
Face à cet état des lieux, que fera Emmanuel
Macron s’il est élu le 7 mai 2017 ? Remettra-t-il en cause les grandes
lignes suivies par le Quai d’Orsay depuis dix ans, qui ont conduit la France à
être au mieux inefficace et inaudible, au pire, de se faire l’apôtre des va-t-en-guerre ?
Sa dernière déclaration concernant la Syrie ne prédispose pas à penser qu’il
opérera de changement. Le 28 avril, à Amiens, il a, en effet, déclaré : « Je condamne
avec la plus grande fermeté l’utilisation d’armes chimiques par le régime de
Bachar el-Assad. Cela contrevient d’une part au droit international et d’autre
part aux accords de 2013. Et donc, si je suis élu président de la
République, je prendrais les dispositions en lien avec la coalition et, si
possible sous mandat de l’ONU, mais même sans mandat de l’ONU, pour
neutraliser les capacités chimiques du régime de Bachar al-Assad ».
Avec cette annonce, non seulement Emmanuel
Macron inscrit ses pas dans les traces des deux derniers présidents de la
République qui ont toujours privilégié les valeurs, « l’ingérence humanitaire », aux
principes, le droit international mais, à l’instar de Donald Trump, il
s’octroie la possibilité d’une intervention unilatérale. Cela étant, il faut
rester prudent et ne pas prendre au pied de la lettre les déclarations d’un
candidat en campagne.
Le pire n’est jamais
certain ; il y a souvent des gaps abyssaux, heureux ou malheureux, entre
les paroles et les actes. En revanche, le choix des hommes pressentis pour le
conseiller dans ce domaine donne des indications plus crédibles que des bribes
de discours déclamés sous les feux de l’actualité. Deux noms ont particulièrement
attiré l’attention de l’IVERIS, ceux de Gérard Araud et de Justin Vaïsse.
« Gérard Araud,
l’homme de la guerre en Libye »
Gérard Araud, actuel ambassadeur de
France à Washington, est donné par
plusieurs journaux comme le futur conseiller diplomatique à l’Elysée
dans le cas où Emmanuel Macron succéderait à François Hollande. Ce diplomate a
accédé récemment à la notoriété par un tweet commentant l’élection de Donald
Trump à la Maison Blanche : « Après le Brexit et
cette élection, tout est désormais possible. Un monde s’effondre devant nos
yeux. Un vertige ». Cette réaction, vécue par de
nombreux observateurs comme un manquement à son devoir de réserve, a provoqué
un tollé de chaque côté de l’Atlantique. Néanmoins, le 9 mars dernier, il réitérait en
donnant son avis, par le même canal, sur l’élection présidentielle
française.
S’il était inconnu de la grande
majorité des Français jusqu’à ces tweets, les Libyens et les Ivoiriens, eux,
ont gardé son nom en mémoire. Nommé par Nicolas Sarkozy comme ambassadeur de
France aux Nations Unies en 2009, il s’est trouvé à l’avant-poste des guerres
de 2011. Le 5 juin 2011, le JDD titrait :
« Gérard Araud, l’homme
de la guerre en Libye ». Il faut rappeler qu’à cette date, cet
intitulé n’a rien de péjoratif puisque ce conflit contre la Jamahiriya de
Muammar Kadhafi est encore salué comme un succès par presque toute la classe
politique et médiatique. Et le JDD
de poursuivre : « Le
représentant de la France à l'ONU, fin tacticien et négociateur hors pair, a
imposé de haute lutte deux textes majeurs sur la Libye et la Côte d'Ivoire. Ce
diplomate sans langue de bois symbolise la renaissance du Quai d'Orsay ».
Dans ce même article, Gérard Araud témoigne ouvertement de son
implication : « Le mardi
15 mars au soir, nous nous sommes engueulés au téléphone, ma collègue
américaine Susan Rice et moi. Je lui ai dit : « Susan, je te préviens, on
va mettre ce projet de résolution au vote ! ». Elle
m’a répondu : « Bullshit !, Foutaises ! ». Deux jours,
plus tard, le 17 mars
2011, le Conseil de sécurité de l’ONU votait la résolution 1973 instaurant
une zone de non vol au-dessus de la Libye et autorisait une action militaire
afin de « protéger les
civils » contre l’armée de Muammar Kadhafi. Le 19 mars, avait
lieu la première frappe française dans le cadre de l’opération Harmattan suivie
par celle de l’opération britannique Ellamy.
