Le texte que vous allez lire circule sur la toile depuis quelques jours,
sous l’intitulé suivant : « La lettre des anciens présidents africains à Bensouda ». Tantôt il est attribué à trois
ancien chefs d’Etat, tantôt seulement à deux, tantôt à personne… A cause de
cette incertitude, nous avons longtemps hésité s’il fallait le publier. Nous
nous y sommes finalement décidés parce que, tout compte fait, l’importance de
le faire connaître au plus large public possible tient plus à ses qualités
intrinsèques, qu’à celles qui découleraient de la qualité ou de l’ancienne
fonction de ses auteurs, si distingués qu’ils puissent être. Nous le donnons
d’ailleurs sans indication de nom de signataires. Non pas que nous soyons
persuadés de façon définitive que ceux qui sont donnés pour tels ne le sont point
en réalité, mais parce que, tout bien réfléchi, cela ne nous a pas paru le plus
important. Le principal intérêt de ce texte – et il est immense –, c’est en
effet ce qu’il nous dit de la « crise ivoirienne », par rapport au
procès qui s’ouvre ce 28 janvier, à La Haye. Quels qu’ils soient, ses auteurs ont
mérité notre reconnaissance pour l’insigne service qu’ils nous ont ainsi rendu.
Qu’ils en soient remerciés, ainsi que celui auquel nous devons cette traduction
de l’anglais.
La Rédaction
La lettre des anciens présidents
africains à Bensouda
Honorable Mme Bensouda,
UN APPEL AFRICAIN URGENT!
La Côte d’Ivoire et l’Afrique ont besoin de l’ancien président Laurent Koudou Gbagbo
pour réaliser la paix et la justice
- En tant qu’Africains, nous tenons
à ce que l’Afrique, notre Continent résolve ses problèmes aussi vite que
possible, y compris l’ensemble des défis liés à la paix et à la justice
dans les pays sortant d’un conflit.
- Cet appel urgent que nous vous adressons a trait à la situation
en Côte d’Ivoire et notamment à son ancien Président, M. Laurent Gbagbo,
qui, comme vous le savez, est présentement jugé à la Cour pénale
internationale.
- Nous lançons cet appel parce
que nous croyons fermement que la Côte d’Ivoire devrait continuer de
croître et se développer pour le bonheur de tous ses citoyens, dans des
conditions de paix, de démocratie, de l’Etat de droit, de la
réconciliation et de l’unité nationales.
- Nous sommes absolument
convaincus que le pays peut et doit atteindre ces objectifs et que M.
Laurent Gbagbo peut et devrait faire une importante et exceptionnelle
contribution à cet égard.
- Inutile de dire qu’il ne peut
faire cette contribution dans une cellule de prison, quelque part dans le
monde, mais plutôt en tant qu’un citoyen libre dans son propre pays.
- Au regard de ce que nous avons
dit et qui se rapporte au conflit non résolu en Côte d’Ivoire, nous disons
que la détention et le procès de Laurent Gbagbo ont davantage aggravé les
divisions et animosités entre les citoyens ivoiriens. Ce développement
risque de faire basculer le pays dans la reprise de la guerre civile,
mettant ainsi en danger la vie de centaines de milliers d’innocents.
- Il y a donc un risque réel que
s’il est reconnu coupable et condamné par la CPI, cela ne mette le feu aux
poudres et entraîne une conflagration destructrice que nous redoutons.
- Madame le Procureur, il est
particulièrement important qu’au regard de ce qui précède, il y ait une
profonde reconnaissance du fait que les événements qui ont amené Laurent
Gbagbo à la CPI ont été le résultat d’une lutte politique stratégique
intense et historique sur l’avenir de la Côte d’Ivoire, et que cette
contestation perdure.
