jeudi 1 mars 2018

L'homme politique et l'homme d'État. Par Daniel Stricher


Daniel Stricher
Souvent, la classe politique est brocardée pour son incapacité à trouver les solutions à la hauteur des défis présents. Et chacun d'appeler de ses vœux l'homme d'État qui, quasi providentiellement, remettra la société sur des chemins plus sereins.
On ne saurait critiquer l'homme politique lorsque celui-ci expose ses idées et les défend avec volontarisme dans l'expression et dans l'action. On connaît trop de discours qui, à force d'esprit de consensus, sont vides de sens. La démocratie a besoin pour vivre de la confrontation des points de vue émis par les meneurs d'opinions armés de leurs convictions tout autant que de leurs expériences personnelles dans le vécu de la société. Il est légitime que les positions prises par les hommes politiques prennent leurs racines dans l'expérience qu'ils détiennent de la vie sociale, dans l'entreprise, le quartier, l'association, le voisinage ou la famille. Ces expériences forment, au total, le miroir kaléidoscopique de notre vie collective, multiforme, image à partir de laquelle s'érige la conscience sociale de toute communauté humaine.
On ne saurait pas plus critiquer l'homme politique dans sa quête du pouvoir tendu vers le but de faire triompher les idées auxquelles il croit et de les appliquer. Sauf à se réfugier dans une position politique de témoignage, l'action politique a, normalement, pour objectif ultime la pratique du pouvoir qu'il soit local ou national.
Les temps présents étant à la réduction quasi systématique de la durée des mandats politiques, on ne saurait également trop critiquer les élus pour leur empressement à voir leurs projets se réaliser au plus vite, ceci avant que l'opinion publique, souvent versatile et toujours courtisée ne se retourne pour faire le bonheur d'autres convictions soutenues par des candidats tout aussi passionnés et déterminés.
Au demeurant, l'homme politique se trouvant dans l'obligation de capter l'adhésion de plusieurs clientèles pour atteindre la majorité, la politique menée sera, dans la plupart des cas, le résultat de compromis destinés à contenter, ne fut-ce que partiellement, des intérêts divers de façon à créer un équilibre, certes provisoire, mais dans bien des cas, indispensable.
Avant de se révéler, l'homme d'État est un homme politique. En cela, il n'échappe pas aux compromis, aux compromissions, aux calculs étriqués dans l'espoir que des circonstances futures, favorables, lui permettront de faire valoir sa vraie dimension. Ainsi, Churchill, De Gaulle ou Juan Carlos d'Espagne par exemple, ont dû subir les petitesses des calculs incertains pour pouvoir ensuite être en position d'extérioriser leurs qualités d'hommes d'État. Rares sont en effet les circonstances dans lesquelles la Grandeur se révèle d'emblée.
Il faut en effet réunir des circonstances de temps et de lieux pour montrer les qualités par lesquelles on reconnaît l'homme d'État. Mais il arrive hélas que ces circonstances ne rencontrent pas l'homme à la mesure des enjeux qui surviennent.
Qu'elles sont donc les qualités intrinsèques de l'homme d'État ?

Un rapport au temps, tout d'abord.
Parmi toutes les affaires susceptibles d'encombrer l'agenda d'un décideur public, l'homme d'État reconnaîtra celle, ayant trait aux valeurs façonnant la communauté nationale tout au long d'une histoire ancestrale, dont la résolution aura un impact essentiel pour l'avenir. Pour l'homme d'État, rien de ce qui constitue l'avenir potentiel de la communauté nationale ne doit être sacrifié au présent.

La perception d'un intérêt commun, ensuite.
Quoiqu'ayant participé aux luttes parfois sévères qui parcourent la vie politique des temps ordinaires, l'homme d'État saisira les affaires dont la résolution aura un impact fort sur la cohésion sociale minimum nécessaire à toute société. Il saura mesurer ce qui peut relever d'une légitime victoire politique d'une majorité sur son opposition et ce qui constituera une atteinte aux valeurs essentielles, fondatrices du consensus social. Il consentira alors à mettre en réserve ses convictions personnelles ou partisanes et donnera droit à la préservation de l'indispensable consensus social. Bien qu'habité de fortes convictions personnelles, l'homme d'État a l'intelligence de l'éthique sociale et politique transcendante.

L'abnégation et la transcendance, enfin.
En politique, la transcendance est une charge. Elle donne à connaître et à défendre des solutions politiques hors de portée de l'entendement commun. Celui-ci, quand les rigueurs du temps commanderaient des solutions vigoureuses sur le plan de l'éthique politique, se laisse aller à des solutions relevant du consensus mou, faussement respectueuses de la diversité des positions sociales, mais sans perspective autre que celle d'assurer la tranquillité immédiate.
Quand les temps politiques sont incertains, il convient qu'une volonté puissante vienne forcer le destin et emporter une société qui, sans elle, ne cesserait de louvoyer sans cap et sans conviction. Seuls les hommes d'État possèdent la puissance et le désintéressement qui conviennent à l'accomplissement d'une telle mission.

D. Stricher, diplômé de droit public.

Source : www.lemonde.fr 31 août 2010

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