Mais Gérard Araud a été également très
actif en Côte d’Ivoire. En décembre 2010, avec Suzan Rice, ils sont soupçonnés
d’avoir intimé l’ordre à Joung-Jin Choï, alors représentant de l’ONU en Côte
d’Ivoire, de proclamer Alassane Ouattara vainqueur avant la décision du Conseil
constitutionnel. Ce qui fut fait le 3 décembre 2011. Cette proclamation signe
le début de ce qui est appelée la « crise
ivoirienne ».[3] Puis,
tout comme pour la Libye, Gérard Araud a milité en faveur de la résolution
1975, adoptée le 30 mars 2011. Cette résolution signe le début de la guerre en
Côte d’Ivoire. En effet, sous prétexte d’autoriser la destruction des armes
lourdes pour « protéger
les civils », elle a permis à la France et à l’ONU de larguer
des bombes sur Abidjan dès le 4 avril 2011…
Ces deux
conflits ont été à l’origine des tensions exacerbées entre le bloc occidental
et les pays des BRICS.
Julien Vaïsse,
ou l’alliance avec les djihadistes en Syrie...
Julien Vaïsse fait partie de ceux qui
sont appelés à donner leur avis au sein de l’équipe diplomatique du candidat
dirigée par Eric Lechevalier, ancien conseiller d’Anne Hidalgo à la mairie de
Paris. Cet historien a été propulsé par
Laurent Fabius, en 2013, à la direction du Centre d’Analyse de
Prospective et de Stratégie (CAPS), un centre de réflexion rattaché au Quai
d’Orsay. A l’époque, cette nomination a surpris les diplomates, qui imaginaient
que le poste serait attribué en interne. Il n’en fut rien ; le ministre
des Affaires étrangères de l’époque a débauché Julien Vaïsse, qui travaillait
alors à Washington comme chercheur à la Brooking institution. Sous sa
direction, le CAPS est resté fidèle à la lettre et à l’esprit de la ligne
politique de Laurent Fabius, notamment sur la Syrie. Ainsi dans un rapport daté
du 3 janvier 2017, et intitulé : « Quelle place pour la
France dans le conflit syrien au lendemain de la chute d’Alep ?
», le CAPS préconise de s’opposer à
Federica Mogherini, haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères,
sur la reconstruction de la Syrie au prétexte que cela conforterait Bachar
al-Assad. Les penseurs du Quai ont alors une idée de génie, ils proposent une autre
solution à la France : aider et soutenir « les zones libérées »,
c’est-à-dire les zones sous contrôles des groupes armés tel que Fatah el Sham,
ex-Front al-Nosra, affilié à al-Qaïda ! Dans une analyse de
ce rapport, Fabrice Balanche, chercheur invité au Washington
Institute, écrit : « Le
simple fait qu’il définisse les zones tenues par les djihadistes et les
islamistes comme des « zones libérées » fait froid dans le dos. Les fiefs
d’al-Qaïda en Afghanistan et le territoire d’AQMI au Sahel seraient ainsi
également des « zones libérées ». Et Fabrice Balanche de
s’interroger : « Pourquoi
la politique française à l’égard de la Syrie est-elle aussi désastreuse ? Sans
doute parce que le ministre des Affaires étrangères applique les
recommandations du CAPS » !
Compte tenu
des grands tremblements qui secouent le monde actuellement, compte tenu des
tensions entre le bloc occidental et le reste du monde, cette élection
présidentielle revêt une importance majeure. Or, à ce jour, le débat du
deuxième tour reste essentiellement centré sur les enjeux européens, avec une
vision binaire « pour ou
contre l’Europe », et n’aborde que par bribes les grands
enjeux stratégiques mondiaux. Selon le JDD, Emmanuel Macron « n’est pas encore très arrêté sur ces
choix internationaux », il « prête une oreille très attentive aux conseils d’Hubert
Védrine », l’ancien ministre des Affaires étrangères de
François Mitterrand. Il ne reste que peu de jours pour que celui qui fait
figure de favori à cette élection précise sa vision du monde, tendance Védrine
ou tendance Fabius ? Il en va du sort des citoyens français mais également
des Syriens, des Africains et plus généralement de tous les peuples qui
aspirent à la paix.
Leslie Varenne
[1] - Le titre est emprunté à l'article de
Philippe Grasset consacré à l'Afghanistan : http://www.dedefensa.org/article/la-catastrophe-afghane-reactivee.
[2] - La guerre n'est
jamais jolie, mais outre les derniers événements en Syrie, ce qui se déroule
actuellement dans la région du Kasaï en République Démocratique du Congo est
particulièrement insoutenable, plus de
17 charniers viennent d'être découverts. L'IVERIS
reviendra prochainement sur ce sujet.
[3] - La guerre n'est
jamais jolie, mais outre les derniers événements en Syrie, ce qui se déroule
actuellement dans la région du Kasaï en République Démocratique du Congo est
particulièrement insoutenable, plus de
17 charniers viennent d'être découverts. L'IVERIS
reviendra prochainement sur ce sujet.
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