L. Gbagbo reçu par le président Félix Houphouët
à son retour d'exil en 1988 - Par conséquent, vous
comprendrez que nonobstant la bonne foi avec laquelle votre bureau s’est
acquitté de ses fonctions juridiques officielles, une partie importante de
la société ivoirienne, en particulier les partisans de Laurent Gbagbo, va
considérer l’intervention de la CPI comme un prolongement de la politique
de domination de l’autre camp – une manifestation de la « justice
des vainqueurs ». Pourtant, la situation en Côte d’Ivoire exige et
nécessite que le peuple ivoirien continue à aborder ses défis stratégiques
par des moyens démocratiques et dans un cadre véritablement inclusif, tout
en travaillant ensemble dans des conditions de paix.
- La polarisation autour de la
question de la poursuite contre Laurent Gbagbo est attisée par l’interprétation
qu’on en fait en Côte d’Ivoire, ce qui est corroborée par les informations
du domaine public, selon lesquelles les exactions ont été en fait commises
des deux côtés lors du conflit.
Le contexte
historique de la crise ivoirienne
- Madame le Procureur,
permettez-nous de justifier certains des commentaires susmentionnés en
rappelant brièvement certains des développements politiques en Côte
d’Ivoire pendant ces quinze (15) dernières années.
- Comme vous le savez, avant que
M. Laurent Gbagbo ne soit élu Président de la Côte d’Ivoire en 2000, ses
prédécesseurs avaient introduit une philosophie qu’ils ont appelée « ivoirité ».
Pour l’essentiel, l’objectif était de diviser la population ivoirienne en
deux groupes. Pendant longtemps, la Côte d’Ivoire a attiré un grand nombre
de migrants économiques dont la majorité venait du Burkina Faso. Le
concept d’« ivoirité » affirmait que la population de la
Côte d’Ivoire était divisée en deux parties – une partie étant constituée
par les ivoiriens autochtones
et la seconde par les migrants
économiques dont nous avons parlé. La politique de l’« ivoirité »
avait pour objectif d’introduire une discrimination en faveur des ivoiriens autochtones qui
sont majoritairement chrétiens.
- Il se trouve que les migrants
économiques, essentiellement musulmans, constituaient la majorité de la
population dans le nord du pays.
- En raison des dispositions
constitutionnelles fondées sur ce concept d’« ivoirité »,
l’actuel Président de la Côte d’Ivoire, M. Alassane Ouattara, lui-même un
musulman, a été exclu de la course pour le poste de président de la
République parce que sa filiation fait de lui un Burkinabé et non un
Ivoirien. Naturellement, cela a eu un impact négatif sur les migrants
économiques musulmans venus en grande partie du Burkina Faso. Il était
donc évident que ceux-là supportent M. Ouattara.
- M. Gbagbo a été élu Président
de la Côte d’Ivoire en 2000. En 2002, alors qu’il était hors du
L. Gbagbo en 2001 (photo : Yann Latronche) - Afin de mettre un terme à la
guerre civile, les Nations Unies ont déployé une mission de maintien de la
paix, appelé ONUCI. La France a déployé sa propre force de maintien de la
paix indépendante.
- Après celles tenues en 2000,
les prochaines élections présidentielles devaient avoir lieu en 2005.
Mais, en raison de la situation de guerre dans le pays, et ses
conséquences, ces élections ont seulement eu lieu vers la fin de 2010.
- Dans l’intervalle, les parties
ivoiriennes avaient conclu divers accords visant à mettre fin à la guerre
civile et à aider le pays à retourner à la normalité. Dans ce contexte,
elles ont également convenu de tenir des élections présidentielles
pacifiques, libres et régulières.
- Fait d’une importance capitale
à cet égard, en 2005, M. Gbagbo alors Président, pris la décision d’user
des pouvoirs présidentiels exceptionnels prévus par la Constitution
ivoirienne pour permettre à M. Alassane Ouattara de participer à
l’élection présidentielle de la République de Côte d’Ivoire.
- C’est en raison de cette
contribution décisive faite par M. Gbagbo qu’il est devenu possible pour
les parties ivoiriennes, de signer de nouveau en 2005, un accord qui,
entre autres :
20.1.
officiellement, mettait un terme à la guerre sur toute l’étendue du territoire
ivoirien ;
20.2.
