mercredi 25 mars 2015

GBAGBO A LA CPI... ET POURQUOI PAS SARKOZY ?

Dans un excellent documentaire intitulé « Le droit à la différence », Nicoletta Fagiolo revisite la crise la crise ivoirienne avec l’ambassadeur Gildas Le Lidec qui fut en fonction en Côte d’Ivoire entre 2002 et 2005. Pour lui, si Gbagbo est à La HAYE, c’est tout simplement parce qu’il fait peur. 

Quelle était l’atmosphère en 2002 au moment vous arriviez en Côte d’Ivoire. Parce que j’ai lu le rapport de votre prédécesseur Renaud Vignal qui dit dans son rapport que Gbagbo est le meilleur chef d’Etat que le pays pouvait avoir et qu’il avait tenu toutes ses promesses. Alors quelle est votre vision sur Gbagbo et quelle était la situation au moment vous arriviez en Côte d’Ivoire ?
G. Le Lidec
La situation était très confuse parce qu’il y avait eu cette avancée des rebelles sur Bouaké et il avait fallu très rapidement évacuer les étrangers qui étaient à Bouaké. Donc les forces françaises stationnées à Port-Bouët sont intervenues et ont stoppé l’avancée des rebelles. Mais Gbagbo demandait plus. Il ne voulait pas que l’armée française se contente de stopper les rebelles mais de reconquérir le nord ; d’arrêter cette tentative de coup d’Etat et de désarmer les rebelles. Ce que la France a refusé. A ce moment-là, la situation s’est figée et on a mis une ligne de démarcation entre le nord et le sud. A mon avis, ça a été une erreur. Le troisième élément de confusion a été l’intervention de Licorne. C’est-à-dire mon prédécesseur et ami, mort maintenant, Renaud Vignal n’a pas été informé de l’arrivée de Licorne. Il l’a appris par une dépêche de l’agence France presse. Et c’est là qu’il a su qu’un général deux étoiles était arrivé à Abidjan et s’était mis en place. Le quatrième élément de confusion est que Ouattara était passé dans la maison de l’ambassadeur d’Allemagne et que pour le protéger Renaud Vignal avait utilisé sa propre voiture pour venir le chercher pour le ramener à la résidence de France avec sa femme. Donc ce quatrième élément de confusion est que pendant un mois et demi, Gbagbo est dans son palais et juste à côté, dans la chambre de l’ambassadeur, Ouattara et sa femme. Le cinquième élément de confusion c’est qu’en ce moment-là, Renaud Vignal perd la confiance de Gbagbo et Gbagbo demande à De Villepin de le remplacer parce qu’il ne veut plus le voir et ne veut plus travailler avec lui. Déjà Gbagbo jouait la différence entre la présence militaire française et la présence diplomatique française. C’est-à-dire que Gbagbo est quelqu’un d’extrêmement intelligent, très tacticien. Donc il jouait le commandant de Licorne contre l’ambassadeur de France. Ou l’ambassadeur de France contre le commandant de Licorne. Donc la présence française était rendue aléatoire et de grande faiblesse parce qu’elle avait deux représentant et Gbagbo savait jouer l’un contre l’autre. Donc il y a eu un changement d’ambassadeur de France qui a été le plus rapide l’histoire. Parce que De Villepin est arrivé et il a embarqué l’ambassadeur sans lui dire qu’il ne reviendrait plus et dans l’avion, il lui a dit « maintenant c’est fini, tu es menacé de mort et tu ne reviens pas ». Et Renaud Vignal lui dit : « mais mon fils est à la résidence ! » Il avait oublié le fils parce qu’il ne devait pas partir. Donc le fils de 12 ans était resté seul dans la résidence et l’ambassadeur était enlevé par son propre ministre. Et c’est comme ça que Villepin qui est un ami, on s’est connus en Inde, m’a téléphoné pour me demander si je voulais aller à Abidjan. C’était un lundi matin. J’ai dit oui et il m’a demandé : « tu ne demandes pas à ta femme ? » J’ai dit non, elle veut aller dans un pays chaud – on a vécu dans les pays chauds –, c’était le mois de décembre et l’hiver arrivait. Donc c’était oui. C’était le lundi et je suis parti trois jours après. Comme l’avait dit Le Monde, c’était le changement diplomatique le plus rapide dans l’histoire de France (…) Voilà donc l’ambiance dans laquelle j’arrive. C’est-à-dire l’installation de la Licorne dans des conditions bizarres parce qu’on ne veut pas vaincre les rebelles mais pendant ce temps, on construit une force militaire. Pourquoi ???!!!!
Mais qu’est-ce que Gbagbo reprochait à Gbagbo ?
Gbagbo avait donné son accord à Vignal pour prendre Ouattara à l’ambassade de France. Mais Gbagbo changeait souvent de tactique, c’est pourquoi on l’appelait le boulanger et il a donc utilisé ça contre lui. Parce qu’il pensait qu’en changeant d’ambassadeur il changerait de politique française vis-à-vis de lui. Et cela n’ pas été le cas. Mais si quand même parce que Dominique de Villepin m’avait donné pour instruction de renouer avec Gbagbo. Il m’avait dit « tu reprends le fil de dialogue avec lui. Il faut que tu gagnes sa confiance parce qu’on a besoin de lui pour parler et il ne faut surtout pas couper le dialogue » Donc lorsque je suis arrivé, j’ai fait en sorte d’établir un dialogue privilégié avec Gbagbo.
Votre altercation avec Guillaume Soro.
J’ai été surpris par l’importance que Guillaume Soro a donnée à ses deux histoires qui sont vraies. C’était le 28 décembre. Je suis arrivé le 18 décembre et 10 jours après je me suis rendu à Bouaké dans un hélicoptère de l’armée française. Ce qui m’intéressait c’était de rencontrer Tuo Fozié pour voir comment on peut engager la discussion avec les militaires. Il y avait un petit homme qui tournait autour de moi. Je ne le connaissais et d’ailleurs, il avait été l’allié de Gbagbo. Qu’est-ce qui prouve qu’il n’irait pas rapporter à Gbagbo tout ce qu’on dirait ? Alors il a essayé de s’imposer et à la fin, il m’a pris à part sur la terrasse de la mission protestante où on se rencontrait et c’est là qu’il a dit « mettez juste une camionnette avec des munitions. Indiquez-nous l’endroit et nous on se charge du reste ».
Vous avez aussi dit qu’il a essayé de vous étrangler n’eût été l’ambassadeur d’Italie.
Absolument. Soro m’a dit que cette histoire était absolument fausse et inventée, j’aimerais que vous confirmiez auprès de Paolo (l’ambassadeur d’Italie de l’époque, ndlr) qui m’a sauvé la vie avec d’autres collègues ambassadeurs qui étaient présents. Ça s’est passé dans la Basilique, dans un bureau, et non à la Fondation Houphouët-Boigny comme l’a dit monsieur Soro et c’était une réunion ad’hoc. A un moment donné monsieur Soro a dérivé du sujet pour partir en invectives contre  la France. Je ne pouvais le laisser faire. Je lui ai dit qu’il fallait qu’il laisse la France tranquille et que ce n’était pas son business. Soro c’est un homme de sang. C’est à ce moment-là qu’il s’est précipité vers moi et c’est comme cela que les choses se sont passées. C’est vrai que je n’aime pas beaucoup monsieur Soro mais le fait que je sorte cette affaire sans faire exprès pour quelqu’un qui est maintenant président de l’assemblée nationale et qui doit accueillir dans trois jours le président de la République française ( le documentaire est réalisé en juillet 2014, ndlr )c’est quand même un peu gênant (...). Mais j’ai conté cette anecdote sans savoir qu’elle ferait ce bruit-là.
Une autre chose que j’ai entendue c’est cette nécessité de placer la force Licorne. Parce que le colonel Peillon qui était le porte-parole de la force Licorne a affirmé que la France a souscrit à cette division de la Côte d’Ivoire.
Moi j’étais également de l’avis de Peillon mais c’est à cause de l’Onu parce que nous avions internationalisé le problème ivoirien. Il y avait eu Marcoussis et les rebelles étaient partie prenante de la résolution du problème ivoirien. Donc, il était difficile après avoir signé un accord prévoyant une résolution politique, de recourir à la force. Mais sur le plan pratique ça été une erreur. Moi ma philosophie a toujours été qu’il ne faut pas rester neutre. Lorsqu’un problème se pose, il faut réfléchir d’abord mais ensuite il faut prendre la décision la plus raisonnable et la plus raisonnée possible et s’y tenir et ne pas revenir en arrière. Sinon, il n’y a pas de politique. Et à un certain moment, moi aussi j’ai estimé que Marcoussis a été un échec. On avait tracé une ligne de confiance et on s’était assis sur la ligne et on prenait des coups des deux côtés alors que beaucoup de militaires rêvaient des charges de la cavalerie légère. On se lance à l’assaut. Il aurait fallu trois jours, même pas pour reprendre le nord et arrêter le problème.
Pierre Mazeau vous avait traité d’être pro-Gbagbo et vous avez voulu démissionner
Oui parce qu’il m’avait mis en cause lors d’un repas à Matignon en présence du premier ministre Raffarin d’avoir pris parti pour Gbagbo. Donc il m’avait accusé de forfaiture. C’est vrai que Mazeaud était tombé amoureux de Soro et défendait toutes ses thèses. Donc, une fois le repas terminé, j’ai parlé avec Raffarin à qui j’ai rappelé ce qui avait été dit par Mazeaud et donc je lui ai dit que j’avais le droit de lui remettre ma démission. Alors il m’a dit « non, il ne faut pas prendre ce que Mazeaud disait au sérieux. Mais je maintiens ce que j’ai dit. Les accords de Marcoussis ont été une erreur parce que nous avons agi précipitamment. Et puis, si conférence il devait y avoir, c’était en Afrique. Ce n’est pas dans une école de rugby. Vous voyez bien pour le symbole, ce n’est pas bien réussi.
On avait pourtant trouvé une solution à Lomé mais comme au Rwanda et à Kinshasa, on a légitimé la rébellion.
Ça n’a rien à voir avec les situations politiques que vous mentionnez. Le problème vient de la France elle-même et des hésitations qu’elle a d’intervenir ou de ne pas intervenir. En fait c’est un problème interne de la France qui est de savoir comment terminer la Françafrique, comment expurger les mauvaises pratiques de la Françafrique (…) Comment on se conduit vis-à-vis de l’Afrique… Donc en septembre 2002, lorsqu’il y a la tentative de coup d’Etat, on ne sait pas ce qu’il faut faire. C’est un débat intérieur français qui n’est pas encore complètement clos parce qu’on n’a pas encore abandonné la Françafrique (…) Moi j’ai été très ambassadeur de terrain et quand j’ai accompagné grâce aux généraux français. Lorsque j’ai dans les territoires de la rébellion, j’ai vu des gens qui étaient hirsutes avec des gris-gris dans le nez, j’ai eu très peur et j’ai été heureux d’être accompagné par les forces spéciales françaises. J’ai eu peur et dire maintenant que les gens appartiennent aux forces républicaines ivoiriennes, il aurait fallu qu’ils se transforment considérablement et qu’ils aillent à l’école pour apprendre, ne serait-ce qu’à lire.
Et Gbagbo, pourquoi se retrouve-t-il à La Haye ?
Gbagbo fait peur. C’est pourquoi, très franchement, je ne comprends pas. Parce que si quelqu’un comme Gbagbo est, à cause de ce qu’il a fait, devant la cour pénale internationale, c’est que tous les chefs d’Etat Africains doivent y être tout comme des chefs d’Etat européens, à commencer par Sarkozy, Berlusconi… Mais Gbagbo fait peur. Et pourtant, il n’y a aucune raison pour qu’il se retrouve à La Haye. Je dis à Chirac monsieur le président, il est socialiste. Chirac me dit ça ne veut rien dire être socialiste en Afrique. Je réponds, il est membre de l’internationale socialiste… Bref, il y a un énorme quiproquo sur l’image de Gbagbo

(*) - Titre original : « Gildas Le Lidec enfonce le clou dans une interview-vérité : "Gbagbo est à La Haye parce qu’il fait peur". »  

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Source : CIVOX. NET 5 Mars 2015

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