Pendant
les 20 premières années de son indépendance, la Côte-d’Ivoire a connu une
croissance économique exceptionnelle. On a même parlé du « miracle
ivoirien ». Puis, dès le début des années 1980, le pays est entré dans une crise économique qui s’est
par la suite muée en crise politique. Le 19 septembre 2002, des soldats
déserteurs de l’armée ivoirienne, refugiés au Burkina Faso, aidés par des
mercenaires, ont envahi la Côte-d’Ivoire. Ils sont arrivés jusqu’à Abidjan
avant d’être repoussés. Ces hommes armés, occupèrent le nord, le centre et
l’ouest du pays, soit 60% du territoire national. Il a fallu huit ans de combats,
de tractations et de négociations sous l’égide de la « Communauté
internationale » conduite par la France, pour aboutir à l’organisation de
l’élection présidentielle d’octobre et de novembre 2010.
Cette
élection présidentielle qui était censée mettre fin au conflit a, au contraire,
exacerbé les passions et plongé le pays dans de terribles massacres. La
« communauté internationale » a fini par installer Alassane Ouattara,
après avoir renversé, par les armes, le régime du Président Laurent Gbagbo. Ce
dernier fut capturé le 11 avril 2011.
Le
président Laurent Gbagbo, livré à Alassane Ouattara fut emprisonné à Korhogo,
puis transféré, en novembre 2011, à la CPI, afin d’y être jugé pour crime
contre l’humanité. Des centaines de militaires et de civiles sont en prison,
des dizaines de milliers d’autres sont en exil.
Le
nouveau régime, après trois ans de pouvoir, n’arrive pas à maitriser le pays. L’insécurité
est toujours permanente dans les villes, sur les routes et surtout à l’ouest du
pays où les dozo règnent en maîtres. La Commission Dialogue Vérité et
Réconciliation piétine. Aucune solution ne semble paraitre à l’horizon et le
peuple de Côte d’Ivoire continue de souffrir.
Comment
trouver une bonne thérapie si le mal n’est pas diagnostiqué ? C’est pourquoi,
il nous parait nécessaire de déceler les véritables origines de ce conflit meurtrier ?
Pour
certains, il s’agit d’un conflit ethnique entre les populations du nord et
celles du sud de la Côte d’Ivoire. Pour d’autres, il s’agit d’une guerre de
religions entre musulmans du nord et chrétiens du sud. Enfin certains
politologues parlent d’un conflit de personnes. Qu’en est-il exactement ?
Pour
bien comprendre la situation socio politique de la Côte d’Ivoire, il faut
partir de la colonisation de ce pays.
La Côte-d’Ivoire prospère
Quand,
à la fin du XIXème siècle, les colons français traçaient les limites du
territoire qui prendra le nom de colonie française de Côte-d’Ivoire, une
soixantaine d’ethnies vivaient déjà sur ce territoire. Une fois que toutes les
populations furent soumises, par les armes, l’exploitation de la colonie,
véritable objectif de la colonisation, pouvait commencer.
L’exploitation
forestière fut une des premières activités économiques organisées. Ensuite, les
colons commencèrent à créer des
plantations de café et de cacao. Un impôt de capitation fut instauré. Les chefs
de famille qui n’avaient pas les moyens de s’acquitter de cet impôt pour tous
ceux qui dépendaient d’eux, étaient arrêtés et mis en prison. Le seul moyen, pour les populations
indigènes, de se procurer de quoi honorer cet impôt, était la vente du café et
du cacao et le salariat dans les entreprises françaises.
L'objet de toutes les convoitises... |
La
culture du café et du cacao, l’exploitation forestière et la construction des
routes exigeaient une forte main d’œuvre. Il y eut donc un vaste mouvement
migratoire de toute la sous région vers la Côte-d’Ivoire. C’est ainsi que de
fortes communautés venues de Haute Volta
(actuel Burkina Faso), du Soudan (actuel Mali), de Guinée et du Niger,
s’installèrent en Côte-d’Ivoire.
Le développement de la colonie d’abord, de l’Etat
indépendant de Côte-d’Ivoire à partir de 1960 est favorisé par la montée du prix
du cacao, du café et du bois ; les capitaux affluèrent dans le pays.
