mardi 5 janvier 2016

Burkina Faso. Le soulèvement populaire du 3 janvier 1966 et la chute de Maurice Yaméogo.

Ouagadougou, 3 janvier 2014 : 48e anniversaire 
du soulèvement populaire de 1966 au Burkina
(© Autre presse par DR)

Au Burkina Faso, le 3 janvier de chaque année est consacré à la commémoration du soulèvement populaire qui a conduit à la chute de Maurice Yaméogo. A l’occasion de ce 50e anniversaire, l’Union d’action syndicale (UAS) a organisé une conférence de presse pour annoncer sa conférence publique qui aura lieu le vendredi 8 janvier sur le thème : « Syndicalisme et politique ». En marge de ces événements, Bassolma Bazié, le secrétaire général de la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B), a lancé cet avertissement aux nouveaux dirigeants du pays : « Les autorités actuelles doivent se remémorer, maitriser l’histoire de notre pays et savoir qu’il y aura toujours des forces telles que le mouvement syndical qui joue son rôle entier de contre-pouvoir et qui tient à le jouer de façon ferme. Comme on le dit, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ils ont intérêts à tirer correctement leçon du 3 janvier 1966, de la grève générale des 17 et 18 septembre 1975, de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, mais aussi de la grève générale du 16 septembre 2015 contre le coup d’Etat. Juste pour dire que quels que soient les partis politiques qui seront sur le champ national, l’acteur politique sera au-devant de la scène politique, en termes de gestion du pouvoir d’Etat, s’il prend des décisions qui vont plonger le peuple burkinabè dans les travers, dans la misère, le mouvement syndical réagira ». (Cité d’après Yannick Sawadogo, Burkina 24, 03/01/2016)

La Rédaction


Le soulèvement populaire du 3 janvier 1966 et la chute de Maurice Yaméogo

Tout au long de sa présidence, Maurice Yaméogo a sollicité toute sorte d’instances afin d’obtenir des ressources extrabudgétaires. Une grande partie d'entre elles lui a été accordée à titre gracieux. Le trésor français, par le biais de subventions, lui a versé 1,7 milliards de francs CFA. Son voisin ghanéen lui a avancé en 1961, une ristourne douanière de 1.117,7 millions. La Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) lui a accordé un concours budgétaire de 600 millions. Mais tout ceci ne suffit pas à combler les déséquilibres budgétaires de l’État que le départ précipité des troupes françaises fin 1961 a accentué. Yaméogo doit recourir à des prêts ainsi qu’à des prélèvements dans la Caisse de réserves constituée par les dépôts des correspondants du Trésor. À la fin de l’année 1965, en cumulant les cinq premières années de l’indépendance, le déficit budgétaire de la Haute-Volta atteint 4,5 milliards de francs CFA.

Pourtant, dès l’année 1964, des mesures d’austérité ont été appliquées. Un abattement a été fait sur les indemnités de fonction, les missions à l’étranger ont été réduites, et les indemnités de représentation du président de la République sont passées de 18 à 9 millions de francs CFA. L’économie réalisée ainsi, a été de 250 millions de francs CFA. Pour l’année 1965, Yaméogo décide de prendre des mesures plus draconiennes. Les rémunérations des chefs ainsi que les subventions en faveur de l’école privée sont supprimées. Les allocations familiales mensuelles sont réduites de 2.500 à 1.500 francs CFA par enfant et limités aux familles ayant au moins six enfants à charge. Ces mesures impopulaires permettent de réduire de 4,5 % les dépenses budgétaires. Encouragé par ces résultats, il nomme le 8 décembre 1965 aux Finances Raphaël Medah, un jeune technocrate formé en France. Celui-ci prévoit :

    * d'augmenter les recettes budgétaires en relevant de 10 % l’impôt forfaitaire sur le revenu (IFR), et en supprimant le tarif préférentiel sur les importations ivoiriennes.

    * de réduire le train de vie de l’État en supprimant tous les postes de chefs de cabinets, en bloquant les avancements durant deux ans, et en accordant la voiture de fonction qu’aux seuls ministres.

    * de réduire les dépenses budgétaires en abattant de 16 % les pensions des anciens combattants, et en baissant les allocations familiales de 1.500 à 750 francs CFA

Mais sa véritable mesure phare est la réduction de 20 % de tous les salaires des fonctionnaires avec, en contrepartie, la baisse de 10 % de l'impôt cédulaire. Ce plan d’austérité financière sonne le glas du régime.

Bien qu’officiellement dissous depuis mai 1964, les centrales et syndicats autonomes se rassemblent fin décembre au sein d’un Front intersyndical présidé par Joseph Ouédraogo, afin de dénoncer le plan d’austérité. Yaméogo est alors en côte d’Ivoire pour discuter de la double nationalité. Au regard de la dégradation de la situation, son Directeur de cabinet, Adama André Compaoré, l’appelle pour l’informer ; Le président de la République n’apprécie pas l’initiative ; il estime qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Le 31 décembre, l’Intersyndicale organise un meeting à la Bourse du Travail où elle appelle à la grève générale le 3 janvier 1966. Cette manifestation interdite par le ministre de l’Intérieur Denis Yaméogo, finit par être dispersée par les forces de police. De retour le même jour, Maurice Yaméogo réveillonne sans se préoccuper des troubles produits.

