samedi 30 janvier 2016

LE PROCÈS de L’AMATEURISME de la CPI

Interview de Leslie Varenne[*]

L. Gbagbo et son avocat Emmanuel Altit à l'ouverture du procès ce 28 janvier 2016
(© REUTERS/Peter Dejong/Pool)
Quels sont les enjeux de ce procès ?
Pour la première fois un chef d'état comparaît devant la Cour pénale internationale pour y être jugé pour «crimes contre l'Humanité». C'est donc un enjeu majeur pour la CPI, d'autant plus qu'elle joue sa survie dans ce procès se présentant déjà comme la chronique d'un gâchis annoncé : il risque bien de devenir son propre procès.
Pourquoi ?
Parce que la CPI part d'un postulat faux. Ce n'est pas qu'une crise post-électorale mais bien une guerre qui a eu lieu en 2011 et elle a fait bien plus de 3 000 morts. La Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR), présidée par l'ancien Premier ministre ivoirien Charles Konan Banny, annonce, dans un rapport qui n'a pas été rendu public, un chiffre de 16 000 morts et c'est à mon avis encore très sous-évalué. Le problème, c'est que la CPI n'a pas fait d'enquête sérieuse sur ces événements : on l'a bien vu lorsqu'en mai la procureure a ajouté à l'acte d'accusation des images de violences supposées des «pro-Gbagbo» mais qui avaient été filmées cinq ans auparavant au… Kenya ! C'est dire l'amateurisme de la CPI, constaté aussi ce jeudi lors de l'ouverture du procès…
Le camp d'Alassane Ouattara, l'actuel président ivoirien, a aussi été accusé d'avoir commis des atrocités et tué au moins 800 personnes à Duékoué. Ce procès peut-il se retourner contre lui ?
Tout a été fait pour qu'il ne se retourne pas contre Alassane Ouattara mais Guillaume Soro, ancien Premier ministre et président de l'Assemblée et les autres chefs de guerre pourraient être inquiétés. Cela va aussi dépendre de la défense de Gbagbo, la complexité de l'affaire étant de désigner et trouver les vrais coupables des tueries, des tortures et des viols. Or on ne les aura pas et les victimes ne seront donc pas reconnues ce qui va forcément nourrir du ressentiment chez toutes les parties.
Ce procès peut-il gêner la France ?
Plus personne n'ignore aujourd'hui le rôle qu'a joué le GIGN dans l'arrestation de Gbagbo. Cette arrestation a eu un effet dévastateur sur l'image de la France en Afrique, et cela a offert à Gbagbo une dimension de héros panafricain qu'il n'avait pas auparavant. Le risque, c'est que ce procès soit tellement mal conduit qu'il jette de l'huile sur un feu mal éteint et débouche sur une nouvelle crise majeure, bref que toute réconciliation devienne définitivement impossible en Côte d'Ivoire. Une voie sans issue se dessine déjà : la justice internationale ne pourra pas condamner Gbagbo avec ce qu'elle a entre les mains, qui est beaucoup plus léger que ce qu'elle affirme, mais à l'allure où va la CPI, le procès risque de durer cinq ans, donc le problème du retour de Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire qui pourrait poser des problèmes à Alassane Ouattara, n'est pas encore d'actualité.

Propos recueillis par Pierre Challier


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Source : http://www.ladepeche.fr/ 29 janvier 2016



([*]) - Directrice de l'Institut de veille et d'études des relations internationales et stratégiques (Iveris) ; auteur, notamment, de Abobo-la –guerre : Côte d’Ivoire, terrain de jeu de la France et de l’ONU, Fayard/Mille et une nuits, 2012. 

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