Entretien
avec Fabrice Tarrit, président de l’association « Survie »
En cette 30e année de
l’association Survie et des 10 ans de la mort de François Xavier Verschave, son
co-fondateur, le mensuel Billet d’Afrique fait le point avec le président de
Survie, Fabrice Tarrit.
Quel rôle a joué Survie
dans la définition du terme de Françafrique et sa popularisation ? Certains
disent que ce terme était utilisé avant les écrits de Verschave, cofondateur et
ancien président de l’association.
Fabrice Tarrit : Pour minimiser l’apport de Survie au débat sur les relations francoafricaines,
certains journalistes insistent sur le fait que l’expression « France-Afrique »
a été utilisée par le président ivoirien Houphouët-Boigny pour évoquer une communauté
de destin, un peu idyllique. Mais on pourrait également citer un discours
prononcé en 1951 par le ministre de la France d’Outremer, François Mitterrand,
sur les relations franco-camerounaises, dans lequel il incitait à faire «
triompher l’idée de ce vaste ensemble, de cette grande unité que doit
constituer le couple France-Afrique ». Cette citation peu connue apporte un éclairage
supplémentaire sur les racines idéologiques de la politique menée durant ses
deux mandats, puis par les socialistes arrivés au pouvoir dans son sillage.
L’expression « Françafrique », avec sa connotation
volontairement plus sulfureuse, autour du jeu de mot sur « fric » a été
popularisée à partir de 1998 par François-Xavier Verschave, mais elle était
présente dès octobre 1994 dans son ouvrage sur le Rwanda, Complicité de génocide,
et dans ses articles de Billets d’Afrique. « Françafrique »
est issu d’un cheminement intellectuel qui a conduit Verschave à découvrir la persistance
de mécanismes de domination de la France sur ses anciennes colonies, officiels
ou occultes, masqués par un discours sur une France supposée « aider » l’Afrique.
Le terme n’était pas dans son esprit une coquetterie de style ou un simple
concept intellectuel mais bien un objet, un terrain de combat. Il s’agissait
d’abord de convaincre, en utilisant pour cela des outils pédagogiques simples
et ensuite de pousser les citoyens à agir contre les fondements et les effets
de cette politique : idéologie raciste, crimes, dérives institutionnelles, mécanismes
de prédation, conformisme intellectuel, etc.
Il est donc toujours
pertinent de parler de Françafrique, contrairement aux accusations selon
lesquelles le mot serait un peu galvaudé ?
Le terme « Françafrique » continue de frapper les esprits. Il
a un effet mobilisateur, immédiat, il désigne en quelques lettres un nombre important
de sujets, résume de nombreux écrits.
La rançon de son « succès » c’est qu’il est utilisé dans le
débat public avec des sens différents, parfois dans le seul but de démontrer
que les phénomènes décrits appartiennent au passé, avec les figures faciles de
Jacques Foccart, de Elf, des coups d’Etat de Bob Denard et d’autres « affreux
». Quand Omar Bongo est mort en 2009, la première question que l’on nous posait
concernait la fin de la Françafrique, comme s’il s’agissait d’une organisation pyramidale
avec un super parrain français ou africain à sa tête. Ce qu’il allait advenir
du Gabon importait peu aux journalistes. A Survie, ce qui comptait pour nous à cette
époque, c’était de savoir comment allaient réagir les autorités françaises à ce
coup d’Etat dynastique, quatre ans après celui au Togo, quels effets néfastes
le silence français pourrait avoir pour les pays de la sous-région et leurs mouvement
sociaux réclamant l’alternance. Qu’allait-il advenir de la base militaire de
Libreville ? Quels seraient les liens de Total avec les nouveaux venus au
pouvoir ?
L’histoire de Survie
est liée au terme Françafrique, au point de s’y confondre... et au risque de
s’y enfermer ?
Depuis 20 ans, les publications et mobilisations de
l’association ont permis d’approfondir la connaissance du néocolonialisme
français et d’interpeller à son sujet. Cela a amené Survie à s’intéresser à des
sujets aussi divers que la justice pénale internationale, les paradis fiscaux
et judiciaires, le fonctionnement des multinationales, des banques ou de nos
institutions, l’histoire du racisme français. Ce terrain d’action va au-delà du
seul terme « Françafrique ».
Nous nous intéressons aux fondamentaux de la relation
franco-africaine, qui reposent sur des structures et des postulats
idéologiques. Les structures, c’est la diplomatie française, ses liens avec les
dictateurs, le pouvoir de l’exécutif au détriment du parlement, le franc CFA,
l’implantation et les interventions de l’armée française en Afrique, la défense
des intérêts des entreprises françaises appuyés aujourd’hui par la « diplomatie
économique » promue par Laurent Fabius. Idéologiquement, c’est l’idée que
l’Afrique aurait besoin de la France pour décider à sa place, au plan politique
ou militaire, et que la défense des intérêts français serait plus importante
que le respect des droits des peuples concernés. Survie n’est donc pas le VRP
d’un terme, d’un concept, mais bien une force de mobilisation portée par une exigence
citoyenne. Verschave parlait de « devoir d’indignation ». C’est une expression
qui convient bien à ce que nous sommes, à ce que nous continuons de faire
malgré la difficulté de s’opposer à un tel système. Pour répondre à ceux qui ne
voient en nous que des agitateurs brandissant partout le chiffon rouge de la Françafrique,
nous avons les acquis de 30 années de lutte, de dizaines d’ouvrages, de
milliers d’articles, et le souci d’actualiser en permanence les informations,
de faire évoluer si nécessaire notre grille d’analyse. C’est ainsi qu’à l’issue
d’une université d’été de l’association, nous avons décidé de publier en
octobre l’ouvrage Françafrique : la famille recomposée (Syllepse), qui étudie
les évolutions des trois piliers de la Françafrique : la diplomatie, l’armée et
les entreprises.
Propos
recueillis par Mathieu Lopes
Source : Le Nouveau Courrier 23 Février 2015
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