Ouagadougou, 3 janvier 2014 : 48e anniversaire
du soulèvement populaire de 1966 au Burkina
(© Autre presse par DR)
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Au
Burkina Faso, le 3 janvier de chaque année est consacré à
la commémoration du soulèvement populaire qui a conduit à la chute de Maurice Yaméogo. A l’occasion de ce 50e anniversaire,
l’Union d’action syndicale (UAS) a
organisé une conférence de presse pour annoncer sa conférence publique qui aura
lieu le vendredi 8 janvier sur le thème : « Syndicalisme et
politique ». En marge de ces événements, Bassolma Bazié, le secrétaire
général de la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B), a lancé cet
avertissement aux nouveaux dirigeants du pays : « Les autorités
actuelles doivent se remémorer, maitriser l’histoire de notre pays et savoir
qu’il y aura toujours des forces telles que le mouvement syndical qui joue son
rôle entier de contre-pouvoir et qui tient à le jouer de façon ferme. Comme on
le dit, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ils ont intérêts à tirer
correctement leçon du 3 janvier 1966, de la grève générale des 17 et 18
septembre 1975, de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, mais
aussi de la grève générale du 16 septembre 2015 contre le coup d’Etat. Juste
pour dire que quels que soient les partis politiques qui seront sur le champ
national, l’acteur politique sera au-devant de la scène politique, en termes de
gestion du pouvoir d’Etat, s’il prend des décisions qui vont plonger le peuple
burkinabè dans les travers, dans la misère, le mouvement syndical réagira ». (Cité d’après Yannick Sawadogo,
Burkina 24, 03/01/2016)
La Rédaction
Le soulèvement populaire du 3 janvier 1966 et la chute de Maurice Yaméogo
Tout au long de sa présidence, Maurice Yaméogo a sollicité toute sorte d’instances afin d’obtenir des ressources extrabudgétaires. Une grande partie d'entre elles lui a été accordée à titre gracieux. Le trésor français, par le biais de subventions, lui a versé 1,7 milliards de francs CFA. Son voisin ghanéen lui a avancé en 1961, une ristourne douanière de 1.117,7 millions. La Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) lui a accordé un concours budgétaire de 600 millions. Mais tout ceci ne suffit pas à combler les déséquilibres budgétaires de l’État que le départ précipité des troupes françaises fin 1961 a accentué. Yaméogo doit recourir à des prêts ainsi qu’à des prélèvements dans la Caisse de réserves constituée par les dépôts des correspondants du Trésor. À la fin de l’année 1965, en cumulant les cinq premières années de l’indépendance, le déficit budgétaire de la Haute-Volta atteint 4,5 milliards de francs CFA.
Pourtant, dès l’année 1964, des mesures d’austérité ont été appliquées. Un abattement a été fait sur les indemnités de fonction, les missions à l’étranger ont été réduites, et les indemnités de représentation du président de la République sont passées de 18 à 9 millions de francs CFA. L’économie réalisée ainsi, a été de 250 millions de francs CFA. Pour l’année 1965, Yaméogo décide de prendre des mesures plus draconiennes. Les rémunérations des chefs ainsi que les subventions en faveur de l’école privée sont supprimées. Les allocations familiales mensuelles sont réduites de 2.500 à 1.500 francs CFA par enfant et limités aux familles ayant au moins six enfants à charge. Ces mesures impopulaires permettent de réduire de 4,5 % les dépenses budgétaires. Encouragé par ces résultats, il nomme le 8 décembre 1965 aux Finances Raphaël Medah, un jeune technocrate formé en France. Celui-ci prévoit :
* d'augmenter les recettes
budgétaires en relevant de 10 % l’impôt forfaitaire sur le revenu (IFR), et en
supprimant le tarif préférentiel sur les importations ivoiriennes.
* de réduire le train de vie de
l’État en supprimant tous les postes de chefs de cabinets, en bloquant les
avancements durant deux ans, et en accordant la voiture de fonction qu’aux
seuls ministres.
* de réduire les dépenses
budgétaires en abattant de 16 % les pensions des anciens combattants, et en
baissant les allocations familiales de 1.500 à 750 francs CFA
Mais sa véritable mesure phare est la réduction de
20 % de tous les salaires des fonctionnaires avec, en contrepartie, la baisse
de 10 % de l'impôt cédulaire. Ce plan d’austérité financière sonne le glas du
régime.
Bien qu’officiellement dissous depuis mai 1964, les
centrales et syndicats autonomes se rassemblent fin décembre au sein d’un Front
intersyndical présidé par Joseph Ouédraogo, afin de dénoncer le plan d’austérité.
Yaméogo est alors en côte d’Ivoire pour discuter de la double nationalité. Au
regard de la dégradation de la situation, son Directeur de cabinet, Adama André
Compaoré, l’appelle pour l’informer ; Le président de la République n’apprécie
pas l’initiative ; il estime qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Le 31
décembre, l’Intersyndicale organise un meeting à la Bourse du Travail où elle
appelle à la grève générale le 3 janvier 1966. Cette manifestation interdite
par le ministre de l’Intérieur Denis Yaméogo, finit par être dispersée par les
forces de police. De retour le même jour, Maurice Yaméogo réveillonne sans se
préoccuper des troubles produits.
