vendredi 29 janvier 2016

De la fac à l’arène, ou De l’engagement politique au Burkina Faso (un témoignage)*


L'auteur : L. A. Mihyemba OUALI
Le célèbre triptyque de l’Union générale des étudiants voltaïque (UGEV) imposait, ou recommandait, très fortement, aux étudiants voltaïques de se former pour être des « cadres techniquement compétents, politiquement conscients et intégrés aux masses ».
S’agissant des voltaïques qui ont une cinquantaine d’années ou plus, tous ont eu l’opportunité de militer dans l’une ou l’autre des sections de l’UGEV aux fins d’apporter leur contribution à l’éveil des consciences du peuple et de le soutenir dans ses luttes multiformes. Chacun fera son introspection et en tirera les leçons utiles pour lui-même, pour les générations actuelles et futures de Burkinabè.
Pour ma part, et le constat est évident : volontairement ou sous la contrainte, de nombreux étudiants de plusieurs générations ont adhéré ou ont été embrigadés de force dans les sections de l’UGEV. Une minorité a milité avec conviction. La grande armée de ceux qui militaient du bout des lèvres pour ne « pas avoir de problèmes », a, dès le retour au pays, jeté aux orties leur « militantisme », et a tout mis en œuvre pour « devenir quelqu’un » dans les différents régimes jusqu’au 4 août 1983. Très, très peu ont adhéré, milité et lutté au sein des organisations syndicales de travailleurs. A l’avènement de la Révolution démocratique et populaire (RDP) issue du coup d’Etat du Conseil national de la Révolution (CNR), de nombreux cadres se sont souvenus, opportunément, de leur passé de « militants », ont intégré les structures mises en place par le CNR, et certains ont eu un parcours exceptionnel du 4 août 1983 au 31 octobre 2014, et même aujourd’hui.
L’une des spécificités politiques du Burkina Faso, c’est la forte maturité politique de son peuple et de ses élites politiques. Parce que le passé permet de mieux comprendre le présent et d’envisager l’avenir avec sérénité, il est bon de souligner que le cœur du Burkinabè bat à gauche. Peuple travailleur (« la terre des hommes », dixit le général-président Charles de Gaulle), peuple fier, intransigeant sur l’honneur et la dignité (au point de rebaptiser l’ex-Haute Volta en Burkina Faso, c’est-à-dire la Patrie des Hommes Intègres), leur trait commun demeure l’humilité dans la fermeté de la défense des principes, leur recherche continue, perpétuelle de la Justice, de l’Equité, du Développement mieux partagé. De tout cela découle le penchant pour les idées de gauche.
Manifestation à Ouagadougou
Des femmes et des hommes symbolisent le combat long, difficile et non encore achevé des étudiants voltaïques et burkinabè. Le Ve Congrès ordinaire de l’UGEV, tenu en 1978, a reconnu, salué et élevé au rang de héros les camarades Somé Viyara Ernest et Kambiré Hélène. Paix à leurs âmes.
Je salue très respectueusement, la mémoire de feu Batchono Jules, brillant diplomate, militant engagé de l’Association des Etudiants Voltaïques en France (AEVF) section de l’UGEV et de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF). Les générations actuelles et futures de Burkinabè doivent savoir que le grand militant Jules Batchono a été expulsé de… France et interdit de séjour en France pour son  engagement sans faille dans la lutte contre l’impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme. Les mêmes mesures ont frappé le camarade Etienne Traoré. Oui, le professeur Etienne Traoré, président de Burkina Yirwa. L’histoire du mouvement scolaire et estudiantin de la Haute Volta/Burkina Faso reste et doit être écrite par ceux des responsables vivants et/ou par les historiens et toutes autres personnes douées pour l’écriture, sinon les jeunes n’auront pas tous les repères historiques indispensables pour comprendre la pièce politique qui se joue depuis la création de la FEANF dans les années 50 et singulièrement depuis l’étape très importante du 04 août 1983 et l’accélération historique des 30 et 31 octobre 2014.
Ainsi donc, Etienne Traoré a constitué, et continue de demeurer, l’un des modèles de l’intellectuel patriote engagé. Il soumet sa pensée et ses réflexions à la critique des autres en publiant des écrits à chaque interpellation de l’Histoire. Le doyen Edouard Ouédraogo (« L’Observateur Paalga ») a salué l’une de ses prises de positions dans son dernier ouvrage.