Le 1er janvier 1966, le chef de l'État se décide enfin à agir en proclamant l’état d’urgence ; toute manifestation est interdite, les grèves déclarées illégales. Dans le but de discréditer l’action intersyndicale, Joseph Ouédraogo est accusé d’espionnage au profit des communistes. Les fonctionnaires sont menacés de licenciement collectif en cas de participation au mouvement. Et, afin d’apaiser la situation, il est demandé aux autorités religieuses d’intervenir. Celles-ci s'y refusent, le dirigeant voltaïque est en disgrâce auprès d’elles. Avec la chefferie traditionnelle, elles apportent leur soutien au mouvement.

Somme tout, les journées du 1er et 2 janvier sont relativement calmes. Ce n’est que dans la nuit du 2 au 3 que les événements commencent à se précipiter. M. Maurice échoue dans sa tentative d’arrêter les leaders de l’intersyndicale réunis à la Bourse du travail. Il ordonne l’installation de plusieurs automitrailleuses aux alentours du palais et le renforcement des principaux bâtiments publics, notamment celui de la radiodiffusion. Le 3 au matin débute la manifestation. Il semble que ce soit l’épouse de Joseph Ki-Zerbo, Jacqueline, qui l’ait ouverte avec ses collégiennes du cours Normal. Arborant des pancartes réclamant de « Du pain, de l’eau et de la démocratie », elles sont suivies par les élèves du lycée Philippe Zinda Kaboré. Rapidement, tous ces jeunes gens sont rejoints par plus de 100.000 Ouagalais, dont de nombreux fonctionnaires qui appellent au retrait de l’abattement de 20 % des salaires. La manifestation n’est pas violente. Les forces de l’ordre auraient même pris fait et cause pour les manifestants. Acculé, M. Maurice fait savoir en fin d’après-midi aux manifestants, par le biais de son chef d’état-major le lieutenant-colonel Aboubacar Sangoulé Lamizana, qu’il retire l’abattement de 20 % et maintient le taux des allocations. Mais la situation semble dépasser les simples syndicalistes comme Joseph Ouédraogo ; la foule, menée par l’historien Joseph Ki-Zerbo, appelle désormais à la démission du président de la République qui s’est retranché dans le camp Guillaume Ouédraogo. Afin de débloquer la situation, les meneurs appellent l’armée à prendre le pouvoir.

Après plusieurs heures de négociations, à 16h, Maurice Yaméogo annonce par radio sa décision de remettre le pouvoir au lieutenant-colonel Sangoulé Lamizana.

Au sujet de cette prise de décision, deux versions des faits existent. Selon Frédéric Guirma, qui aurait recueilli en 1967 le témoignage de Sangoulé Lamizana, M. Maurice aurait ordonné au chef des Forces armées voltaïque (FAV) de restaurer l’ordre en tirant sur la foule. Lamizana aurait répliqué que jamais une armée ne tire sur son peuple, qu’un tel ordre devrait être signifié par écrit. Yaméogo aurait refusé et insisté. Lamizana aurait alors consulté ses officiers qui se seraient prononcés majoritairement contre. Le président de la République se serait résolu à annoncer en termes ambigus un « transfert de compétences » dans l'espoir de récupérer le pouvoir une fois la crise terminée. Mais, sous la pression du peuple, il aurait dû se résigner à signer sa démission.

Dans l’émission radiophonique d’Alain Foka, Archives d’Afrique, consacrée à Maurice Yaméogo, Sangoulé Lamizana affirme n’avoir jamais reçu l’ordre de tirer, rejoignant ainsi la version du premier président de la Haute-Volta. Yaméogo aurait, selon son témoignage à l’historien Ibrahima Baba Kaké, démissionné afin d’empêcher toute effusion de sang. Lamizana, en larmes, n'aurait qu'à contrecœur accepté de prendre le pouvoir.

Contre l’avis des syndicalistes, Lamizana fait escorter le président déchu à Koudougou. Peu de temps après, ses supporters décident de descendre sur la capitale afin d’en découdre. Une compagnie militaire est immédiatement envoyée pour y maintenir l’ordre. Afin de prévenir tout nouvel incident, le gouvernement le place le 6 janvier en résidence surveillée à Ouagadougou. Cette détention, M. Maurice la vit très mal au point de tenter de mettre fin à ses jours en décembre 1966. Son ami Félix Houphouët-Boigny s’en émeut ; il fait activement pression sur Paris pour qu’il interfère en faveur de sa libération. Mais le 28 avril 1967, à la demande des forces vives de la nation, Yaméogo est inculpé par un tribunal spécial chargé d’enquêter sur ses années de gestion. Le 5 août 1967, son fils aîné Hermann échoue dans une tentative de coup d’État pour le délivrer.

À la suite de ces évènements, pressé par le dirigeant ivoirien, le général de Gaulle boycotte le chef de l’État voltaïque Sangoulé Lamizana afin d’obtenir sa relaxe. Il obtient une promesse. Mais le temps passe et en janvier 1968, Yaméogo fait une seconde tentative de suicide en absorbant une forte dose de nivaquine. Finalement le 8 mai 1969, il est condamné à l’issue d'un procès à huis clos, à cinq ans de travaux forcés, au bannissement à vie et à la déchéance de ses droits civiques.


Source : Wikipedia

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