vendredi 22 juillet 2016

Burkina Faso : Et si le triumvirat avait déjà perdu le pouvoir ?*

Dessin de Glez
Ceci est l’analyse politique d’un début de règne qui ressemble étrangement à la fin de règne d’un autre dinosaure politique qui a été désarçonné par son peuple.
Le mercredi 13 juillet 2016, à la RTB-télé, au moment du point de presse sur les décisions du conseil de ministres, est apparu un ministre de la communication totalement désemparé qui a perdu son enthousiasme et son volontarisme de départ lorsqu’il rentrait pour la première fois au gouvernement.
Mieux, dans un scénario parfaitement bien construit pour faire comprendre au peuple que la sérénité ne régnait plus dans le régime, la RTB a fait suivre l’interview du Président, qui une fois de plus chargeait la Transition, en nous rebattant les oreilles avec cette énième histoire de caisses de l’État vides. C’est une situation qui inspire à tout analyste sérieux la réflexion suivante : le trio Roch, Salifou et Simon (RSS) vient-il de perdre le pouvoir ?
Au début du régime RSS, nous avons fait plusieurs alertes et proposé des pistes de solutions parce qu’il nous semblait évident que l’intérêt supérieur de ce pays devait primer sur tout autre intérêt. Beaucoup d’autres personnes plus avisées des questions politiques, économiques et sociales ont également donné les mêmes alertes. Mais le RSS n’en a eu cure !
On pourrait citer la question sécuritaire, la question de la réforme de la gouvernance administrative, la question de la réconciliation et de la justice, la question de l’économie, la question de la grève du zèle, etc., qui sont passées sans complaisance sous notre plume.
En fait, depuis le début, la vision trop idéaliste de la gestion de l’État qu’a le président du Faso, exposée en grandeur nature dans son projet de société idéaliste et irréaliste, a déteint sur toute la politique du gouvernement, et nous l’avions dit à l’époque lorsque nous avons prévenu que la discours de politique générale de Thiéba était démagogique. À cela on nous a répondu qu’il fallait prier Dieu pour qu’il réussisse tout ce qu’il a promis.
Mais le management public moderne est une science qui se rapproche par ses méthodes et les outils d’aide à la décision, de plus en plus perfectionnés et de haute qualité technique et scientifique, vers la grande famille des sciences exactes qui ne saurait se contenter de telles pensées peu accommodantes et incantatoires, implorant la pitié et la clémence à la limite.
Il s’agit là d’un appel à la clémence qui a été désavoué seulement quelques semaines après par une forte abstention aux municipales, puis l’accentuation de la grève du zèle et un rythme accru des grèves d’agents publics qui laisse entrevoir un chaos à l’horizon si rien n’est fait. Pire, ces derniers jours, le laboratoire politique national, l’Arrondissement 4 de Ouagadougou, vient de donner son verdict. Il est sans ambigüité.
Tout comme avec Blaise, l’Arrondissement 4 reste une citadelle imprenable, même par des méthodes peu orthodoxes. Pour les RSS, le glas semble avoir sonné ! L’Assemblée nationale aussi risque de leur échapper à la prochaine rentrée politique, avec les défections de petits partis alliés, les contestations au sein du PAREN et un UNIR-PS réduit en peau de chagrin qui n’honore guère les idéaux qu’il prétend défendre.
Je ne voudrais pas jouer à l’oiseau de mauvais augure, mais il est grand temps que le RSS se réveille de son sommeil, parce que la réalité du pouvoir est tout autre et la gestion moderne de l’État est loin d’être une science qui se satisfait des approximations. En effet, j’ai toujours dit qu’avec un paquet de ressources informationnelles, temporelles, matérielles, financières et humaines utilisées à des dosages constants, on obtient invariablement le même résultat, quel que soit l’endroit de l’univers dans lequel on se trouve. Le tout dépend de la machine qui va transformer ces ressources, c’est-à-dire de l’appareil administratif. C’est pourquoi, la seule réforme dont a véritablement besoin le Burkina Faso aujourd’hui, c’est la réforme de la gouvernance administrative.
Au lieu de cela, c’est la question inopportune et coûteuse de la réforme constitutionnelle qui est proposée, c’est-à-dire comment conserver le pouvoir dans une dévolution entre amis. À travers les indications données sur l’orientation de cette nouvelle constitution, par Salifou Diallo et le Président Roch, on devine leurs intentions : un régime parlementaire qui concentre le pouvoir entre les mains de Salifou Diallo et Roch Kaboré. Peut-être fait à dessein pour éjecter Tebdjéré, si c’est de façon concertée ! Sinon, il faut craindre encore un autre coup de Salifou, qui a fait de Roch le roi qu’il est.
Dans cette seconde hypothèse, on comprend mieux pourquoi Salifou s’est empressé de prendre le perchoir : faire semblant de ne pas vouloir être roi, puis nous rejouer peut-être le coup de Blaise à Sankara, une espèce de scénario à la turque, version Rejep Taïp Erdogan. De sources généralement bien informées, ce serait bien Salifou Diallo qui aurait vendu cette idée à Blaise en 2013.
Le refus de Blaise d’y souscrire lui aurait alors valu son sort actuel. Peut-être parce que Salifou sentait son heure venir et l’attente trop longue à son goût ! Mais tout ceci n’est qu’hypothèses… Et pourtant, si cela s’avérait, l’explication du refus de Blaise de pardonner à ses anciens copains et le pourquoi de l’asphyxie artificielle de l’économie burkinabè, malgré les efforts des populations, sont trouvés.
S’il est vrai que le numéro 2 lorgne depuis toujours sur la place du numéro 1, comme le prédisait Norbert Zongo, alors que celui-ci ne veut plus d’autre numéro, et que le numéro 3 aimerait bien être à la place du numéro 2 parce qu’il s’estime grugé et qu’on lui aurait confié le costume le plus mal taillé à sa forme et ses capacités politiques et managériales, la solution serait de mettre fin à cette guéguerre et de trouver un cobaye politique pour relancer un pays plus que jamais dans l’incertitude.
Un cobaye politique qui voudrait bien être le mouton du sacrifice, ayant les capacités intellectuelles et politiques pour réformer l’appareil d’État, mais aussi pour rassembler les citoyens autour de l’essence de l’État et de la citoyenneté, afin de mettre en œuvre, de façon consensuelle, les réformes économiques qu’il faut à ce pays. Y a-t-il quelqu’un d’aussi courageux et compétent parmi les hommes politiques burkinabè pour porter un tel costume ?
Peut-être a-t-on vraiment raté le coche avec le rejet du pertinent recours d’Ablassé Ouédraogo contre la candidature de Roch Marc Christian Kaboré à l’élection du président du Faso du 29 novembre 2015. Avec le temps, on s’aperçoit que c’était un recours utile pour rechercher un jeu politique plus équilibré avec des acteurs moins impliqués et moins immergés dans la gouvernance passée. Certes, il est mal de contester une décision de justice, mais ce recours avait les qualités, selon les échos, pour être solide, juste, légitime et juridiquement prospère pour l’avenir de ce pays.
Avec le recul on est tenté de se demander : « Et si Ablassé avait tort d’avoir eu raison trop tôt ? ». Aujourd’hui, la situation politique, économique et sociale nationale est plus que jamais grippée. Les ministres et leur chef sont presque dans une situation de désarroi, avec des paroles inaudibles ou des décisions qui ne sont pas contestées, mais que le peuple refuse d’exécuter : encore de la grève du zèle !


