mercredi 6 juillet 2016

Les paradoxes de Michel Rocard

Dessin de Chaunu (L'Est-Eclair 04/07/2016)
Michel Rocard s'en va sur un succès et sur d'immenses échecs. Alors qu'il a enfin conquis à ses idées une majorité de l'appareil socialiste, leur mise en œuvre par son poulain, Manuel Valls, s'avère un désastre pour l'influence de son parti, le fonctionnement de la société et les idéaux que l'ancien leader du PSU assurait conserver. La modernité qu'il décernait à la conversion aux marchés se traduit par des régressions sociales d'ampleur ; alors qu'il a participé à la conversion de la CFDT à des « gentlemen's agreements » avec le patronat, c'est le capital qui refuse tout compromis et veut surexploiter le travail à l'échelle mondiale ; alors qu'il s'est fait le chantre de la survie des pôles, les calculs égoïstes de la finance menacent la planète. Le sillon creusé par la « deuxième gauche », de Mendès France à Rocard en passant par Delors, s'est révélé stérile pour les progressistes et même comme un abus de confiance pour celui qui se voulait guidé par la morale. Adieu Jaurès, bonjour Clemenceau !... ce courant s'incarne désormais dans l'autoritarisme, bien loin de l'autogestion qu'avait chérie Michel Rocard.

Avec ténacité, élégance et un certain goût de surprendre, l'ancien premier ministre d'un président qui ne l'aimait guère s'est obstiné dans les impasses, comme les flirts centristes qu'il a cru du dernier cri. Avec lui, une époque s'en va, sans legs pour l'avenir. Reste un homme de convictions souvent égaré dans les marigots politiques, un amateur d'échanges intellectuels (parfois fumeux) et un anticolonialiste convaincu qui permit, avec les accords de Matignon, de surmonter les tensions les plus vives de la Nouvelle Calédonie. Il ne fut cependant pas capable, quand bien même constatait-il la « misère du monde », de relever et de penser le défi des réfugiés, qui par dizaines de millions sont jetés par les guerres, militaires ou économiques, sur les routes et les mers de l'exil. L'utopie qu'il visait a été engloutie par la fausse monnaie du « réalisme ».

Patrick Apel-Muller - L'Humanité 4 juillet 2016

Source : Page Facebook de José Fort 04/07/2016

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire