LES
HEURES DIFFICILES DU R.D.A.
Extrait de « Conquête fraternelle
en Côte d'Ivoire », de Marc Le Guillerme,
Nouvelles éditions latines, Paris 1962 (pages 23 à 28).
Nouvelles éditions latines, Paris 1962 (pages 23 à 28).
A
évoquer les succès remportés par le R.D.A. et son Président, nous risquons
d'oublier à quel prix ces victoires furent remportées. Nous ne saurions, non
plus, omettre d'associer à ce palmarès, écrit après l'aboutissement de leurs
revendications, ceux qui en furent les artisans, derrière leur chef, ou, plus
exactement, à ses côtés.
Il y
a des évocations pénibles sans aucun doute. Cet ouvrage se veut impartial, nous
devons les mentionner. Elles feront mieux sentir la réalité actuelle de cette
fraternité voulue, entre Africains et entre Africains et Européens, par le chef
de l'Etat qui a su faire triompher son idéal dans l'oubli des mésententes
passées.
M.
Mamadou Coulibaly, député à l'Assemblée Nationale de Côte d'Ivoire, membre du
R.D.A. depuis sa fondation, a publié dans l'hebdomadaire Fraternité du 5 avril
1960, un récit auquel nous emprunterons de larges extraits.
Quelle
était la situation de la Côte d'Ivoire au début du XXe siècle ?
Possession française depuis 1894, la Côte d'Ivoire était soumise au statut
colonial.
Qu'est-ce
que cela signifie, pour les colonisés ? D'un côté, la fin des luttes de tribu à
tribu, jugulées, militairement, mais jugulées tout de même. La régression des
épidémies, combattues par le service de santé. L'ouverture d'écoles, dont nous
savons déjà qu'elles n'attiraient pas, d'emblée, la population.
D'autre
part, aux charges fiscales s'ajoutèrent celle du travail forcé dont nous avons
parlé. Enfin, autre inconvénient, une nouvelle classe sociale fut créée. Celle
des auxiliaires civils et militaires recrutés par les autorités françaises,
qui leur accordaient en retour certains privilèges, d'instruction et de
prestige. Il y avait contrainte, il y eut murmures, puis grondements.
Appelés
sous les drapeaux en 14-18, puis en 1939, les hommes prirent part à la
libération de la France, dans l'égalité face au danger.
Ils
eurent, hélas, l'amertume de constater l'inégalité avec leurs frères d'armes,
natifs de la métropole, sur les autres plans. Les familles des combattants
eurent, trop souvent, à se plaindre du commandement colonial. Ainsi naquit, en
1944, le mouvement revendicatif de la main-d'œuvre forestière, constituée en
syndicat.
Le
général de Gaulle, au contact des réalités politiques en Afrique où il se bat
avec des troupes africaines pour libérer la France, organise à Brazzaville, au
mois de janvier 1944, la conférence qui prépare une nouvelle orientation
politique ; à la fin des hostilités, dès 1945, il mettra en pratique les
principes définis l'année précédente pour de nouveaux rapports politiques
entre la France et les territoires d'Outre-Mer.
Des
délégués africains vont siéger à l'Assemblée Constituante française, élaborer
une constitution adaptée aux temps nouveaux. On ne saurait, à la fin de la
seconde guerre mondiale, demeurer aux règlements établis par Colbert.
C'est
l'opinion libérale du général de Gaulle. En Métropole, cette opinion ne reçoit
pas l'adhésion de tous.
A
Brazzaville, puis à Paris, les Etats Généraux de la colonisation essaient de
modifier les dispositions constitutionnelles, d'amoindrir, sinon d'abroger
les lois nouvelles.
Cette
réaction provoque un raidissement de la politique africaine dans les différents
territoires. Le fléau des manœuvres politiques commence : corruption,
intimidation, sabotage démagogique ravagent circonscriptions et fédérations.
Les députés africains décident de créer un vaste mouvement revendicatif en
A.O.F. et en A.E.F. Mouvement qui prend le nom de Rassemblement Démocratique
Africain. Les résolutions finales de ce congrès sont pour la coopération avec
la France et contre la tendance scissionniste.
Par
malheur, des invités communistes, venus de France, donnèrent l'impression
d'avoir pris une part active à ce congrès. Nous avons vu, en effet, que le
parti communiste, participant alors au gouvernement français, était le seul à
avoir accueilli, sans restriction, le R.D.A.
Il
n'en fallait pas davantage pour créer un quiproquo, exploité aussitôt par ceux
qui désiraient endiguer l'évolution africaine.
Rentrés
dans leurs circonscriptions, les députés qui avaient pris part au congrès de
Brazzaville, clos par les résolutions que l'on sait, trouvèrent leurs
concitoyens fortement impressionnés par une campagne réactionnaire aux
manifestations savamment organisées.
Travailleurs
licenciés, arrêts de chantiers de coupe de bois, arrêts des travaux de
réfection des routes, obstructions dans les rouages administratifs, propagande
auprès des chefs coutumiers contre la population et ses élus, corruption des
grands commerçants et fonctionnaires africains pour les séparer de leurs élus.
Rien ne manquait.
Le
collège électoral forma alors le Parti Démocratique de Côte d'Ivoire, qui
organisa la protection de l'économie générale en recrutant une main-d'œuvre
volontaire. Non sans dénoncer les menées colonialistes de sabotage.
Vinrent
les élections législatives et cantonales, de 1946. Les trois grandes zones
géographiques du territoire furent représentées : le sud, par Houphouët-Boigny,
la zone non Mossi par Ouezzin Coulibaly, et la zone Mossi par Kaboré Zinda. Le
nouveau conseil général fut tout de suite en butte à une opposition ouverte du
Parti Progressiste, d'inclination raciale. Ce parti s'indignait de voir siéger,
au Parlement français, des ressortissants du Centre et du Nord de la Côte
d'Ivoire. A leur avis, la direction politique du pays devait incomber aux
Ivoiriens du sud, dont les aïeux avaient été les premiers à accueillir les
pionniers français.
Notons,
en passant, que les étiquettes varient moins que les programmes et que ce parti
progressiste ivoirien n'avait en commun que le nom avec les partis
progressistes de la Métropole.
Les
racistes sudistes rallièrent les chefs coutumiers qui redoutaient l'abolition
de leurs privilèges, et certains hommes d'affaires du nord, dont le climat de
liberté et la suppression du travail obligatoire ne servaient pas les intérêts
matériels. Ce parti progressiste eut l'amertume de voir la Côte d'Ivoire
représentée en France par des députés et sénateurs du P.D.C.I., lequel était en
majorité, également, au conseil général. Il passa, résolument, du côté de la
réaction colonialiste, au début de l'année 1947.
Le 10
octobre de cette même année, éclata la grève des cheminots de l'A.O.F.,
exaspérés par des mesures discriminatoires exercées à leur encontre.
Cette
grève dura six mois. Elle eut des répercussions sur l'économie de la
Fédération d'A.O.F., mais elle réussit à alerter les pouvoirs publics de la
Métropole. On commença d'élaborer le statut qui dota, cinq ans plus tard, les
travailleurs africains d'un code du travail.
Mais,
nous n'en sommes pas là. De 1947 à 1952, le R.D.A. est considéré, à Paris,
comme agent du communisme en Côte d'Ivoire. L'apparentement au seul groupe qui
lui ouvrit les bras coûtait cher au parti de la Fraternité.
Partout,
en Côte d'Ivoire, éclatent des bagarres sanglantes, sanctionnées, sans coup
férir, par l'arrestation spectaculaire des dirigeants du Parti Démocratique de
Côte d'Ivoire, section locale du R.D.A.
Un
nouveau parti politique essaie vainement de prendre sa place : le B.D.E. ne
trouve pas d'adhérents. On essaie de lancer le « Parti des Indépendants
musulmans », sans plus de succès. Enfin, toujours destiné à renverser le
P.D.C.I., se forme le Parti des Indépendants de Côte d'Ivoire, dirigé par des
fonctionnaires, des hommes d'affaires du nord, des chefs coutumiers du territoire
s'estimant assez bien pourvus pour redouter les changements de programme.
Mais,
l'ensemble de la population ivoirienne ne s'y laisse pas prendre. Et le
P.D.C.I. contre-attaque.
Les
ménagères font la grève des achats, touchant au point sensible les hommes
d'affaires.
Quand
le comité féminin d'Abidjan se dirige sur la prison de Bassam, où sont internés
les détenus politiques du Comité Directeur du R.D.A., les mesures de
répression se déchaînent, les incidents se multiplient sur tout le territoire.
Il y a des morts.
Une
fusillade, à Bouaflé, faillit entraîner l'arrestation du Président
Houphouët-Boigny. Dans ce déchaînement de haines et de rivalités périt le sénateur
Victor Biaka [Boda].
Les
mutations, les licenciements de fonctionnaires, les démissions au P.D.C.I.
imposées sous peine de retrait d'emploi sont devenus choses courantes.
A
Paris, le Président Houphouët-Boigny décide le désapparentement communiste des
élus du mouvement dans les assemblées parlementaires, en automne 1950. Par la
même occasion cesse la défense des détenus politiques du R.D.A. par des avocats
communistes. Ceux-ci profitaient ouvertement de l'occasion pour transformer le
prétoire en tribune de propagande doctrinale et démagogique. Ce qui ne
surprendra personne.