Simon Compaoré, accumule les désaveux flagrants de ses supérieurs hiérarchiques et les railleries de ses administrés
Tout récemment, on l’a vécu dans le dialogue de sourd entre le ministre de la Santé et les commerçants installés aux abords de l’hôpital Yalgado. Pire, et cela est insoutenable, le ministre le plus contesté et le plus décrié du gouvernement Kaba Thiéba, l’un des RSS, Simon Compaoré, accumule les désaveux flagrants de ses supérieurs hiérarchiques et les railleries de ses administrés, comme les Koglweogo qui rejettent les décisions du gouvernement les concernant, dans la gestion de la sécurité de notre pays. Est-ce que le Rubicon n’a pas été allègrement franchi pour que notre Tebdjéré national rende sa démission pour sauver sa dignité et son honneur ?
Il y a eu certes quelques progrès sur la circulation routière, avec beaucoup moins d’enjeux économiques, politiques et sociaux comme l’ont la sécurité intérieure et la souveraineté nationale. C’est justement sur ses terrains de prédilection qu’il a fait l’objet du désaveu de son patron, le président du Faso, avec l’affaire des responsables du CDP empêchés de voyager, ou encore l’affaire Koglweogo où il a suffi d’un simple portevoix du président, le conseiller spécial Tankoano, qui le rappelle vertement à l’ordre par une annonce surprise du démantèlement prochain des Koglweogo sans mort d’hommes. Une actualité récente nous montre qu’il n’a pas fallu autant d’humiliation à Christiane Taubira pour jeter à Hollande son portefeuille de ministre de la Justice.
Lorsque le régime de Blaise atteignait son déclin, c’est cette même situation d’anarchie qui se répandait comme une traînée de poudre dans chaque catégorie socioprofessionnelle, dans chaque contrée du pays. Aujourd’hui, si le gouvernement et le président se confondent presque quotidiennement en excuses pour des actes qu’ils ont posés ou manqués de poser, ou bien s’ils implorent la clémence des uns et des autres c’est tout le pays qui est en danger, parce que de mémoire d’homme, je n’ai jamais vu un pays prospérer sur un tel sentier. Le pouvoir, l’État, doit simplement être fort, comme aux États-Unis, s’il veut être pérenne.


