La voix d’un théâtre libertaire et poétique s’est tue
Armand Gatti est mort, hier, à 93 ans.
Homme de théâtre, auteur, metteur en scène, il est le fondateur de la Parole
errante à Montreuil, un lieu ouvert aux quatre vents, fidèle à son esprit
rebelle.
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© Anne-Christine Poujoulat / Afp |
Pour
l’état civil, il était Dante Sauveur Gatti. Pour nous tous, il était et restera
à jamais Armand Gatti, poète, dramaturge, né en 1924 à Monaco, fils d’Auguste
Rainier Gatti, éboueur, et de Letizia Luzona, femme de ménage. Il a vécu mille
et une vies en une. Crinière blanche en désordre, sourire légèrement moqueur,
il arborait au revers de sa veste un insigne, celui du commandant Durruti,
qu’il montrait fièrement à ses interlocuteurs. Conformément à ses vœux, il sera
enterré aux côtés de Nestor Makhno, au Père-Lachaise. On savait à qui on avait
affaire. Gatti était anarchiste, adorait se disputer avec la terre entière,
mais n’a eu de cesse de défendre tous les opprimés, qu’ils soient
guatémaltèques, irlandais, ouvriers des chantiers navals, taulards ou loulous
des banlieues. Son théâtre politique et militant en atteste. Un théâtre de
combat, un théâtre poétique pour redonner de la dignité à tous ses frères
humains. Gatti n’aura jamais trahi les siens, défendant sa cause du peuple, y
compris contre ceux qui étaient passés du col Mao au Rotary Club.
Le Tour de France, Brando ou les
manifestations ouvrières
Après
avoir exercé plein de petits métiers, il sort tout juste de l’adolescence quand
l’Allemagne nazie occupe la France. Il rejoint le maquis en Corrèze en 1942. Il
est arrêté à Tarnac l’année suivante. Emprisonné à Bordeaux puis transféré à
Hambourg, il s’évadera du camp pour rejoindre l’un des maquis dirigé par
Guingouin. Après la défaite des nazis, Armand Gatti s’installe à Paris. Il
entre en 1946 comme rédacteur stagiaire au Parisien libéré. Très vite, ses
articles sont remarqués. Il devient grand reporter, voyagera au bout du monde,
en Amérique du Sud, dans le Maghreb, en Russie, en Sibérie, en Chine... Après
le Parisien il collabore à France Soir, aux Lettres françaises puis à Libération (qui était, à l’époque, un journal issu de la Résistance). Journaliste tout-terrain,
il écrit aussi
bien sur le métier de dompteur de fauves (qui lui vaudra le prix Albert-Londres
en 1954) que sur le Tour de France. Il réalise des entretiens avec Miguel Angel
Asturias, Marlon Brando, couvre les grandes manifestations des ouvriers de
Saint-Nazaire en 1957. La nuit, il s’attelle à l’écriture de poèmes. Il termine
ses premières pièces de théâtre en 1954, le Quetzal et le Crapaud-Buffle. Il
côtoie Gilles Deleuze et Georges Arnaud, Karl Flinker et Michel Tournier, Yvan
Audouard et Alejandro Otero, ou encore Kateb Yacine, qui se retrouvent tous sur
l’île Saint-Louis, alors plus bohème que bourgeoise. En 1955, il part trois
mois en Chine avec le cinéaste Chris Marker, Michel Leiris, Jean Lurçat, Paul
Ricœur et René Dumont. Il découvre le théâtre chinois, rencontre Mei lan Fang,
prodigieux comédien de l’Opéra de Pékin, et retrouve son ami Wang, connu à
Paris à la fin des années 1940, qui l’introduit auprès de Mao. Au sujet de ses
séjours en Chine, Lucien Attoun (fondateur du Théâtre ouvert) raconte une très
jolie anecdote que lui avait racontée Gatti. Alors qu’il était en Chine pour
présenter une de ses pièces, il se trouve face à un dramaturge chinois.
S’ensuit une querelle pour savoir lequel des deux a écrit la pièce la plus
révolutionnaire. Pour départager les impétrants, il est fait appel à Mao. Le
lendemain, « le phare
de la pensée mondiale » rendit son verdict : pour qu’une pièce soit révolutionnaire, il faut savoir qui l’écrit et à qui elle s’adresse. Gatti en riait encore, et
nul n’a jamais pu vérifier si cette histoire était
authentique...
Il s’installe à Montreuil après avoir
bourlingué aux quatre coins du monde
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© Sophie Bassouls/Leemage
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En
1959, il publie son dernier article pour Paris
Match : « La France pleure Gérard Philipe ». Dès lors, il se consacre entièrement à l’écriture dramatique. Vilar avait
monté une première fois l’une de ses pièces. Succès mitigé. Mais cela ne le
décourage pas. Le théâtre, l’écriture et la représentation théâtrales ne le
lâchent plus depuis qu’un soir, dans les camps, il avait assisté à une
représentation par des rabbins. Il est l’auteur de plus de soixante pièces ; on ne compte plus les mises en scène, lui qui passait son temps à les remettre sur le métier. Ses pièces se suivent et, si elles ne se
ressemblent pas, elles témoignent
sans relâche de son
engagement permanent, malgré la censure qui pointe quelquefois son nez : le Crapaud-Buffle, la Deuxième Existence du camp de Tatemberg,
les Sept Possibilités
du train 713 en partance d’Auschwitz,
l’Enfant rat,
la Vie imaginaire de l’éboueur
Auguste , la Passion du
général Franco, V comme Vietnam ou Petit manuel de guérilla urbaine, Chant
public devant deux chaises électriques ,
Ces empereurs aux ombrelles trouées,
la Journée d’une infirmière, Rosa collective, Berlin, les
personnages de théâtre
meurent dans la rue et
Didascalie se promenant seule dans un théâtre
vide... En 2010, au cours d’une
résidence sur
le plateau de Millevaches, il a créé
Science et résistance
battant des ailes pour donner aux femmes en noir de Tarnac un destin d’oiseau des altitudes avec trente
étudiants français et étrangers, au gymnase du lycée forestier de Neuvic. Côté
cinéma, Gatti ne chôme pas non plus. Impossible de citer sa filmographie. La
Cinémathèque lui consacre en 2011 une rétrospective « Armand Gatti cinéaste. L’œuvre indispensable ».
Lorsqu’il s’installe à Montreuil
après avoir bourlingué aux quatre coins du monde, joué et créé dans des
endroits inattendus, il investit un lieu mis à sa disposition par la
municipalité dans les anciens studios de Méliès : la Parole errante. Autour de lui, une réalisatrice,
Hélène Châtelain, un réalisateur, Stéphane Gatti, un producteur, Jean-Jacques
Hocquard, ensemble depuis plus de trente-cinq ans. Un lieu ouvert, la Maison de
l’arbre, où la poésie circule en liberté. Un lieu vivant qui palpite au gré des
rencontres. Une université populaire où les spectateurs sont au rendez-vous.
Parfois, on ne fait qu’y passer. Parfois on reste plus longtemps. Le temps
d’une représentation, qui ne commence ni ne finit jamais, laissant le temps de
la rencontre se faire, doucement mais sûrement. C’est là que Peter Watkins y
avait tourné la Commune. C’est là, à son bureau, que l’on pouvait saluer encore
ces jours derniers Armand Gatti...
Marie-José Sirach (Chef de la rubrique culture)
Source :
L'Humanité 7 Avril 2017
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