dimanche 1 mars 2015

CE NE SONT PAS TOUS LES ÉDITORIALISTES QUI RESPECTENT LEURS LECTEURS ET LA VÉRITÉ

À propos de l’éditorial de Venance Konan intitulé : « Elimination des discriminations »[1] 

Voici d’abord le texte dans lequel l’éditorialiste organique s’émerveillait d’une trouvaille qu’il venait juste de faire, et dont il tirait des conclusions abusivement avantageuses pour la mémoire de son dieu, Félix Houphouët, ce parangon prétendu de l’humanisme selon ses adorateurs : 

J’ai découvert deux conventions internationales que la Côte d’Ivoire a signées et ratifiées qui me semblent intéressantes à connaître. La première est « la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale », adoptée et ouverte à la signature et à la ratification par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 2106 A (XX) du 21 décembre 1965.
Cette convention a été ratifiée par notre pays le 4 janvier 1973. La seconde est « la Convention internationale relative aux droits civils et politiques », adoptée et ouverte à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966. Ce texte a été ratifié par la Côte d’Ivoire le 26 mars 1992. Tout le monde peut consulter ces textes en allant sur n’importe quel moteur de recherche.
Que disent ces conventions qui pourraient nous intéresser ? La première dit ceci en son article premier : « Dans la présente Convention, l’expression "discrimination raciale" vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique ».
La seconde convention déclare : « Les états parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». La même convention dit en son article 25 : « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables : a) de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ; b) de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ; c) d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays ». L’article 26, pour sa part, proclame que : « Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. à cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et suffisante contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». Enfin, le Comité des droits de l’homme des Nations unies, seul organe habilité par les États parties à interpréter le pacte, avait fait cette observation en 1996 : « L’application effective du droit et de la possibilité de se porter candidat à une charge élective garantit aux personnes ayant le droit de vote un libre choix de candidats. Toute restriction au droit de se porter candidat, par exemple un âge minimum, doit reposer sur des critères objectifs et raisonnables. Les personnes qui, à tous autres égards, seraient éligibles ne devraient pas se voir privées de la possibilité d’être élues par des conditions déraisonnables ou discriminatoires, par exemple le niveau d’instruction, le lieu de résidence ou l’ascendance, ou encore l’affiliation politique. Nul ne devrait subir de discrimination ni être désavantagé en aucune façon pour s’être porté candidat. »
Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Cela veut dire que lorsqu’une personne est reconnue ivoirienne, elle ne devrait subir aucune des discriminations décrites dans ces conventions si elle veut prendre part à la direction des affaires publiques ou, si l’on veut, si elle veut être élue. Cela veut dire que notre Constitution adoptée en 2000 n’a aucune valeur, parce qu’elle pratique une discrimination basée sur l’ascendance en indiquant que les candidats au poste de Président de la République devraient être Ivoiriens de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens. L’exigence aurait dû s’arrêter au fait d’être Ivoirien. Le droit est très clair : lorsque nous sommes partie à une convention internationale, si elle entre en conflit avec notre Constitution, c’est à nous de modifier notre texte fondamental pour le rendre conforme à la convention que nous avons librement signée et ratifiée. Je crois que la logique est claire. Si une convention viole notre Constitution et que nous ne voulons pas modifier celle-ci, nous n’y adhérons tout simplement pas. Par conséquent, si nous avons déjà ratifié une convention qui interdit les discriminations, nous ne pouvons pas venir adopter des textes qui discriminent de manière aussi évidente. Tant que nous sommes partie à ces conventions, nous ne pouvons pas adopter des textes qui les violent de façon aussi flagrante. L’article 35 de notre Constitution viole tout simplement un engagement international signé et ratifié par notre pays. Par conséquent, il n’a aucune valeur. Nous n’avons donc pas besoin de référendum pour enlever cet article. Il suffit de constater son illégalité pour le rendre caduc et ne pas l’appliquer.
 
