Daniel Stricher |
Souvent, la classe politique est
brocardée pour son incapacité à trouver les solutions à la hauteur des défis
présents. Et chacun d'appeler de ses vœux l'homme d'État qui, quasi
providentiellement, remettra la société sur des chemins plus sereins.
On ne saurait critiquer l'homme
politique lorsque celui-ci expose ses idées et les défend avec volontarisme
dans l'expression et dans l'action. On connaît trop de discours qui, à force
d'esprit de consensus, sont vides de sens. La démocratie a besoin pour vivre de
la confrontation des points de vue émis par les meneurs d'opinions armés de
leurs convictions tout autant que de leurs expériences personnelles dans le
vécu de la société. Il est légitime que les positions prises par les hommes
politiques prennent leurs racines dans l'expérience qu'ils détiennent de la vie
sociale, dans l'entreprise, le quartier, l'association, le voisinage ou la
famille. Ces expériences forment, au total, le miroir kaléidoscopique de notre
vie collective, multiforme, image à partir de laquelle s'érige la conscience
sociale de toute communauté humaine.
On ne saurait pas plus critiquer l'homme
politique dans sa quête du pouvoir tendu vers le but de faire triompher les
idées auxquelles il croit et de les appliquer. Sauf à se réfugier dans une
position politique de témoignage, l'action politique a, normalement, pour
objectif ultime la pratique du pouvoir qu'il soit local ou national.
Les temps présents étant à la réduction
quasi systématique de la durée des mandats politiques, on ne saurait également
trop critiquer les élus pour leur empressement à voir leurs projets se réaliser
au plus vite, ceci avant que l'opinion publique, souvent versatile et toujours
courtisée ne se retourne pour faire le bonheur d'autres convictions soutenues
par des candidats tout aussi passionnés et déterminés.
Au demeurant, l'homme politique se
trouvant dans l'obligation de capter l'adhésion de plusieurs clientèles pour
atteindre la majorité, la politique menée sera, dans la plupart des cas, le
résultat de compromis destinés à contenter, ne fut-ce que partiellement, des
intérêts divers de façon à créer un équilibre, certes provisoire, mais dans
bien des cas, indispensable.
Avant de se révéler, l'homme d'État est
un homme politique. En cela, il n'échappe pas aux compromis, aux
compromissions, aux calculs étriqués dans l'espoir que des circonstances
futures, favorables, lui permettront de faire valoir sa vraie dimension. Ainsi,
Churchill, De Gaulle ou Juan Carlos d'Espagne par exemple, ont dû subir les
petitesses des calculs incertains pour pouvoir ensuite être en position
d'extérioriser leurs qualités d'hommes d'État. Rares sont en effet les
circonstances dans lesquelles la Grandeur se révèle d'emblée.
Il faut en effet réunir des
circonstances de temps et de lieux pour montrer les qualités par lesquelles on
reconnaît l'homme d'État. Mais il arrive hélas que ces circonstances ne
rencontrent pas l'homme à la mesure des enjeux qui surviennent.
Qu'elles sont donc les qualités
intrinsèques de l'homme d'État ?
Un
rapport au temps, tout d'abord.
Parmi toutes les affaires susceptibles
d'encombrer l'agenda d'un décideur public, l'homme d'État reconnaîtra celle,
ayant trait aux valeurs façonnant la communauté nationale tout au long d'une
histoire ancestrale, dont la résolution aura un impact essentiel pour l'avenir.
Pour l'homme d'État, rien de ce qui constitue l'avenir potentiel de la
communauté nationale ne doit être sacrifié au présent.
La
perception d'un intérêt commun, ensuite.
Quoiqu'ayant participé aux luttes
parfois sévères qui parcourent la vie politique des temps ordinaires, l'homme
d'État saisira les affaires dont la résolution aura un impact fort sur la
cohésion sociale minimum nécessaire à toute société. Il saura mesurer ce qui
peut relever d'une légitime victoire politique d'une majorité sur son
opposition et ce qui constituera une atteinte aux valeurs essentielles,
fondatrices du consensus social. Il consentira alors à mettre en réserve ses
convictions personnelles ou partisanes et donnera droit à la préservation de
l'indispensable consensus social. Bien qu'habité de fortes convictions
personnelles, l'homme d'État a l'intelligence de l'éthique sociale et politique
transcendante.
L'abnégation
et la transcendance, enfin.
En politique, la transcendance est une
charge. Elle donne à connaître et à défendre des solutions politiques hors de
portée de l'entendement commun. Celui-ci, quand les rigueurs du temps
commanderaient des solutions vigoureuses sur le plan de l'éthique politique, se
laisse aller à des solutions relevant du consensus mou, faussement
respectueuses de la diversité des positions sociales, mais sans perspective
autre que celle d'assurer la tranquillité immédiate.
Quand les temps politiques sont
incertains, il convient qu'une volonté puissante vienne forcer le destin et
emporter une société qui, sans elle, ne cesserait de louvoyer sans cap et sans
conviction. Seuls les hommes d'État possèdent la puissance et le
désintéressement qui conviennent à l'accomplissement d'une telle mission.
D. Stricher, diplômé
de droit public.
Source : www.lemonde.fr
31 août 2010
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