Le pays a d’énormes potentialités
Et pourtant, le pays a d’énormes potentialités. D’abord son appartenance à l’UEMOA et à la BCEAO. Lorsque l’on analyse les résultats économiques de la BCEAO, malgré les dévaluations, l’on n’a aucune souvenance de zones de turbulences traversées par cette banque, contrairement aux banques centrales européennes et américaines. C’est un bon signe ! En outre, les possibilités d’élargissement de l’assiette fiscale sont énormes, et les flux financiers qui échappent au contrôle de l’État, ahurissants.
Mais seule une organisation méthodique de l’État, portée par une réforme de la gouvernance de l’appareil chargé de drainer ses flux vers les caisses de l’État pourrait sauver le pays du chaos et impulser le développement. Mais qui a vraiment intérêt sous ce régime RSS à ce que ce genre de réforme voie effectivement le jour, s’il est vrai que le MPP s’est très bien préparé à prendre le pouvoir, mais pas à le gérer comme le dit le chef de file de l’opposition (CFOP), comme si sa victoire l’avait surpris.
La condition sine qua non pour relancer l’État est le changement de mentalité et de pratique politique des RSS. Le 21ème siècle, ère du numérique, n’est pas celui de l’ignorance qui caractérisait les années 80 et 90, celles de leur apogée ! Les RSS gagneraient par exemple à comprendre que dans cette ère-là, c’est l’information qui est reine.
Naturellement elle précède le droit. Parfois c’est elle qui impose la norme et crée le droit. On l’a vu en 2008 où la crise financière s’est répandue assez rapidement grâce à l’interconnexion des pays, et où le Vatican lui-même s’est impliqué et a exhorté les dirigeants des pays développés à assainir les finances mondiales.
L’information a donc obligé ceux-ci à légiférer sur la gestion des finances mondiales et créer de nouvelles règles de gestion financière pour juguler la crise. Donc l’information est susceptible de faire bouger les normes canoniques, en raffinant leur interprétation, et les normes modernes. C’est pour cette raison que la hiérarchie des pouvoirs au sein des États modernes semble en pratique avoir été bouleversée.


En voulant s’engager dans le bras de fer avec les informaticiens, l’État burkinabè a mis a nu toute son impuissance
Les États modernes ne fonctionnent plus sur la base du droit, uniquement comme des États de droits, mais des États de l’information qui utilisent le droit comme une simple ressource pour organiser la vie, au même titre que toutes les autres ressources, avec l’informatique (information numérique dans sa version soft) comme le seul outil de la gouvernance de l’État.
En voulant s’engager dans le bras de fer avec les informaticiens, l’État burkinabè a mis à nu toute son impuissance. Le régime RSS n’aura probablement que ses yeux pour pleurer parce que la rentrée politique 2016-2017 s’annonce des plus chaudes avec le retard sur la mise en œuvre de la loi 081, les revendications corporatistes et la surenchère des prétentions salariales et indemnitaires qu’il a occasionnés en ouvrant la caverne d’Ali-Baba aux magistrats, sous l’œil intéressé de Bassolma Bazié et ses copains de l’Unité d’action syndicale (UAS).


Même si Zida se résolvait à faire face à la justice de son pays, tout ne redeviendra pas rose pour autant 
En sept mois de vie, le régime RSS, à défaut d’être capable de faire de la gestion de l’État, a fait l’état de la gestion, mais exclusivement de la Transition, à laquelle il était pourtant partie prenante, et même officieusement très impliqué. On n’a pas besoin d’aimer le Zida-politique, pour savoir que le problème du Burkina Faso aujourd’hui n’est pas le général Zida. Je me souviens que personnellement je n’ai pas eu de sympathie pour le Zida-politique, et beaucoup d’occasions m’ont été offertes de lui dire de ne pas accepter d’être reconduit parce qu’il en souffrirait. Aujourd’hui, la justice veut l’entendre et il doit avoir le même courage qu’il a eu lorsqu’il a accepté le poste.
Même si Zida se résolvait à faire face à la justice de son pays, tout ne redeviendra pas pour autant rose, comme on veut nous obliger à le croire. Ce qu’il semble avoir puisé n’est qu’une broutille comparativement à ce que le pays a perdu et continue de perdre dans la crise et son prolongement.
 À l’interne et à l’externe, dans les relations établies et la froideur qui les caractérise, il est plus que probable que les RSS viennent de perdre le pouvoir. Il y a des signes qui ne trompent pas et à chacun de faire maintenant face à son passé avec courage et dignité.
À défaut de trouver d’autres ressources pour organiser d’autres élections plus propres pour sauver le Burkina Faso, il faut lui trouver un cobaye pour faire la vraie réforme de l’État de manière désintéressée, afin que la cupidité, l’incompétence et l’avidité notoires de certains de ses fils ne puissent plus jamais être un joug pesant pour son développement.

Ousmane Djiguemdé
(*) - Titre original : « Et si les RSS venaient de perdre le pouvoir ? »

Source : Burkina24, 21 juillet 2016

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