« Le miracle ivoirien » qui a marqué les deux premières décennies de
l’indépendance de la Côte-d’Ivoire s’est accompagné d’une immigration de plus
en plus forte. En plus des communautés des pays voisins cités plus haut, les
Sénégalais, les Français, les Libanais, les Syriens et les Mauritaniens, pour
ne citer que ceux-là, vinrent grossir le lot des étrangers en Côte-d’Ivoire.
Malgré
l’afflux massif d’étrangers en Côte-d’Ivoire, la classe
Mercenaires burkinabè
occupant la forêt classée du mont
Péko
|
dirigeante, sous la
conduite d’Houphouët-Boigny, a su maintenir la cohésion entre toutes les
ethnies, celles de Côte-d’Ivoire et celles venues d’ailleurs. En effet, la
forêt était abondante, les terres cultivables aussi. La conjoncture
internationale était favorable à l’économie ivoirienne, de 1960 à 1980. Le prix
des principaux produits d’exportation (café, cacao et bois) était au plus haut
niveau. Le fort taux d’investissement favorisait la création d’emplois. Dans
toutes les régions se construisaient des routes, des écoles et des hôpitaux.
L’intégration
des Ivoiriens et des non Ivoiriens au sein du parti unique, le PDCI-RDA, a
permis une cohabitation harmonieuse
entre toutes les ethnies vivant sur le territoire national. Cela
d’autant plus qu’il y avait de la place pour tout le monde. Houphouët-Boigny
encourageait l’enrichissement, même illicite. Certaines communautés étrangères avaient
pu s’approprier des secteurs entiers de production, d’exportation et d’importation, sans que les
Ivoiriens ne réagissent.
L’expansion
économique a permis aux colons, aux Libano-Syriens, à la petite bourgeoisie
ivoirienne et africaine de s’enrichir rapidement. Les différents entrepreneurs
pouvaient ainsi concéder aux
travailleurs une partie des avantages qu’ils tiraient des surprofits de
l’exploitation de leur travail. Tant que l’abondance était au rendez-vous, les
uns et les autres n’étaient préoccupés que de leur propre enrichissement.
Toutes les ethnies ont, ainsi, vécu en bonne entente et ont participé au
développement du pays. Les étrangers étaient autorisés à rapatrier leurs
bénéfice sans restriction.
Mais
nos gouvernants, en complicité avec la France, n’ont pas cherché à transformer nos produits, ils se
sont contentés de les vendre à l’état brut à l’ancienne métropole. Au lieu de
construire des usines et d’améliorer la qualification des travailleurs, le
régime d’Houphouët-Boigny a utilisé les
capitaux issus du commerce à construire quelques infrastructures :
routes, écoles, hôpitaux. Mais le fruit du labeur des Ivoirien a aussi servi à
construire des demeures luxueuses et des
édifices religieux. Une bonne partie a servi
à organiser des fêtes grandioses. « Généreux », le président
Houphouët-Boigny payait même les fonctionnaires de certains pays voisins qui
lui étaient fidèles. Et, bien sûr, les riches déposaient une partie de leur argent,
souvent gagné de façon illicite, dans les banques européennes.
Cette
embellie ne dura pas, une crise économique intervint.
La crise économique
A
partir des années quatre-vingt, le système économique, basé sur l’exportation des produits bruts agricoles,
fait apparaître ses limites.
Le
prix du café et du cacao connurent une baisse drastique. Le retournement de la
conjoncture économique internationale plongea la Côte-d’Ivoire dans des
difficultés de tous ordres. Le poids de la dette devint insupportable et, du
coup, les investissements baissèrent. Les emplois commencèrent à se raréfier.
La
demande sociale grandissait, sous la pression démographique, tandis que les
terres cultivables se réduisaient. L’immigration, quant à elle, se poursuivait
à un rythme non maitrisé, les populations étant toujours attirées par
l’eldorado que représentait la Côte-d’Ivoire pour la sous-région. Les immigrés
grossissaient ainsi le lot des sans travail, surtout à Abidjan.
Comme
l’abondance avait déserté la Côte d’Ivoire, le régime ne pouvait plus assurer
des conditions décentes aux travailleurs qui vont alors entrer en
contradiction avec lui. Concomitamment, la lutte pour le partage des revenus va
créer des oppositions au sein de la bourgeoisie. Une rivalité va se faire jour entre la bourgeoisie
nationale et la bourgeoisie d’origine étrangère.