Le
comité de coordination des élus africains, libéré de ses trop compromettants «
camarades », ne peut demeurer isolé. Qui va lui tendre la main ?
De la
droite jusqu'aux Indépendants d'Outre-Mer formés presque exclusivement
d'Africains, les groupes parlementaires boudent le R.D.A. On est aveugle, ou on
ne l'est pas.
Finalement
M. Pleven, alors président du Conseil, intervient. Il réussit à fléchir
l'ostracisme de Monsieur Mitterrand, son ministre de la France d'Outre-Mer, et
à faire accepter le R.D.A. parmi les partis nationaux.
De ce
fait, cessèrent en France et Outre-Mer les mesures répressives exercées contre
le R.D.A. De même, le projet que l'on prêtait au gouvernement de décréter son
illégalité n'eut pas de suite.
La
notification officielle du désapparentement communiste, à la tribune du Palais
Bourbon, acheva d'éclaircir la situation, en décembre 1950.
Le
ministre de la France d'Outre-Mer assista à l'inauguration du port d'Abidjan,
en février 1951.
Le
Président Félix Houphouët-Boigny acheva de concrétiser sa politique d'union en
ne craignant pas d'appeler à lui ses adversaires de la veille. Il fut entendu.
L'opposition se désagrégeait. Le commandant Ply, directeur du journal de toute
l'opposition locale, le secrétaire général, Dignan Bailly, qui représentait la
S.F.I.O. en Côte d'Ivoire, le capitaine Borg rencontrèrent le Président du
R.D.A.
Ils
furent bientôt suivis en mars 1952, au moment des élections cantonales, par
les directeurs des indépendants de Côte d'Ivoire.
Le
Président Félix Houphouët-Boigny porta sur ses listes les noms de plusieurs de
ses anciens adversaires. Il remporta le succès triomphal que l'on sait.
Les
procès politiques s'achevèrent par la relaxe de la plupart des détenus P.D.C.I.
Peu à
peu, tous les chefs coutumiers vinrent se mettre sous la bannière R.D.A. pour
retrouver la confiance de leurs compatriotes.
Les
Européens, prenant conscience de la montée du P.D.C.I., acceptèrent de plus en
plus le dialogue, recherchèrent l'alliance ; et les frictions politiques
s'effacèrent pour faire place à la compréhension mutuelle et à la collaboration
dans tous les domaines de la vie quotidienne.
A la
fin de 1953, le P.D.C.I. avait renforcé ses effectifs à l'assemblée de l'Union
Française. En 1955, le député évincé en juin 1951 [il s’agit de Ouezzin
Coulibaly, ndlr] fut élu sénateur.
Couvert de l'immunité parlementaire, il sortit de la clandestinité où il vivait
depuis quatre ans, fuyant les poursuites pour délit de presse.
Les
élections anticipées de 1956 consacrèrent le succès général du R.D.A. tant en
A.O.F. qu'en A.E.F. Il allait pouvoir reprendre et pousser activement le
programme d'émancipation africaine qu'il s'était fixé, à Bamako, dès sa
création.
L'Indépendance
est venue très vite. Les dirigeants africains qui piaffaient, avec
l'impatience de vivre qui caractérise depuis toujours les jeunes à quelque
nation qu'ils appartiennent, se sont inclinés devant les faits.
Nous
savons qu'il en reste, toutefois, que la trop grande popularité du R.D.A. gêne
dans leur ambition de s'emparer, sans attendre, des postes de commande. Ils
sont une minorité, du moins en Côte d'Ivoire. Ce sont ceux qui subissent l'influence
de propagandes subversives, à l'étranger. La prospérité de l'Afrique sera le
meilleur remède à leur exaltation. Pour cela, l'union de tous les africains est
nécessaire. Les luttes intestines n'apportent jamais que ruines.
Mais
l'Occident, et l'Europe en particulier, doit comprendre, sans retard, que
l'avenir du monde se joue en Afrique... et qu'il faut l'aider à parfaire son
évolution.
Une fraternité
sincère Eurafricaine est un gage de paix, pour le présent et l'avenir. Des
frères
qui s'aiment partagent leur pain. Les bonnes paroles ne suffisent pas,
quand certains d'entre nous ne mangent pas à leur faim. La vieille Europe n'est
plus tutrice. Ses devoirs n'en sont pas terminés pour autant. Ils ont seulement
cessé de revêtir la forme du paternalisme, pour celle de la solidarité.
La
première condition pour s'aimer est de se connaître, afin de se comprendre.
Pour
comprendre les hommes d'aujourd'hui, n'est-il pas indispensable de connaître
leurs coutumes, leurs traditions, en un mot leur héritage psychologique ?
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