Interview de Jean-Luc Mélenchon
Souhaitez-vous aller plus loin dans la
reconnaissance des crimes commis par la France pendant la guerre d’Algérie,
et plus généralement durant la période coloniale ?
Jean-Luc Mélenchon Nous faisons partie du camp politique
qui était contre le colonialisme et pour l’autodétermination des peuples. Nous
savons les malheurs endurés, mais nous considérons que c’est aux historiens
d’écrire l’Histoire et pas aux politiques de
l’instrumentaliser. Il nous semble plus urgent de combattre le fléau de la
prédation ultralibérale qui s’abat sur l’Afrique.
Quelle est votre
solution pour lutter contre
l’immigration massive en Europe ? Etes-vous favorable à
l’installation de camps de migrants au Maghreb ?
Les camps de migrants au Maghreb sont une mauvaise solution : il est
hors de question de déléguer notre politique migratoire. A ce titre, nous récusons
l’accord sur les réfugiés signé entre l’Union européenne [UE] et
la Turquie. Il est négatif pour les réfugiés et donne une arme diplomatique
disproportionnée à la Turquie.
« Nous
proposerons à nos partenaires africains d’initier un audit sur la dette »
Pour lutter contre l’immigration massive – qui d’ailleurs est
principalement interne aux pays en voie de développement –, il faut s’attaquer
aux causes des migrations : l’impossibilité de tout développement des pays
de départ, en raison des dettes et des politiques d’ajustement structurel
imposées par le Fonds monétaire international [FMI] ou la Banque
mondiale, le pillage des ressources par les multinationales et le
libre-échange.
Nous commencerons par dénoncer les accords de
partenariat économique entre l’UE et les pays ACP [Afrique, Caraïbes et
Pacifique], dont les conséquences sont de ruiner la petite
paysannerie et de mettre en danger la
souveraineté alimentaire des pays concernés. Nous proposerons à nos partenaires
africains d’initier un audit sur la dette afin de récuser celles qui sont
illégitimes.
L’Afrique est
régulièrement décrite comme un continent d’avenir. Le pensez-vous ?
Pourquoi ? Comment la France peut-elle en tirer parti ?
L’Afrique est un continent d’avenir, mais elle fait face à de multiples
défis : changements climatiques, croissance démographique, déficits
démocratiques, pillage organisé par les traités de libre-échange. L’échec de
l’Afrique serait un drame mondial collectif, moral et humain.
« Nous
prônons une francophonie basée sur des échanges culturels, scientifiques et
commerciaux égalitaires »
Le meilleur parti que la France puisse tirer, c’est un développement
harmonieux et réussi des sociétés africaines. Si nous ne
considérons que le risque climatique, ce sont 250 millions de migrants
dont l’humanité devra s’occuper à l’horizon 2050. Il est temps d’assurer un
développement équilibré qui n’aggrave pas l’état de la planète.
Mais la condition pour y parvenir est de rendre l’Afrique aux
Africains, d’assurer la souveraineté nationale et populaire sur les bases
prônées par Thomas Sankara ou Patrice Lumumba.
Enfin, l’Afrique est un continent d’avenir pour la France ne serait-ce que
du fait que la langue française y est largement parlée. Nous prônons une
francophonie basée sur des échanges culturels, scientifiques et commerciaux
égalitaires.
Quels liens personnels
entretenez-vous avec l’Afrique ou certains de ses dirigeants ?
Nous n’entretenons aucun lien avec les dirigeants africains. Par contre,
nos relations avec les partis progressistes et démocratiques sont nombreuses et
riches. Encore récemment, Oumar Mariko, du parti SADI [Solidarité africaine
pour la démocratie et l’indépendance, au Mali], participait à la présentation de
notre programme international. Nous avons travaillé avec [la Malienne]
Aminata Dramane Traoré ou avec Hamma Hammami, du Parti des travailleurs de Tunisie,
avec qui nous bâtissons le projet d’un partenariat méditerranéen.
Quel regard
portez-vous sur la politique africaine de François Hollande ? Que
feriez-vous différemment si vous êtes élu ?
Certes, François Hollande a soutenu officiellement l’alternance
politique en prêchant le respect des constitutions, mais cela cachait mal la
volonté de préserver les conditions
d’un néocolonialisme français. Concrètement, il a continué la Françafrique en
promettant à Compaoré le soutien de la France, en reconnaissant la légitimité
du référendum de Sassou Nguesso, en se taisant sur la réélection truquée d’Ali
Bongo, etc.
Nous cesserons d’apporter un soutien aux dictateurs et de cautionner des
scrutins frauduleux. Nos efforts porteront sur le soutien aux mouvements
démocratiques et populaires et nous dénoncerons les biens mal acquis sur le sol
français. Mais surtout, nous initierons une nouvelle diplomatie
altermondialiste basée sur le respect et le développement réel des Etats, en
dénonçant la dette ignominieuse et les accords de libre-échange qui ravagent
les sociétés africaines.
Les bases militaires
françaises sur le continent : un anachronisme ou une nécessité ?
Les accords de défense, et en particulier leurs clauses
secrètes – qui ont pour objectif réel de contrôler les mouvements
populaires au profit des dictateurs –, devront être dénoncés par un
contrôle démocratique du Parlement. Dans le cas où certaines de ces bases
seraient maintenues, la coopération militaire ne pourra être
envisagée qu’avec des démocraties, avec pour priorité la formation
d’une armée
républicaine nationale indépendante.
La France mènera une action active dans les instances internationales pour appuyer les pays africains
dans leurs revendications à ne plus connaître d’interventions
militaires hors des mandats de l’ONU. La base stratégique de Djibouti
sera maintenue, car son rôle est de sécuriser les routes
maritimes ; un rôle semblable pourrait être attribué à une base d’Afrique
de l’Ouest.
Paris doit-il
davantage faire entendre sa voix lorsque
des processus électoraux, à Brazzaville, Libreville ou N’Djamena, sont
contestés ? Jusqu’à conditionner
son aide aux avancées démocratiques ?
Nous nous engageons à cesser de fermer les yeux sur les
élections truquées. Stop à la Françafrique ! Nous soutiendrons les
démocraties et appliquerons des mesures restrictives dans les relations avec
les dictatures, sans toutefois intervenir dans
les affaires intérieures des pays concernés. La coopération avec les pays
africains sera redéfinie en fonction de la volonté de sortir du modèle
productiviste d’exploitation et du déséquilibre des échanges. Les droits
humains et la co-construction des projets de coopération seront au cœur de la nouvelle
politique d’aide au développement.
Vous engagerez-vous à porter l’aide au
développement à 0,7 % du PIB au cours de votre quinquennat ?
Nous nous engageons à porter l’aide publique au développement [APD]
à 0,7 % du RNB au plus tard en 2022, mais aussi à ne pas conditionner
cette aide, ni vis-à-vis des migrants, ni vis-à-vis de la sécurité. L’aide doit
être principalement destinée aux PMA [pays moins avancés] et doit viser prioritairement la
réduction de la pauvreté, des inégalités – de richesse comme de genre
– et promouvoir
l’éducation. L’APD, afin d’être réellement efficace, devra être rendue
transparente. C’est un minimum, mais qui sera sans effets réels si on n’y
applique pas la logique développée par Thomas Sankara : « Il nous
faut une aide qui nous aide à nous passer de l’aide ».
Propos
recueillis par Laurence Caramel
Source : LE MONDE 13 avril 2017
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