Quand
l’expansion économique s’est essoufflée, au lieu de chercher à relever les
nouveaux défis, en faisant preuve d’innovation et de créativité, la classe
politique mit le destin du pays entre les mains de la Banque Mondiale et du
Fonds Monétaire International. Ces
derniers lui appliquèrent un remède de cheval qui, au lieu de le guérir,
aggrava le mal. Les institutions de Bretton Woods imposèrent l’ajustement
structurel, c'est-à-dire la privatisation des sociétés d’Etat, le dégraissage
de la fonction publique, l’arrêt des investissements sociaux, la diminution et
le blocage des salaires.
Quant
aux paysans, non seulement leurs produits étaient achetés à vil prix, mais dans certaines régions, au Sud-Ouest en
particulier, leurs terres étaient achetées à vil prix par des gens venus
d’ailleurs. Cette politique était encouragée par le président Houphouët-Boigny
qui prônait que « la terre appartient à celui qui la met en valeur ».
Les
frustrations étaient donc au sein de toutes les couches sociales. Seuls se
tiraient d’affaire ceux qui avaient profité de leurs positions dans la haute
administration et dans la politique pour s’enrichir, souvent de façon illicite.
La pauvreté grandissante va détruire la solidarité qui fondait le désir de
vivre ensemble. Or, là où sévit la pauvreté, le désordre et la violence sont
inévitables.
Quand
Houphouët-Boigny sera affaibli par la maladie, les rivalités économiques vont se doubler de
rivalités politiques. La disparition du leader charismatique va exacerber les
différents antagonismes. La lutte pour le pouvoir aboutit au coup d’Etat de
décembre 1999, puis à la rébellion de septembre 2002.
Quelles
sont les origines de la grave crise qui a secoué et continue de secouer la Côte
d’Ivoire ?
Les causes de la crise ivoirienne
Nous
distinguons trois séries de causes : le tribalisme, la religion et la
dépendance de la Côte-d’Ivoire vis-à-vis de l’extérieur.
Le peuplement de la Côte d'Ivoire |
Guerre tribale ou guerre de religions
Le
tribalisme est la cause la plus apparente. A la disparition d’Houphouët-Boigny,
plusieurs prétendants vont s’affronter : Konan Bédié, l’héritier
constitutionnel, Alassane Dramane Ouattara, le Premier ministre qui a assuré
l’intérim du président malade et Gbagbo Laurent, le principal opposant à la
politique d’Houphouët-Boigny.
Konan
Bédié est un fidèle d’Houphouët-Boigny depuis l’indépendance. Il fut
ambassadeur, ministre, représentant de la Côte-d’Ivoire aux Fonds Monétaire
International, député et président de l’Assemblée Nationale. Cette dernière
fonction fait de lui le dauphin constitutionnel. Il est, comme
Houphouët-Boigny, Baoulé, branche du groupe akan. Il est donc celui qui
pourrait perpétuer le pouvoir Baoulé.
Alassane
Dramane Ouattara est né à Dimbokro, qu’il a quitté à l’âge de 7 ans, suivant son père promu chef
traditionnel dans son village d’origine, en Haute Volta, aujourd’hui Burkina
Faso. C’est de la direction de la BCEAO que Ouattara arrive en Côte-d’Ivoire en
1989, conseillé par la France au Président Houphouët-Boigny afin de l’aider à
redresser l’économie du pays. Il dirige, dans un premier temps, un comité
interministériel, puis rapidement, en 1990, Ouattara devient premier
ministre et membre du PDCI. La France voit en lui le remplaçant d’Houphouët-Boigny.
A la mort de ce dernier, Ouattara tente donc de prendre le pouvoir.
Alassane
Dramane Ouattara dit être un descendant de l’empereur Sékou Ouattara, fondateur
de l’empire de Kong. Il revendique le pouvoir
au nom des populations du nord de la Côte-d’Ivoire, (Gur et Malinké).
Laurent
Gbagbo est connu comme le principal opposant à la politique de Houphouët-Boigny,
depuis les années 1970. Il a crée, en 1982, dans la clandestinité, un parti
socialiste : le Front Populaire Ivoirien (FPI). Ce parti fut officialisé en
1990, à l’avènement du multipartisme. Laurent Gbagbo est Bété ; il appartient
donc au groupe Krou (Bété, Wè, Godié, Dida…) situé au sud-ouest de la Côte
d’Ivoire. Les populations Krou se reconnaissent dans le combat de Laurent
Gbagbo à cause des injustices qu’elles ont subi sous la colonisation et le
régime d’Houphouët-Boigny.
