Chères amies lectrices,
Chers amis lecteurs,
Le texte ci-dessous date de 2013. Le favori de la communauté internationale
régnait depuis deux pleines années déjà et il donnait apparemment à l’auteur, l’impression
de pédaler dans le vide. Les circonstances de ce constat sévérissime ne sont
pas sans rappeler ce qui se passe ces temps-ci dans notre malheureuse patrie. Encore Jean-Pierre Béjot n’avait pas connaissance – et pour cause – de la cascades de mutineries qui ont
défrayé la chronique l’an passé, ni des émeutes urbaines de ces dernières
semaines qui ont tout l’air de signaux annonciateurs de désordres à venir,
encore plus graves… Les mêmes causes, dit-on, produisent les mêmes effets. A en
juger d’après ce portrait-charge de son chef, l’avenir de ce régime paraît bien sombre. On
pourrait s’en réjouir, s’il ne s’agissait pas aussi, malheureusement, de notre
propre avenir.
La Rédaction
© Présidence par DR
Aéroport de Lisbonne (Portugal), le 11 septembre 2017
Aéroport de Lisbonne (Portugal), le 11 septembre 2017
On croirait Fernand de Magellan en
personne
revenant de son tour du monde…
Sauf que le vrai, lui, n’est jamais
revenu.
« Deuxième fiasco
électoral - Alassane Dramane Ouattara rate son nouveau rendez-vous avec la
démocratie »
Il n’est pas de politique qui vaille en dehors des réalités. Margaret
Thatcher
C’était le 11
octobre 1968. Il y a longtemps. Mais puisque Margaret Thatcher vient d’être
enterrée en grande pompe en Angleterre et que sa politique « libérale » est
encensée (encore) par quelques adeptes, cela vaut le coup de rappeler
l’interrogation qui était celle de la «dame de fer» (quand elle ne l’était pas
encore ; elle appartenait au Shadow Cabinet de Ted Heath). C’était à l’occasion
de la conférence annuelle du Conservative Political Centre (CPC). Thatcher, qui
avait alors 43 ans (mais près de dix ans d’expérience comme députée), était
l’étoile montante de la vie politique britannique mais pas encore la star
qu’elle deviendra quelques années plus tard, avait posé la question dans un
texte fondateur du « thatchérisme » : « What’s wrong with politics ? ».
Elle y prônait une « politique de
conviction » contre la « politique de consensus » en vigueur dans les rangs des
conservateurs. La démocratie, disait-elle, «
suppose l’alternative politique et un contre-gouvernement prêt à prendre en
main les rênes du pays […] Aucun grand parti ne peut survivre sur des bases qui
ne soient pas celles d’une ferme conviction de ce qu’il veut faire ». Elle
ajoutait : « Il n’est pas de politique
qui vaille en dehors des réalités ».
Cette interrogation (« Qu’est-ce qui ne marche pas en politique ? ») et ces propos
thatchériens me reviennent en mémoire alors que la Côte d’Ivoire est confrontée
à l’émergence d’une nouvelle crise politique.
Les élections régionales couplées, déjà
reportées, viennent de se dérouler de la façon la plus indescriptible qui soit.
Impréparation, faible participation, confusion… et, tout naturellement, en fin
de parcours, affrontements violents dans plusieurs villes du pays. Un K.O.
annoncé pour le parti au pouvoir, le RDR, et un chaos avéré pour la République
de Côte d’Ivoire qui n’avait pas besoin de cela.
Deux ans après avoir prêté serment (6 mai
2011), Alassane D. Ouattara se trouve, une fois encore, confronté à la réalité
politique et sociale de son pays alors qu’il ne semble s’intéresser qu’à une
virtualité économique (l’émergence en 2020) à laquelle l’encouragent, hélas,
ses partenaires mondiaux et les institutions internationales qui l’ont formaté.
« Il
n’est pas de politique qui vaille en dehors des réalités ». Quand donc ADO va-t-il les prendre en compte ? En
novembre 1988, à Washington, alors qu’il se préparait à quitter le FMI pour le
gouvernorat de la BCEAO, il me disait que «
les bonnes politiques économiques, ce sont des recettes de bonne femme, des
choses très simples » et que pour les mettre en œuvre il fallait « un assainissement préalable du terrain ».
O.K pour l’économie, c’est son job. Mais en matière politique, le « libéral »
qu’il est (ce que je ne suis pas, loin de là) devrait relire Thatcher qui a des
« recettes de bonne femme » qui pourraient lui permettre de ne pas être dégagé
en touche avant l’heure : « Aucun grand
parti ne peut survivre sur des bases qui ne soient pas celles d’une ferme
conviction de ce qu’il veut faire ».
Or, le RDR ne semble vouloir rien faire
d’autre que d’avoir le pouvoir pour quelques-uns de ses « grottos ». ADO en a
pris les rênes à l’été 1999 – cela fait quand même pas loin de quatorze ans –
et ce parti n’a, depuis, cessé de se « déconstruire ». Le RDR accède au pouvoir
après avoir raté le coche à de multiples reprises et, après deux années
d’exercice, ne semble pas en mesure d’être un pôle de mobilisation de la vie
politique de la droite libérale ivoirienne. L’impréparation se doublerait-elle
d’incompétence ?
