Qu’est-ce que homme d’Etat ? « Un homme capable de prendre des
risques ». Le général de Gaulle, qui donnait cette définition, est
exemplaire à cet égard : l’homme de Londres avait été condamné à mort par
Vichy.
B. Renouvin en 2016 |
Le cas est exceptionnel et nul ne saurait souhaiter que se reproduisent
les circonstances dans lesquelles un général de brigade à titre temporaire a
affirmé sa légitimité, selon l’histoire et selon les impératifs de la défense
nationale. La raison politique se défie des évocations romantiques et craint la
gestuelle héroïque. Pour le service de l’Etat en temps de paix, le courage
ordinaire suffit. Je l’ai souvent dit à des responsables de haut rang : la
prise de risques politiques sérieux peut mettre en péril un siège de député ou
un fauteuil de ministres mais pas la carte Vitale et les points de retraite.
Quels risques ? Celui de rompre avec l’oligarchie, de faire
scission au sein d’un grand parti, de proposer un programme de gouvernement
fondé sur des principes fondamentaux (ceux du gaullisme, du socialisme, du
libéralisme…) et offrant de nouvelles perspectives. Au modeste courage
politique, il faut ajouter cette aventure plus personnelle qui consisterait à
penser et à agir sans les prétendus experts et autres conseillers en
communication, sans regarder les sondages ni prendre au sérieux les mises en
garde solennelles de trois éditorialistes et d’un quarteron d’intellocrates.
On m’opposera des campagnes électorales qui furent de formidables défis,
des traversées du désert, des revanches inattendues. Je ne les néglige pas mais
on ne peut confondre l’action qui a pour moteur une ambition personnelle et le
service de l’Etat qui impose le sacrifice de tout ou partie de soi-même – à
commencer par la perte de l’estime acquise dans la société des puissants. Beaucoup
sont rentrés dans le rang par simple crainte de perdre une réputation tissée au
fil des relations mondaines.
Le comportement excessif de Nicolas Sarkozy est à cet égard tout à fait
remarquable : il ne respecte pas plus les convenances que le droit
constitutionnel mais il se conforme aux usages et aux normes de ses amis du
spectacle et de la finance.
Qu’y faire ? Les injonctions morales ne sont pas de notre ressort
et de toutes manières ne serviraient à rien : par définition, les
oligarques respectent les valeurs de l’oligarchie, qui sont à l’opposé de
celles du commun. Je propose donc qu’on leur tienne le seul langage susceptible
de les émouvoir : celui de leurs intérêts à moyen terme, en prenant en
très haute considération le souci qu’ils ont de leur confort, de leur argent,
de leur réputation.
Chers hiérarques socialistes et sarkoziens, songez un instant aux
révolutions qui ont bouleversé les deux derniers siècles : il arrive
toujours un moment où « les gens », comme vous dites, ne supportent
plus les mensonges qui sont censés masquer l’incapacité, l’arrogance et la
corruption d’une caste qui se croit d’essence supérieure. Epargnez-vous une
vengeance populaire qui vous priverait de tout. Ayez le courage de vous sauver
vous-mêmes en tenant à vos amis et complices un langage non moins
salutaire :
« Chers patrons, qui pratiquez le
"management par le stress" – entre autres cruautés – et jouissez de
revenus inouïs, ne croyez-vous pas que vos salariés poussés à bout
finiront par retourner la violence qui les frappe contre vous-mêmes ?
»Chers dirigeants syndicaux, ne pensez pas
que les manœuvres et manipulations dont nous tenons ici le compte exact
permettront de repousser aux calendes grecques l’explosion sociale que vous
redoutez. En vous laissant humilier par Nicolas Sarkozy, en passant des
compromis qui accélèrent la destruction de la protection sociale, vous finirez
par provoquer, contre vous, des scissions salutaires ou des révolutions d’appareil.
»Chers banquiers, qui tentez de vous protéger
contre tous les risques par des procédés d’une complexité inouïe, ne voyez-vous
pas que vos spéculations entraînent des pertes colossales qui peuvent provoquer
votre élimination ? ».
Tous devraient comprendre
que le risque suprême est de ne pas prendre de risques. Mais leur voracité
m’inquiète : ils se hâtent de jouir de l’argent, du confort, de la
considération comme s’ils étaient sûrs de bientôt tout perdre.
B.
Renouvin
source : www.bertrand-renouvin.fr 9 juin 2008
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