Problèmes de protocole, déclarations de François
Hollande jugées humiliantes par certains chefs d’État du continent et surtout,
élection d’une non-Africaine à la tête de l’Organisation internationale de la
francophonie (OIF). Retour sur un sommet qui laissera des traces dans les
rapports entre l’Afrique et la France.
Il y eut
bien sûr les louanges unanimes à l’égard d’Abdou Diouf, qui a engrangé les
hommages de ses pairs du début à la fin de l’événement. Mais le XVe
sommet de l’OIF, qui s’est tenu du 29 au 30 novembre à Dakar, a aussi engendré
quelques désagréments parmi les délégations africaines, traditionnellement
chouchoutées mais qui, cette année, sont reparties de Dakar non sans amertume.
Premier
impair, vis-vis de l’Union africaine (UA). Le jour de l’ouverture, alors que
seize chefs d’État ou dignitaires doivent se succéder à la tribune pour y lire
leur discours, le président en exercice de l’UA, le Mauritanien Mohamed Ould
Abdelaziz, se trouve relégué en deuxième partie de cérémonie, derrière la
directrice générale de l’Unesco, la Bulgare Irina Bokova. Froissé, il renonce à
son discours.
Mais pour
les chefs d’État africains présents à Dakar, la principale fausse note du
sommet est venue de trois petites phrases nichées dans le discours de François
Hollande :
« […] ce qu’a fait le peuple burkinabè doit faire réfléchir
ceux qui voudraient se maintenir à la tête de leur pays en violant l’ordre
constitutionnel. Parce que ce sont les peuples qui décident. Ce sont les
élections qui permettent de savoir qui est légitime et qui ne l’est pas. »
Mécontentement… en coulisses
S’ils n’en
laissent rien paraître officiellement, plusieurs chefs d’État ou de délégation
potentiellement visés par l’allusion ne dissimulent pas, en coulisses, leur
mécontentement. Congo-Brazzaville, Djibouti, RDC, Guinée-Équatoriale, Rwanda,
Tchad, Togo… Le clan des mécontents n’apprécie pas de recevoir cette leçon de
gouvernance venue de Paris, a fortiori lors de la session inaugurale d’un
sommet couvert par 800 journalistes venus du monde entier.
Fidèle à son franc-parler coutumier, la ministre des Affaires étrangères
rwandaise, Louise Mushikiwabo, lance un pavé dans la mare dès le lendemain,
dénonçant sur France 24 un procédé « inélégant ». Loin des caméras, plusieurs
délégations africaines viendront lui témoigner leur soutien.
« Ça fait deux fois qu’un président français vient humilier
l’Afrique sur son sol, à Dakar, tempête un ministre d’Afrique
centrale. De quelle légitimité peut se
prévaloir un chef d’État dont la cote de popularité dans son pays ne dépasse
pas 12% pour venir donner des leçons au continent ? »
« La réaction de votre ministre est légitime,
assurent les représentants d’une autre délégation africaine à leurs homologues
rwandais. Mais de notre côté, on n’a pas
osé dénoncer ouvertement le discours de Hollande. »
Le
discours de François Hollande a même fait tousser Alassane
Ouattarra, qui a obtenu de changer la
résolution du sommet sur la crise au
Burkina. « Saluons » la transition est devenu « prenons acte de » la
transition. Et la mention de la « charte de la transition », qu’il estimait
dangereuse car remettant potentiellement en cause les « institutions », a été
supprimée. Quant au mouvement « Y’en a marre », hier fer de lance de
la fronde anti-Abdoulaye Wade lorsque l’ex-président sénégalais décidait de
briguer un troisième mandat au mépris d’une Constitution qu’il avait lui-même
fait adopter, il juge le discours présidentiel « déplacé ».
Si tous les "sans dents" étaient comme ceux-ci, hein que la vie, elle serait belle ? |
« C’est une tentative de récupération des luttes de
libération de la jeunesse africaine, qui, du Sénégal au Burkina, a obtenu gain
de cause par ses propres moyens, sans l’aide des grandes chancelleries
occidentales, estime Fadel Barro, co-fondateur du
mouvement. Nous appelons les jeunes du
continent à se détourner de ce genre de discours, qui rappelle celui de
François Mitterrand à La Baule, pour se concentrer sur leurs propres luttes. Ce
n’est pas l’Occident qui viendra nous sauver. »
« Les jeux étaient faits »
Enfin,
parmi le clan des déçus du sommet, les délégations qui soutenaient l’un ou
l’autre des quatre candidats africains en lice n’ont guère apprécié de se voir
ravir le trône d’Abdou Diouf, jusque-là chasse gardée du continent, par la
candidate canadienne.
« La France n’a rien fait pour aider l’Afrique à parvenir à
un consensus », déplore un candidat malheureux.
« Les jeux étaient faits, analyse un
ministre d’Afrique centrale. Paris misait
sur la division africaine, et les Africains sont tombés dans le panneau. »
Alors que
certains de ces pays étaient prêts à tenter leur chance au vote, le président
français aura pesé de tout son poids pour reconduire une désignation par
consensus qui, pour la première fois, s’est retournée contre l’Afrique.
« Je trouve surprenant que la France ait laissé ce poste
échapper à l’Afrique, analyse le Mauricien Jean Claude de
l’Estrac. Et je ne suis pas sûr que cela
soit dans son intérêt. »
À
l’arrivée, avec une quinzaine de délégations africaines sur vingt-huit
froissées, contrariées, voire courroucées, le XVe sommet de l’OIF
pourrait bien laisser des séquelles dans la diplomatie africaine de François
Hollande.
Mehdi Ba (Jeune
Afrique)
Titre original : « Francophonie :
Mécontentement et humiliation à Dakar "les jeux étaient faits" »
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Source : connectionivoirienne.net 7 décembre 2014
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