Interview de Zéphirin Diabré,
président de l'Union pour le Progrès et le Changement (UPC), à l’occasion
du grand meeting de l’opposition qui s’est tenue à la Maison du Peuple de Ouagadougou,
ce samedi 29 avril.
Comment va le Burkina Faso ?
Il va au rythme d’une insécurité grandissante, d’une
économie en panne, du chômage des jeunes et des femmes, du retour de la
corruption, de la politisation de l’administration, et de la persistance des
difficultés d’accès aux services de base. Il est surtout un pays en pleine
désillusion car ses citoyens sont déçus de la gouvernance qui leur est servie
après les sacrifices qu’ils ont consentis au cours de l’insurrection, et à la
lumière des promesses électorales dont ils ont été abreuvés. Ce constat n’est
pas propre à l’opposition. On l’entend même au sein de la majorité
présidentielle, dans des termes plus virulents, et de manière publique.
Comment appréciez-vous la réponse donnée
par le parti au pouvoir à vos critiques relatives à « une année de gouvernance
perdue » ?
Le pouvoir a perdu une occasion de faire preuve de
modestie. Traiter des opposants républicains de « fils indignes » et de «
putschistes » parce qu’ils critiquent votre gestion, révèle un trait de
caractère qui ne peut pas mener au succès. La première qualité attendue d’un
régime, c’est qu’il sache écouter. Hélas, l’arrogance que nous avons tant
combattue hier, est de retour !
Que répondez-vous à
ceux qui disent que vous parlez de la calebasse tendue par le parti au pouvoir
à l’égard de l’extérieur, alors que vous même vous êtes abreuvé dans la
calebasse ? Ce qui explique selon eux votre silence.
On ne peut bien savourer ce débat que si l’on connaît
l’histoire de notre pays. Comme vous le savez, je suis libéral. Je viens
d’ailleurs d’être élu vice-président du Réseau Libéral Africain. Ici dans
l’intelligentsia burkinabé, c’est presque une hérésie que de se proclamer
libéral. La mode, c’est de se dire de gauche, voire révolutionnaire. Eh bien,
moi, je crois en la force de l’économie de marché et en l’utilité des capitaux
extérieurs. Donc pour moi, aller chercher de l’argent sur les marchés
financiers internationaux est une démarche naturelle. Par contre, les gens qui
sont au pouvoir se targuent d’être des révolutionnaires socio-démocrates. Tout
au long de la campagne présidentielle de 2015, ils ont passé leur temps à tirer
à boulets rouges sur mon projet qui prévoyait l’émission d’un « Eurobond » d’un
milliard de dollars. Ils ont fustigé les institutions financières
internationales et dit que je voulais endetter le Burkina, ce qu’eux ne
feraient jamais. Ils m’ont traité d’ultra libéral qui voulait vendre le Burkina
Faso à la Banque mondiale et au FMI, etc. Voilà, qu’à peine aux affaires, ils
tendent leur sébile à ces mêmes institutions et font, frénétiquement, le tour
du monde à la recherche de capitaux et d’investisseurs étrangers. L’occasion
était trop belle, pour moi, de leur rappeler leurs contradictions. C’est ce que
j’ai fait !
Actuellement le débat sur la nouvelle
Constitution bat son plein ! Vos préoccupations ont-elles été prises en compte
dans l’élaboration de l’avant-projet de la Constitution ?
Sur le fond, il n’y a plus de vrai débat sur la
question de la Constitution. L’opposition était représentée au sein de la
Commission constitutionnelle et la version de l’avant-projet qui en a résulté a
été adoptée par consensus. La suite du processus ne devrait poser aucun
problème…
Comment appréciez-vous l’intervention du
Premier ministre Paul Kaba Tiéba à l’Assemblée nationale sur la situation
socio-politique du Burkina ?
C’était un discours complètement décalé par rapport à
la réalité que vivent les Burkinabè. Mais l’opposition n’a pas eu à sonner la
charge parce que le président de l’Assemblée nationale, qui est aussi le président
du parti au pouvoir, s’en est chargé de manière très brillante. Il a même
menacé son Premier ministre en ces termes : «
Si l’an prochain vous revenez ici sans nous dire où sont passés les 18.000
milliards de francs CFA que vous avez prétendu avoir récolté lors de la
Conférence des bailleurs de fonds de Paris, l’hémicycle sera trop étroit pour
vous ». La formule en vogue à Ouaga ces jours ci, c’est que le vrai
discours sur l’état de la nation a été prononcé ce jour-là par le président de
l’Assemblée nationale.