C’est
ainsi que les populations qui n’avaient pas de formation politique, ont choisi,
le plus souvent, de soutenir le leader de leur région, de leur ethnie. Bédié
est le mentor des Baoulé (centre), Alassane Dramane Ouattara celui des Mandé et
Gur (nord), et Gbagbo celui des Krou (ouest).
Le
tribalisme a donc joué un rôle effectif dans la crise, surtout que les colons,
pour mieux régner, avaient pratiqué une politique de division des ethnies.
Cependant, le tribalisme n’est pas la cause principale du conflit. En effet,
depuis près d’un siècle, il y a eu un véritable brassage des populations en
Côte-d’Ivoire. Très rares sont les Ivoiriens qui n’ont pas de parents dans les
autres ethnies de Côte d’Ivoire ou des pays de la sous-région.
Les
populations du nord, en particulier les Malinké qui sont des commerçants, sont
très nombreux au sud et tout particulièrement dans les villes où ils sont quelquefois
majoritaires.
Au
plus fort de la guerre des rebelles (2002-2004), les populations du Nord
habitant le Sud n’ont pas rejoint le nord. Au contraire, la majorité des cadres
et des élus ainsi que ceux qui avaient les moyens ont fui le Nord, l’Ouest et
le centre, occupés par la rébellion. Ils ont choisi de s’installer au Sud, dans
la Côte-d’Ivoire loyaliste.
Le
tribalisme, issu des problèmes fonciers, n’est qu’une conséquence de la crise
économique.
On
a aussi avancé que le conflit ivoirien opposait le Nord musulman au Sud
chrétien. Il est vrai que des hommes politiques ont voulu utiliser la religion
pour soutenir leur cause. Au début de sa lutte pour le pouvoir, Alassane Dramane
Ouattara a déclaré qu’on ne voulait pas de sa candidature parce qu’il était
musulman. Heureusement, les hommes de Dieu, musulmans comme chrétiens, ont créé
un forum pour apporter un démenti à cette allégation.
Il
faut donc rechercher ailleurs les véritables causes de la longue et grave crise
ivoirienne.
La domination de la France en Côte
d’Ivoire
Depuis
qu’ils ont eu la maitrise des mers, les Européens n’ont eu qu’une
préoccupation, voire un objectif : la recherche des matières premières et
des débouchés pour leurs produits industriels. Tous les moyens, y compris la
guerre, ont été utilisés pour atteindre
cet objectif dans le monde entier. La compétition pour les matières
premières et les débouchés a donné naissance à la colonisation et est, en
partie, responsable des deux guerres
mondiales du XXème siècle.
A
la fin de la deuxième guerre mondiale, Houphouët-Boigny avait pris la tête du
mouvement d’émancipation de l’Afrique Noire en créant, avec d’autres leaders
africains, le Rassemblement Démocratique Africain (RDA). A l’Assemblée Nationale française, le RDA s’était apparenté au Parti Communiste
Français. C’est avec l’aide de ce parti que Houphouët a obtenu l’abolition du
travail forcé en Afrique. Cela déclencha la colère de la France coloniale. Elle
entra alors en guerre contre le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI),
section ivoirienne du RDA. Avec le gouverneur Péchoux, une grande répression fut
organisée en Côte d’Ivoire, entre 1949 et 1950.
La
France mit tout en œuvre pour détourner Houphouët-Boigny de la lutte pour les
intérêts de l’Afrique. Elle associa le mensonge et la menace à la force. Elle a
réussi. Houphouët-Boigny a désaparenté le RDA du groupe communiste à
l’Assemblée nationale française. Il se réconcilia avec les colons qui avaient
voulu sa peau en 1949-1950.
Par
la loi-cadre Defferre, en 1956, Houphouët-Boigny donne sa caution à la
dislocation des fédérations de l’Afrique Occidentale Française (AOF) et de
l’Afrique Equatoriale Française (AEF). Ce qui rend plus facile la domination de
la France sur chaque petit pays.
Le masque de Foccart... |
Houphouët-Boigny
est récompensé. Il entre dans le gouvernement français. La France va désormais
se servir de lui pour empêcher toute véritable indépendance et perpétuer sa
politique de domination sur ses anciennes colonies.