Le RDR, c’est le marshmallow de la vie
politique ivoirienne. Aucune consistance ; goût factice. Amadou Soumahoro, son
secrétaire général par intérim depuis le 14 juillet 2011, en a été le
secrétaire général adjoint de 2005 à 2011 (il aurait été battu, ce week-end, à
Séguéla). On se demande ce qu’il a « foutu » toutes ces années. Et quels sont
les conseils distillés en 2011-2012 à Ouattara (il était son conseiller spécial
en charge des affaires politiques). Djeni Kobina, fondateur du RDR, et
Henriette Dagri Diabaté, qui a pris sa suite jusqu’à la nomination [de Ouattara]
à la présidence du parti le 1er août 1999, avaient une vraie personnalité (même
s’ils avaient des insuffisances organisationnelles). Ce n’étaient pas des
marshmallows. Le 4 avril 2013, à la veille de la campagne pour les régionales,
Soumahoro « imaginait » déjà la victoire de Ouattara « au premier tour » de la
présidentielle… 2015.
«
La Côte d’Ivoire, du Nord au Sud, d’Est en Ouest, est plongée dans les clameurs
et les vivats de joie et de bonheur ».
Il ajoutait : « Nous devons démontrer que
nous sommes prêts pour 2015, en faisant de ces élections régionales et
municipales un succès républicain et populaire ». Raté.
Le site du RDR fait état, en lieu et place
de sa victoire, « des violences
post-électorales » dans plusieurs villes du pays, précisant que « l’armée quadrille la ville d’Abidjan ».
Ces élections n’auront pas été « un succès
républicain et populaire ». Ce qui serait « républicain et populaire » (et
salutaire pour le RDR) c’est que Soumahoro aille exprimer ailleurs son
incompétence politique. Mais comme me le répétait Balla Keïta : « Si tu es au milieu des crapauds accroupis,
ne demande pas une chaise ».
Les régionales devaient être l’étape « du rassemblement et de l’unité pour
l’édification d’une Côte d’Ivoire paisible, réconciliée et prospère »,
prédisait Soumahoro. Le FPI boycottait le scrutin ; il ne restait sur la scène
politique que le RDR et le PDCI-RDA et des « indépendants » parfois
instrumentalisés par Soumahoro. Les deux partis s’étaient rassemblés, au second
tour de la présidentielle 2010, pour faire gagner (de justesse) Ouattara. Une
crise post-électorale (déjà) particulièrement meurtrière et deux années de
pouvoir ont eu raison de cette alliance sans que, pour autant, puisse
s’exprimer une opposition viable. Résultat de la « politique de consensus »
dénoncée par Thatcher. Qui exprimait une donnée gastronomique : « Nous n’avons pas beaucoup "bouffé"
pendant dix ans, nous avons, du même coup, plus d’appétit que d’ordinaire ».
Or chacun sait que les « grottos » ivoiriens ne sont pas anorexiques !
Le pari de Ouattara c’est : impasse sur la
politique (il déteste son « ambiance
délétère ») ; relance de l’économique (ce qu’il pense savoir-faire). Du
même coup, « les populations voyant leurs
conditions de vie améliorées [vont] massivement renouveler leur confiance au
président » (pronostic de Soumahoro/maschmallow le 4 avril 2013). Sauf que
ça ne marche pas comme cela. Et Toussaint Alain, le communicant du FPI, peut
évoquer une « traversée du désert
électoral ». « Les Ivoiriens, dit-il,
dans leur ensemble, ont manifesté leur désintérêt aux élections locales,
Alassane Ouattara a été incapable de rassembler les Ivoiriens ».
On peut ne pas partager l’engagement de
Toussaint Alain, on ne peut que partager son diagnostic. « Même sans opposition pro-Gbagbo, qui a décidé de boycotter le scrutin,
commente Jeune Afrique sur son site, la
Côte d’Ivoire ne peut visiblement pas organiser un scrutin sans que des
violences ne se déclenchent […] Ces nombreux incident mettent essentiellement
en cause des partisans du RDR du président Alassane Ouattara et du PDCI de
l’ex-chef d’Etat Henri Konan Bédié ».
La presse pro-Gbagbo, bien sûr, s’en donne
à cœur joie. Mais quelques jours après que le chef de l’Etat eut décidé de
faire l’impasse sur une Assemblée nationale où le RDR est pourtant majoritaire
pour gouverner par ordonnances, ce (double) fiasco électoral (échec du RDR +
échec gouvernemental) annonce des lendemains difficiles pour Ouattara. Il est
temps de se ressaisir et de prendre conscience que la Côte d’Ivoire 2013 n’est
pas celle des années « Houphouët ». Personne n’a intérêt à ce que le pays
renoue avec une crise politique d’ampleur. «
On lui reproche de vouloir créer un apartheid, un développement séparé pour
quelques privilégiés et un statut de seconde classe pour les masses »,
disait-on de Thatcher en 1968, qui finira par imposer ses « convictions »
plutôt que la négociation. C’est ce qu’on dit de Ouattara en 2013. Il est
urgent, en Côte d’Ivoire, de repenser le mode de production politique. Si tant
est qu’il y en ait un.
Jean-Pierre Bejot
(La Dépêche Diplomatique)
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