Quelles solutions envisagez-vous pour le
retour des fonctionnaires qui ont fui les zones de la frontière visitées par
les djihadistes ?
Il faut sécuriser ces zones et assurer la protection
des agents de l’État.
Quelle appréciation faites-vous sur la
création de la CODER et de leur voyage à Abidjan pour rencontrer l’ex-président
Blaise Compaoré ?
La création de la Coder procède de cette liberté
offerte aux partis se réclamant de l’Opposition de se regrouper en fonction de
leurs affinités et autour des questions qui leur tiennent à cœur. À une
exception près, les partis de la Coder sont liés à l’ancien régime. Ils ont
choisi de mettre l’accent sur la question de la réconciliation. Cette question
est aussi très importante pour mon parti et les partis membres de la Coalition
des Forces Démocratiques pour un Vrai Changement (CFDC) que je préside. Pour
nous, la réconciliation passe par la vérité et la justice, étant entendu que
cette justice doit être indépendante, impartiale et équitable.
Pour ce qui est, spécifiquement, de la visite faite
par la Coder au président Compaoré, c’est une visite qui s’inscrit dans la
démarche logique de la Coder. Si on parle de réconciliation, forcément on
s’adresse à tous les acteurs. Cette visite a été annoncée, longtemps à
l’avance, sans susciter de commentaires négatifs. Mais le problème est venu des
déclarations faites à la presse par un des participants à la rencontre, en
l’occurrence l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ablassé Ouédraogo. Ces
déclarations ont mis en émoi une grande partie de l’opinion, et les
organisations de la société civile. Ces déclarations n’engagent pas
l’opposition dans son ensemble puisque celle-ci, à commencer par le Chef de
file de l’opposition que je suis, n’a pas été associée à la démarche de la
Coder. À l’analyse, cette déclaration d’Ablassé Ouédraogo a beaucoup nui à la
visite et à l’ensemble du débat sur la réconciliation. Il appartient,
désormais, aux membres de la Coder de régler cette question.
Est-ce que certains comportements des
chefs de l’opposition n’ont pas noirci l’objectif de l’insurrection ?
C’est
un débat sur lequel je ne trouve pas utile de revenir. Dans tout processus
politique, les objectifs affichés côtoient ceux qui sont cachés. Et le
dénouement ne se fait pas toujours en faveurs des plus vertueux.
Quel sens donnez-vous à la manifestation
que vous organisez demain à la « Maison du Peuple » de Ouagadougou ?
C’est un meeting d’interpellation du gouvernement,
d’analyse de la situation nationale, de raffermissement de la foi militante, et
de la présentation des perspectives de lutte. À l’occasion, l’Opposition va
dévoiler une plateforme minimale.
Quel message voulez-vous adresser aux
Burkinabé de l’extérieur en général et surtout aux Burkinabés résidents en Côte
d’Ivoire ?
D’abord un message de fraternité. Même s’ils sont loin
du sol national, je les considère comme partie intégrante de la Nation.
Ensuite un message d’encouragement, à trouver les
voies et moyens pour vivre en harmonie avec les Ivoiriens qui les ont
accueillis chez eux, et à porter haut l’image de notre pays dont ils sont les
premiers ambassadeurs. Enfin une invitation à ne pas oublier la mère patrie, et
à rester attentifs à son évolution, étant entendu qu’à partir de 2020, ils
seront des décideurs de la destinée du Burkina. Je saisis cette occasion pour
remercier chaleureusement le peuple ivoirien, les autorités ivoiriennes, en
particulier le Président Alassane Ouattara, pour tous les efforts qui sont
faits sous son impulsion, pour faciliter l’accueil et le séjour, en sécurité,
de nos compatriotes en Côte d’Ivoire.
Interview réalisée par Traoré Abdul, correspondant à Ouagadougou
Titre
original : « Hélas, l’arrogance que nous avons tant combattue hier,
est de retour ».
Source : Afrikipresse 28
avril 2017
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