Signé : Venance Konan

NOTRE COMMENTAIRE 

Il est déjà assez étrange qu’un immense journaliste comme le Directeur général de Fraternité Matin découvre une information aussi importante, parue, qui plus est, dans le journal qu’il dirige, seulement près de vingt-cinq ans après cette parution et près de cinq ans après sa propre intronisation, mais ce n’est pas le plus étrange. Le plus étrange, ce sont les conclusions qu’il en tire. A le lire, ne dirait-on pas que ces textes sont à mettre au crédit de l’Etat houphouétiste et de son chef apparent ? Soit Venance Konan n’a rien compris à sa découverte, soit il ment en toute connaissance de cause…
*
Pour une information plus complète et plus juste des lecteurs de Fraternité Matin – et plus respectueuse de leur intelligence –, voici le fameux scoop de Venance Konan, tel que je l’ai vu pour ma part dans le numéro de Fraternité Matin daté des 21-22 décembre 1991 :
« Présentés le 6 décembre par S. E. M. Amara Essy, ministre des Affaires étrangères, (…) les deux projets de loi relatifs [aux droits de l’homme] examinés hier en séance plénière ont été définitivement adoptés par l’ensemble des députés. Le premier autorise l’adhésion de la RCI aux pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme : pacte international relatif aux droits civils et politiques ; pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ces deux pactes, qui traitent du respect des droits de l’homme, des libertés civiles et politiques, ont été adoptés par les Nations Unies et ouverts à la signature en décembre 1966 avant d’entrer en vigueur en 1976. Le deuxième autorise la RCI à adhérer à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée à Nairobi en juin 1981. La particularité de cette charte africaine par rapport à la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 par l’ONU réside dans la description minutieuse des droits des peuples, notamment : le droit des peuples à l’autodétermination, la liberté qu’a chaque peuple de se doter du régime politique, économique, social ou culturel de son choix, pourvu que le droit des autres peuples soit respecté. En cela, la charte africaine complète la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1960 ».[2]
Notez l’immense hiatus qu’il y a entre la date de la signature de chacun de ces importants traités et celle de leur ratification par le parlement ivoirien ! Il aura fallu, selon le cas, vingt-cinq (25) ou dix (10) ans à l’Etat houphouétiste pour prendre effectivement en compte, en 1991, des traités internationaux auxquels il avait librement souscrit, respectivement en 1966 et en 1981 ! Comme si, s’étant déjà placé au-dessus de la constitution et des lois ivoiriennes sitôt après l’indépendance, le chef visible de l’Etat fantoche se considérait aussi au-dessus des traités internationaux, au point de les entasser dans les tiroirs de son bureau comme de simples feuilles d’avis !
Je ne me rappelle pas si à l’époque Fraternité Matin avait déjà publié le texte intégral de ces traités dont s’est régalé l’éminent éditorialiste PDCI-RDR. Mais, qu’il les ait publiés ou pas, cela ne change rien à la question. Signés, mais non ratifiés – c’est-à-dire non transformés en des lois nationales contraignantes pour l’Etat houphouétiste –, ces traités ne pouvaient avoir, et n’eurent en fait, aucun effet sur les conditions de vie des Ivoiriens et des étrangers vivant parmi eux. D’ailleurs, quand on l’envisage dans le contexte historique du long règne despotique de Félix Houphouët et de ses « conseillers » français, la raison de cet escamotage apparemment gratuit de textes destinés à civiliser la relation entre les gouvernants et les gouvernés apparaît en toute clarté : les droits de l’homme et du citoyen n’étaient pas vraiment leur tasse de thé !
*
Normalement, le simple constat d’une désinvolture aussi criante vis-à-vis du droit international aurait dû alerter le professionnel de l’information et le citoyen, surtout quand il se veut aussi donneur de leçons de civisme, sur sa possible relation de cause à effet avec la longue séquence de faux-semblants, d’incurie, de dénis de justice, en un mot de malgouvernance délibérée, qui a conduit notre pays tout droit dans la situation tragique où il se débat vainement depuis 1990.
Malheureusement, ce ne sont pas tous les éditorialistes qui respectent leurs lecteurs et la vérité. 

Marcel Amondji

[1] - Voir Fraternité Matin 17 février 2015.
[2] - Fraternité Matin 21-22 décembre 1991 ; p. 8.

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