Le 1er janvier 1966, le chef de l'État se décide enfin
à agir en proclamant l’état d’urgence ; toute manifestation est interdite, les
grèves déclarées illégales. Dans le but de discréditer l’action intersyndicale,
Joseph Ouédraogo est accusé d’espionnage au profit des communistes. Les
fonctionnaires sont menacés de licenciement collectif en cas de participation
au mouvement. Et, afin d’apaiser la situation, il est demandé aux autorités
religieuses d’intervenir. Celles-ci s'y refusent, le dirigeant voltaïque est en
disgrâce auprès d’elles. Avec la chefferie traditionnelle, elles apportent leur
soutien au mouvement.
Somme tout, les journées du 1er et 2 janvier sont
relativement calmes. Ce n’est que dans la nuit du 2 au 3 que les événements
commencent à se précipiter. M. Maurice échoue dans sa tentative d’arrêter les
leaders de l’intersyndicale réunis à la Bourse du travail. Il ordonne
l’installation de plusieurs automitrailleuses aux alentours du palais et le
renforcement des principaux bâtiments publics, notamment celui de la
radiodiffusion. Le 3 au matin débute la manifestation. Il semble que ce soit
l’épouse de Joseph Ki-Zerbo, Jacqueline, qui l’ait ouverte avec ses
collégiennes du cours Normal. Arborant des pancartes réclamant de « Du
pain, de l’eau et de la démocratie », elles sont suivies par les élèves du
lycée Philippe Zinda Kaboré. Rapidement, tous ces jeunes gens sont rejoints par
plus de 100.000 Ouagalais, dont de nombreux fonctionnaires qui appellent au
retrait de l’abattement de 20 % des salaires. La manifestation n’est pas
violente. Les forces de l’ordre auraient même pris fait et cause pour les
manifestants. Acculé, M. Maurice fait savoir en fin d’après-midi aux
manifestants, par le biais de son chef d’état-major le lieutenant-colonel
Aboubacar Sangoulé Lamizana, qu’il retire l’abattement de 20 % et maintient le
taux des allocations. Mais la situation semble dépasser les simples
syndicalistes comme Joseph Ouédraogo ; la foule, menée par l’historien Joseph
Ki-Zerbo, appelle désormais à la démission du président de la République qui
s’est retranché dans le camp Guillaume Ouédraogo. Afin de débloquer la
situation, les meneurs appellent l’armée à prendre le pouvoir.
Après plusieurs heures de négociations, à 16h, Maurice
Yaméogo annonce par radio sa décision de remettre le pouvoir au
lieutenant-colonel Sangoulé Lamizana.
Au sujet de cette prise de décision, deux versions des
faits existent. Selon Frédéric Guirma, qui aurait recueilli en 1967 le
témoignage de Sangoulé Lamizana, M. Maurice aurait ordonné au chef des Forces
armées voltaïque (FAV) de restaurer l’ordre en tirant sur la foule. Lamizana
aurait répliqué que jamais une armée ne tire sur son peuple, qu’un tel ordre
devrait être signifié par écrit. Yaméogo aurait refusé et insisté. Lamizana
aurait alors consulté ses officiers qui se seraient prononcés majoritairement
contre. Le président de la République se serait résolu à annoncer en termes
ambigus un « transfert de compétences » dans l'espoir de récupérer le pouvoir
une fois la crise terminée. Mais, sous la pression du peuple, il aurait dû se
résigner à signer sa démission.
Dans l’émission radiophonique d’Alain Foka, Archives
d’Afrique, consacrée à Maurice Yaméogo, Sangoulé Lamizana affirme n’avoir jamais
reçu l’ordre de tirer, rejoignant ainsi la version du premier président de la
Haute-Volta. Yaméogo aurait, selon son témoignage à l’historien Ibrahima Baba
Kaké, démissionné afin d’empêcher toute effusion de sang. Lamizana, en larmes,
n'aurait qu'à contrecœur accepté de prendre le pouvoir.
Contre l’avis des syndicalistes, Lamizana fait
escorter le président déchu à Koudougou. Peu de temps après, ses supporters
décident de descendre sur la capitale afin d’en découdre. Une compagnie
militaire est immédiatement envoyée pour y maintenir l’ordre. Afin de prévenir
tout nouvel incident, le gouvernement le place le 6 janvier en résidence
surveillée à Ouagadougou. Cette détention, M. Maurice la vit très mal au point
de tenter de mettre fin à ses jours en décembre 1966. Son ami Félix
Houphouët-Boigny s’en émeut ; il fait activement pression sur Paris pour qu’il
interfère en faveur de sa libération. Mais le 28 avril 1967, à la demande des
forces vives de la nation, Yaméogo est inculpé par un tribunal spécial chargé
d’enquêter sur ses années de gestion. Le 5 août 1967, son fils aîné Hermann
échoue dans une tentative de coup d’État pour le délivrer.
À la suite de ces évènements, pressé par le dirigeant
ivoirien, le général de Gaulle boycotte le chef de l’État voltaïque Sangoulé
Lamizana afin d’obtenir sa relaxe. Il obtient une promesse. Mais le temps passe
et en janvier 1968, Yaméogo fait une seconde tentative de suicide en absorbant
une forte dose de nivaquine. Finalement le 8 mai 1969, il est condamné à
l’issue d'un procès à huis clos, à cinq ans de travaux forcés, au bannissement
à vie et à la déchéance de ses droits civiques.
Source : Wikipedia
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