Je salue le courage politique et l’honnêteté intellectuelle du député Lassina Ouattara, élu dans la Province de la Léraba le 29 novembre 2015. Ce jeune frère mérite le respect. Déjà lors des mutineries militaires de 2011, et alors qu’il militait dans le parti au pouvoir, il a fait preuve d’une grande lucidité politique dans l’interview qu’il a accordée à « L’Observateur Paalga », y compris et surtout dans les critiques adressées à son parti. Ensuite, lors des échanges peu amènes avec certains « médiateurs » de la crise de 2014, Lassina Ouattara a encore prouvé sa grande maturité politique. Bon vent à ce jeune frère dont je serai fier de faire la connaissance.
Je ne connais pas Sayouba Traoré. J’écoute, religieusement, ses émissions sur Radio France Internationale (RFI). Il a fait preuve d’un engagement patriotique élevé dans les lettres qu’il a adressées à son « grand frère Blaise Compaoré » pour le convaincre de ne pas toucher à la clause limitative des mandats présidentiels, contenue dans l’article 37 de la Loi fondamentale burkinabè.
A. Diallo « sortant » le « carton rouge à B. Compaoré » lors de la manifestation
de l'opposition au stade du 4-Août. (Ouagadougou, le 31 mai 2014)
Le modèle achevé du technocrate parfait, totalement engagé dans les luttes multiformes de son Peuple durant un demi-siècle, oui, une cinquantaine d’années, c’est Hama Arba Diallo. Parti étudier dans les universités américaines, dans les années 60-70, il en est revenu « communiste », en tous cas pétri d’idées de gauche. Le grand patriote africain qui, toute sa vie, s’est battu pour l’avènement de la Révolution dans son pays nonobstant les appels « à la raison » de l’Américain Bradford Morse, alors Administrateur du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), a abandonné son poste de D1 à New York pour rentrer en Haute Volta et devenir le premier ministre des Affaires Etrangères du premier gouvernement du CNR. Une année après, lui-même et les autres ministres du Parti Africain de l’Indépendance (PAI) ont été écartés du gouvernement, traqués, arrêtés et détenus. Libérés des geôles révolutionnaires, son engagement patriotique en a été renforcé. En 2006, Arba démissionne de son poste de Secrétaire Exécutif de la Convention des Nations Unies de Lutte contre la Désertification et quitte Bonn pour assumer son mandat de maire élu de Dori, la ville qui l’a vu naître. En matière d’engagement politique, je n’en connais pas beaucoup qui seraient prêts à consentir un tel sacrifice au nom d’un idéal de lutte patriotique.
Nassourou, grâce à la bienveillance de mon ainé Germain Bitiou Nama et de mon jeune frère Newton Ahmed Barry, je t’ai rendu hommage de ton vivant. Dors du sommeil du juste, digne descendant des Diallobe. Et de là où tu nous vois et entends, continue de veiller sur nous et cette Patrie que tu as tant aimée et pour laquelle tu as tout donne.
Faut-il le souligner encore ? A soixante-dix (70) années passées, Arba a été de toutes les Journées Nationales de Protestation, de toutes les marches (il a été gazé), de tous les meetings. Taquin, très fin dans la symbolique, les symboles, ce grand militant du vrai CDP (« Compaoré Doit Partir ! », une de ses trouvailles), a tenté de « sauver » le président du Faso en lui présentant le désormais fameux « carton rouge ». S’il avait accepté de quitter le stade du 04 août lors de ce match de mai 2014, il serait aujourd’hui encore au Burkina Faso. En s’entêtant pour poursuivre un match qui n’était plus le sien, Dieu lui a montré un carton de toutes les couleurs, et le vaillant Peuple burkinabè l’a contraint à quitter le terrain, à sortir du stade, à fuir du Burkina Faso.
L'historien Joseph Ki-Zerbo
Feu le Professeur Joseph Ki-Zerbo constitue un autre exemple de ces hommes exceptionnels. Sa célèbre formule « Nan laara an sara » continue de nous interpeler.
Il n’y a donc aucune antinomie entre être un brillant technocrate et prendre ses responsabilités en ayant un engagement citoyen aux côtés du peuple de manière assumée, connue, reconnue et saluée. Les formes d’un tel engagement patriotique sont multiples : au sein des organisations syndicales, de la société civile, au sein des partis politiques, individuellement même, puisque depuis une loi de 2015, les candidatures indépendantes sont légalement autorisées.
Les exemples susmentionnés témoignent amplement de la nécessité pour l’intellectuel de s’engager aux côtés de son peuple.
Que Dieu nous garde d’être des spectateurs de la vie de notre peuple. Ne soyons pas courageux du courage des autres.
Le ditaniye, l’hymne patriotique du Faso, est plus que clair : la patrie ou la mort nous vaincrons !

Louis Armand Mihyemba OUALI
(*) - Titre original : « Technocratie et engagement politique : Ma part de vérité »

Source : Lefaso.net 26 janvier 2016

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