Houphouët dans son rôle d'homme de la France (avec Foccart et Chirac) |
Au
milieu du XXe siècle, la fin de la colonisation, ne mit pas un terme
à la domination de l’Afrique par ses anciens colonisateurs.
Les
anciennes puissances coloniales, et tout particulièrement la France, ont mis
tout en œuvre pour continuer l’exploitation des anciennes colonies. Avec les
indépendances, la France change de méthode dans ses rapports avec ses anciennes
colonies. Elle va passer de l’exploitation imposée, directe et brutale à une
exploitation indirecte, consentie, en apparence, par les victimes. La France
trouvera chez certains Africains, dont Houphouët-Boigny, des serviteurs zélés
pour se charger de défendre ses intérêts en Afrique.
En
effet, moins d’un an après leur indépendance, la France signe avec la
Côte-d’Ivoire, le Niger et le Dahomey (actuel Bénin) des accords de coopération.
Ces accords définissent les rapports privilégiés d’aide et de coopération dans
les domaines économique, monétaire, financier, judiciaire, culturel, technique,
militaire et politique. Il s’agit, en réalité, d’une vaste entreprise
d’embrigadement de l’indépendance que ces pays viennent d’acquérir. Ces accords
donnent aux autorités françaises le pouvoir de contrôler les activités
politiques, économiques, monétaires, militaires, culturelles et politiques de
ces Etats.
Prenons
l’exemple du système monétaire. C’est en 1945 que la France crée le franc des Colonies Françaises d’Afrique, (CFA).
En 1958, quand le général De Gaulle mit sur pied la communauté française, cette
monnaie devient le franc de la Communauté Financière d’Afrique (CFA). Après les indépendances, elle
devient le franc de la Communauté
Financière d’Afrique (CFA) pour
l’Afrique de l’ouest, de la Coopération
financière d’Afrique (CFA) pour l’Afrique centrale.
Ce
système monétaire qui a survécu à la décolonisation permet à la France de
mettre l’Afrique au service des intérêts économiques français.
Sylvanus
Olympio s’était élevé contre ce système et il envisageait de sortir de la zone
franc dès 1963. C’est au début de cette année-là qu’il perdit et le pouvoir et
sa tête. Il fut assassiné.
En
vue de faire fonctionner sa politique d’exploitation afin de conserver sa place
de grande puissance, au plan international, la France avait détaché des hommes
auprès des chefs d’Etat africains. Sous
la Vème République française, Jacques Foccart a été le champion de cette
politique, connue sous le nom de « Françafrique ».
Parmi
les chefs d’Etat africains, Houphouët-Boigny était le pilier de la
« Françafrique ». La France lui donnait les Français qu’il fallait
pour l’assister. Il gardera certains, auprès de lui, jusqu’à sa mort (1993).
Les plus connus sont Guy Nairay et Belkiri ; l’un comme directeur de
cabinet, l’autre comme secrétaire général de gouvernement.
Houphouët-Boigny,
principal allié de la France en Afrique, a participé à tous les complots impérialistes
contre l’Afrique, que ce soit en Guinée Conakry, au Congo Kinshasa, au Togo, au
Nigéria (Biafra), au Libéria, au Bénin, au Ghana, en Angola ou au Burkina Faso.
Il a aidé la France à déstabiliser des régimes africains qui refusaient de
faire allégeance à l’ancienne métropole. Il a par contre contribué à maintenir
au pouvoir lui obéissaient. Cela explique les longs règnes des uns
(Houphouët-Boigny et Omar Bongo) et les chutes précipitées des autres (Sylvanus
Olympio, Modibo Kéita, Sankara…).
Quand
Houphouët-Boigny fut affaibli par l’âge et la maladie, la France ne trouva pas
en Côte-d’Ivoire un homme capable de lui succéder dans le rôle qu’il jouait
auprès d’elle. C’est ainsi que son choix se porta sur Alassane Dramane Ouattara
pour assurer l’intérim du vieux leader et lui succéder, le moment venu.
A
la mort d’Houphouët-Boigny, en 1993, la France avait donc son homme, Alassane
Dramane Ouattara. Elle voulut l’imposer. Ce fut un échec parce que les
Ivoiriens ont préféré appliquer la Constitution du pays qui faisait de Konan Bédié
le dauphin d’Houphouët-Boigny. Le système d’Houphouët-Boigny aurait pu
s’effondrer si Konan Bédié s’était entouré d’une équipe de nationalistes afin
de prendre en main le destin de la Côte d’Ivoire. Il n’a pas cherché à murir la
prise de conscience populaire sans laquelle il ne peut y avoir de
décolonisation. Il a continué la pratique de la politique du culte de la
personnalité, comme son prédécesseur. Comme Houphouët-Boigny, il a développé le
tribalisme, le népotisme et la corruption.
