettra de nettoyer les écuries
d'Augias.
Que
dit cette loi ?
Les décrets
d'application de cette loi sur lesquels nous travaillons actuellement sous la
houlette du ministre, devraient imposer aux éditeurs d’avoir un agrément en
bonne et due forme. Cet agrément sera comme une feuille de route pour tous ceux
qui veulent faire métier d’éditeur. Il permettra de renforcer les mécanismes
de gouvernance dans le monde de l'édition, et écartera les mauvais éditeurs qui
font vivre des jours peu reluisants au livre ivoirien. Par ailleurs, la Loi
autorisant la mise en place d’un Fonds de développement du livre, les décrets d’application
pourraient permettre la création d'une ligne budgétaire pour la formation
continue des éditeurs et de leur personnel. Sur la base de cette loi, bien
d'autres leviers devant permettre de faire grandir nos maisons d'édition font
l'objet d'études actuellement.
Selon
vous, quelles sont les conditions pour qu'une maison d'édition publie des
manuscrits des jeunes auteurs ?
Les
éditeurs travaillent, en premier chef, sur les manuscrits que leur soumettent
les auteurs. Chaque maison d'édition a sa ligne éditoriale propre et le type
d'écrivain dont il entend publier les livres. Certains misent sur des écrivains
déjà accomplis, pour s'assurer une bonne vente commerciale sur le livre à
publier. D'autres choisissent de révéler des nouveaux auteurs dont le talent
est porteur d'énergie et de grandeur. Ces maisons d'édition, souvent, jouent
presque leur destin commercial et leur survie, sur la qualité de chaque auteur
à publier. En effet ce sont souvent les recettes des premières publications
qui permettent de maintenir la chaîne des publications. Si ces maisons sont
encore en fonction, c'est parce qu’elles tiennent bien la route et ont des choix
éditoriaux bien sentis. Miser sur de jeunes auteurs est un défi que relèvent
assez bien certaines de nos jeunes maisons d'édition.
Interview réalisée par Renaud Djatchi
(*) Titre original : « Les fautes dans
les livres, c’est intolérable ».
Source
: LGInfos
11 juillet 2016
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