Interview de Leslie Varenne[*]
L. Gbagbo et son avocat Emmanuel Altit à l'ouverture du procès ce 28 janvier 2016 (© REUTERS/Peter Dejong/Pool) |
Quels sont les enjeux de ce procès ?
Pour
la première fois un chef d'état comparaît devant la Cour pénale internationale
pour y être jugé pour «crimes contre l'Humanité». C'est donc un enjeu majeur
pour la CPI, d'autant plus qu'elle joue sa survie dans ce procès se présentant
déjà comme la chronique d'un gâchis annoncé : il risque bien de devenir son
propre procès.
Pourquoi ?
Parce
que la CPI part d'un postulat faux. Ce n'est pas qu'une crise post-électorale
mais bien une guerre qui a eu lieu en 2011 et elle a fait bien plus de 3 000
morts. La Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR), présidée par
l'ancien Premier ministre ivoirien Charles Konan Banny, annonce, dans un
rapport qui n'a pas été rendu public, un chiffre de 16 000 morts et c'est à mon
avis encore très sous-évalué. Le problème, c'est que la CPI n'a pas fait
d'enquête sérieuse sur ces événements : on l'a bien vu lorsqu'en mai la
procureure a ajouté à l'acte d'accusation des images de violences supposées des
«pro-Gbagbo» mais qui avaient été
filmées cinq ans auparavant au… Kenya ! C'est dire l'amateurisme de la CPI,
constaté aussi ce jeudi lors de l'ouverture du procès…
Le camp d'Alassane Ouattara, l'actuel
président ivoirien, a aussi été accusé d'avoir commis des atrocités et tué au
moins 800 personnes à Duékoué. Ce procès peut-il se retourner contre lui ?
Tout
a été fait pour qu'il ne se retourne pas contre Alassane Ouattara mais
Guillaume Soro, ancien Premier ministre et président de l'Assemblée et les
autres chefs de guerre pourraient être inquiétés. Cela va aussi dépendre de la
défense de Gbagbo, la complexité de l'affaire étant de désigner et trouver les
vrais coupables des tueries, des tortures et des viols. Or on ne les aura pas
et les victimes ne seront donc pas reconnues ce qui va forcément nourrir du
ressentiment chez toutes les parties.
Ce procès peut-il gêner la France ?
Plus
personne n'ignore aujourd'hui le rôle qu'a joué le GIGN dans l'arrestation de
Gbagbo. Cette arrestation a eu un effet dévastateur sur l'image de la France en
Afrique, et cela a offert à Gbagbo une dimension de héros panafricain qu'il
n'avait pas auparavant. Le risque, c'est que ce procès soit tellement mal
conduit qu'il jette de l'huile sur un feu mal éteint et débouche sur une
nouvelle crise majeure, bref que toute réconciliation devienne définitivement
impossible en Côte d'Ivoire. Une voie sans issue se dessine déjà : la justice
internationale ne pourra pas condamner Gbagbo avec ce qu'elle a entre les
mains, qui est beaucoup plus léger que ce qu'elle affirme, mais à l'allure où
va la CPI, le procès risque de durer cinq ans, donc le problème du retour de
Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire qui pourrait poser des problèmes à Alassane
Ouattara, n'est pas encore d'actualité.
Propos
recueillis par Pierre Challier
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provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre
ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou
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informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des
mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
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