Pendant
la période de flottement où la France était à la recherche d’un autre Houphouët,
la classe politique ivoirienne a étalé
ses carences dans des querelles mesquines sur la nationalité d’Alassane Dramane
Ouattara et les problèmes électoraux.
C’est
à ce moment qu’Henri Konan Bédié, va, pour ainsi dire, provoquer l’ancienne
puissance coloniale en prononçant le 22 décembre 1999 un discours nationaliste des
plus menaçants :
"L’intégration
à la communauté nationale est un processus et non pas le résultat d’un coup de
baguette magique à effet instantané. A fortiori est-il concevable, et même
convenable, quoi qu’on puisse juridiquement le faire, de chercher à tirer
parti, de façon la plus intéressée, d’une éventuelle appartenance à plusieurs
nationalités ? Quelles sont ces personnes qui se disent Ivoiriennes les jours
pairs et non Ivoiriennes les jours impairs ? N’y a-t-il donc pas, dans nos
formations politiques, assez de personnalités ivoiriennes présentant les
qualités requises pour être des candidats valables à l’élection présidentielle
? Oserais-je ajouter que dans les pays où certains se donnent volontiers en
modèles, voire en censeurs, il existe des dispositions légales semblables aux
nôtres et qui s’appliquent aux conditions de l’éligibilité à la magistrature
suprême. C’est ce lien fort entre nationalité et citoyenneté qui fonde la
souveraineté et l’indépendance de la Nation. Aujourd’hui, cette souveraineté et
cette indépendance sont grossièrement mises en cause par des personnes et des
organisations qui s’arrogent la faculté de décider de ce qui est bon pour les
Ivoiriens. Nos aînés n’ont pas lutté pour l’indépendance pour que nous
acceptions aujourd’hui de nouvelles soumissions. La nationalité, la
citoyenneté, la démocratie et la souveraineté nationale sont les quatre côtés
d’un carré magique qu’il nous faut défendre avec calme et détermination devant
ces
occidentaux est
évidente, les Ivoiriens ont aussi leur part de responsabilité. Il s’agit bien
évidemment des Ivoiriens qui ont participé au pouvoir politique, depuis Houphouët-Boigny
jusqu’à Laurent Gbagbo. Les dirigeants ivoiriens ont livré la Côte d’Ivoire aux
intérêts français. Ils n’ont pas pu profiter des occasions, quand elles se sont
présentées, pour se libérer de la tutelle impérialiste. Par exemple, pendant la
période de flottement qui a suivi le coup d’Etat de 1999, quand la France était
à la recherche d’un autre « Houphouët-Boigny », la classe politique a
étalé ses carences dans des querelles mesquines. Au lieu de mener une réflexion
sur les systèmes politique et économique qui ont conduit à la crise, les
politiques se sont focalisés dans des débats stériles autour de la nationalité
d’Alassane Dramane Ouattara et des problèmes électoraux.
ingérences inacceptables. C’est aux Ivoiriens de décider par eux-mêmes,
pour eux-mêmes, et de choisir librement l’un d’entre eux pour conduire le
destin de la Nation en refusant les aventures hasardeuses et l'imposture insupportable."
Le
23 décembre 1999, un jour seulement après ce discours du président ivoirien, la
France remit donc le couvert. Un coup d’Etat éjecte Henri Konan Bédié de son fauteuil
présidentiel. Le général Robert Guéi prend le pouvoir. Alassane Dramane
Ouattara qui était en exil, sous le coup d’un mandat d’arrêt international
lancé par Henri Konan Bédié, rentre en Côte d’Ivoire, presque triomphalement.
Ce coup d’Etat a été, en réalité, fomenté afin qu’Alassane Dramane Ouattara
accède enfin au pouvoir.
La
Côte d’Ivoire a connu son premier coup d’Etat parce que le Président Henri
Konan Bédié a touché verbalement aux intérêts de la France.
Là
encore, monsieur Alassane Ouattara ne réussit pas à récupérer le pouvoir.
Quelques mois seulement après la formation du gouvernement du général Guéi, les
ministres du RDR (parti dont Ouattara est le président) sont éjectés du
gouvernement.
La
nouvelle constitution de la Côte d’Ivoire, votée en août 2000, ne permet pas à
Alassane Dramane Ouattara de se présenter aux élections présidentielles de 2000.
Elle stipulait, en effet, que ne pouvaient être candidats que les citoyens de
mère et de père Ivoiriens. La candidature d’Henri Konan Bédié fut, elle aussi,
rejetée par la cour suprême, le dossier de candidature étant déclaré incomplet.
Au
scrutin présidentiel d’octobre 2000, Gbagbo est déclaré vainqueur, après des
combats meurtriers entre les partisans du général Guéi, ceux de Laurent Gbagbo
et ceux d’Alassane Dramane Ouattara. Le général Guéi fuit et se réfugie dans
son village à l’ouest du pays.
La déclaration de guerre
Le
19 septembre 2002, un an et demi après l’avènement de Laurent Gbagbo, des
militaires déserteurs de l’armée ivoirienne, aidés de miliciens ont envahi la
Côte-d’Ivoire à partir du Burkina Faso. La préparation, au Burkina Faso de
Blaise Compaoré et l’exécution de cette attaque n’a pas pu échapper à la
France. Elle y a certainement participé au vu des moyens utilisés (l’armement,
la médiatisation, les moyens de transport et de communication). Pendant près de
10 ans qu’a duré la résistance du peuple ivoirien, la France a été fortement
impliquée dans les négociations (Marcoussis) comme sur les champs de bataille
(la destruction des aéronefs ivoiriens et le massacre des jeunes patriotes par
la Licorne en 2004 devant l’hôtel Ivoire).
Tous
les accords liés à la crise ivoirienne et tout particulièrement celui de
Ouagadougou avaient prévu le
désarmement, la réunification du pays et la mise sur pied d’une nouvelle armée
nationale, avant l’élection présidentielle. Mais la France a pesé de tout son
poids sur l’Union Européenne et l’ONU pour que l’élection présidentielle ait
lieu sans que ces conditions soient remplies. Les « forces nouvelles »,
nom donné aux rebelles à la conférence de Marcoussis, avaient pour rôle d’aider
Alassane
Dramane Ouattara à arracher le pouvoir à Laurent Gbagbo. Mais la
bataille fut longue et, pour terminer le travail, la force Licorne, le corps
expéditionnaire français, dut intervenir directement. C’est l’armée française
qui, après plusieurs jours de bombardement des camps militaires, de certains
quartiers d’Abidjan et surtout de la résidence du président Laurent Gbagbo, à
Cocody, a fini par capturer le président et le livrer à Alassane Dramane Ouattara,
à son QG de l’hôtel du Golf.
Lendemains de la table ronde de Marcoussis |
La
crise que connait la Côte d’Ivoire n’est ni ethnique ni religieuse. Il s’agit bel et bien d’une guerre
de reconquête coloniale. En effet, la lutte pour les matières premières est de
plus en plus âpre, car de nouvelles puissances ont émergé. Ces pays dits émergents,
non seulement, ne livrent plus leurs propres matières premières aux puissances
occidentales, mais ils sont, eux-mêmes, à la recherche de matières premières
pour leurs industries naissantes et de débouchés pour leurs produits
industriels.
De
nombreux exemples montrent que ce sont les ressources des pays africains qui
intéressent les occidentaux et non la démocratie et la protection des populations
civiles, comme ils le prétendent. Leurs interventions en République
Démocratique du Congo (ex-Zaïre), en Côte-d’Ivoire, en Lybie le démontrent
bien. Il y a de plus en plus de morts depuis leurs interventions.
L’impérialisme
occidental, en général, et l’impérialisme français, en particulier, sont à
l’origine de la crise que connait la Côte-d’Ivoire.
Au
moment de la colonisation, les Africains avaient été surpris. Les rapports de
force étaient largement en faveur des Européens. Ces derniers avaient imposé leur domination par la ruse en
faisant signer des traités de commerce et de protectorat aux rois et chefs
traditionnels. Mais les Africains avaient été essentiellement réduits par la
force malgré des résistances héroïques ici et là.
Les
Africains en général et les Ivoiriens en particulier, avaient été placés dans
des situations qui ne leur ont pas permis de se défendre, encore moins d’en
sortir victorieux. Les impérialistes avaient les stratégies et les moyens de
prendre toujours le dessus. Ils étaient techniquement plus forts (armement,
moyens de transport, produits alléchants) et disposaient de stratégies
appropriées (diplomatie, mensonge, ruse, corruption). Ils étaient surtout
guidés par les intérêts de leurs nations.
Ils ont réussi à faire signer aux Africains des accords iniques qui les
ont liés à la France et à l’Europe.
Si,
dans cette crise, l’implication des Français et de leurs alliés
Jean-Marc Simon, l'ambassadeur de France, convoyait
personnellement les vivres
nécessaires à l'entretien
de ses troupes
auxiliaires cantonnées à l'hôtel du Golf
|
Depuis
bientôt 10 ans, le débat politique s’est focalisé autour de quatre
personnalités politiques que sont : Henri Konan Bédié, Alassane Dramane Ouattara,
Laurent Gbagbo et Le général Guéi Robert ; Ce qui a donné à la France la
possibilité de préparer la reprise en main de la Côte d’Ivoire, « sa
vitrine » en Afrique occidentale.
Jeunes patriotes prisonniers de la milice ouattariste |
L’élection
présidentielle, précipitée, a été
organisée avec les forces rebelles, dites nouvelles, en armes, pour assurer la
victoire d’Alassane Dramane Ouattara. La force Licorne et l’ONUCI y ont
grandement participé. Enfin, Alassane Dramane Ouattara a été installé. Dans les
mêmes conditions les élections législatives ont suivi, sans la participation de
l’opposition.
La
France voulait s’accaparer de la Côte d’Ivoire. C’est chose faite aujourd’hui.
Avec Alassane Dramane Ouattara, elle a trouvé un Houphouët bis, et nous voici
revenus à l’époque des années 1980. La Côte d’Ivoire va être de nouveau livrée aux institutions de
Brettons Woods, qui vont la soumettre à un nouvel ajustement structurel. La
France va s’emparer du reste des entreprises stratégiques de Côte d’Ivoire.
Ce qu'il reste de la résidence officielle du chef de l'Etat ivoirien après les bombardements franco-onusiens |
Nous
venons de démontrer que la domination française en Côte d’Ivoire est la principale
cause de la crise économique qui s’est muée en crise politique. Pour parvenir à
leurs fins, Chirac puis Sarkozy ont d’abord menacé Laurent Gbagbo. Comme ce
dernier n’a pas voulu se soumettre à leur diktat, ils lui ont fait la guerre.
C’est certainement sous la pression de ces deux présidents français que Henri
Konan Bédié a dû accepter la réconciliation avec Alassane Dramane Ouattara afin
d’abattre Laurent Gbagbo. En effet, c’est à Paris qu’est né le RHDP en 2005.
Une
fois Henri Konan Bédié réduit au silence, une campagne de diabolisation de
Gbagbo a commencé. La presse française le traite de tribaliste, de dictateur,
de criminel et surtout d’ennemi de la France. Le prétexte de l’intervention
française en Côte d’Ivoire est le même que celui des Etats Unis en Irak :
la défense des droits de l’homme et de la démocratie. La Côte-d’Ivoire de
Laurent Gbagbo serait-elle moins démocratique que le Burkina-Faso de Blaise
Compaoré, le Togo des Gnassingbé père et fils ou le Gabon des Bongo, père et
fils ? Les occidentaux ont toujours diabolisé ceux qu’ils veulent perdre.
La
France a bel et bien organisé la rébellion à partir du Burkina Faso et lui a
fourni les moyens financiers et logistiques pour soutenir un conflit de près de
dix ans. Avec l’aide des Etats Unis, de l’ONU et de l’Union Européenne, elle a
gagné la guerre. Alassane Dramane Ouattara a été imposé à la Côte d’Ivoire par
la force et il sera soutenu parce que comme Houphouët-Boigny, il est le garant
des intérêts français.
Les
Ivoiriens accepteront-ils cet état de fait ? Il semble que non, car malgré
les campagnes mensongères, la fabrication de fausses preuves et la répression, le
peuple de Côte d’Ivoire, soutenu par les démocrates du monde entier, organise la
résistance à l’impérialisme français et à ses valets. Le combat engagé n’aura
pas pour but le remplacement d’un homme par un autre mais le renversement d’un
système de domination et d’oppression.
Youkeli (01/07/2014)
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