établissait les processus relatifs à la mise en œuvre du programme national de
désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR) des forces armées;
20.3.
ramenait les Forces nouvelles dans le Gouvernement de transition ;
20.4.
expliquait clairement les dispositions relatives à la structure et au
fonctionnement de la Commission électorale indépendante;
20.5.
Mettait en place un calendrier pour la tenue des élections présidentielles et
législatives.
- Afin de permettre à ces
élections d’avoir lieu, les parties ont convenu qu’il était nécessaire
entre autres de :
21.1.
Réunifier le pays sous une seule autorité; et
21.2.
D’intégrer les groupes armés dans une armée nationale (républicaine).
- En 2005, les parties
ivoiriennes ont demandé à l’Organisation des Nations Unies, par
l’intermédiaire de son Secrétaire général, d’organiser l’élection
présidentielle. L’ONU a rejeté cette demande aux motifs que la Côte
d’Ivoire n’était pas un État en déliquescence et disposait
d’institutions prévues par la Constitution pour organiser des élections.
Cette situation était différente de celle du Timor oriental où l’ONU a
organisé les premières élections parce qu’il n’y existait pas à cette
époque d’institutions étatiques similaires dans ce qui était un pays tout neuf.
Répondant à la demande des parties ivoiriennes, le Conseil de sécurité des
Nations unies a autorisé la nomination d’un haut-représentant des Nations
Unies pour les élections qui aiderait les institutions électorales
ivoiriennes.
- Malheureusement, en raison des
pressions extérieures, l’élection présidentielle s’est tenue avant la
réalisation des deux objectifs convenus de la réunification du pays et la
création d’une armée nationale. MM. Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara
étaient les deux candidats en lice.
- Le résultat de ce combat fut
que les résultats des élections annoncés par la Commission électorale
indépendante (CEI), qui déclaraient que M. Ouattara avait gagné,
confirmaient simplement la division du pays, parce que les zones
contrôlées par les rebelles avaient largement voté pour M. Ouattara et
celles contrôlées par le Gouvernement largement voté pour M. Gbagbo. Le
chef de l’ONUCI qui a agi en tant que haut-représentant des Nations Unies
pour les élections annonça également que M. Ouattara avait remporté les
élections.
- La Constitution ivoirienne
disposait que l’arbitre final de toute élection nationale, y compris les
élections présidentielles, est le Conseil constitutionnel (CC) et non la
CEI. La CEI soumit son rapport au CC qui a le pouvoir de changer la
décision de la CEI sur la base de sa propre évaluation de tout élément des
élections.
- Exerçant son propre mandat, le
CC annula les élections dans différentes parties du territoire contrôlées
par les Forces Nouvelles parce qu’il disposait de preuves concrètes que
des fraudes massives, etc., avaient eu lieu dans ces zones. Il déclara
donc que M. Gbagbo avait remporté les élections.
- Bien que le Conseil de sécurité
des Nations Unies ait uniquement chargé le haut-représentant des
Nations Unies pour les élections de soutenir les institutions
électorales ivoiriennes, ce représentant élu décida d’entériner les
résultats de la CEI selon lesquels M. Ouattara avait été élu et rejeta ouvertement
la décision de la CC qui faisait de M. Gbagbo le vainqueur.
- Dans cette situation, M. Gbagbo
appela à un recomptage des voix du scrutin et suggéra l’implication des
diverses institutions internationales dans ce processus, y compris
l’Organisation des Nations Unies, l’Union africaine et l’Union européenne.
Cet appel fut rejeté par l’Onu et toutes les autres institutions
contactées.
- En fin de compte, M. Gbagbo
contacta l’Union africaine et informa l’organisation qu’il était prêt et
disposé à quitter le siège du président afin de mettre fin au conflit dans
le pays. Il demanda que l’UA envoie une délégation en Côte d’Ivoire afin
de faciliter le processus de sa remise du pouvoir à M. Ouattara afin que
le conflit de l’époque prenne fin, et ainsi, d’éviter au pays des conflits
futurs. L’UA accepta sa proposition.
- En conséquence, l’UA a informé
l’ONUCI qu’une délégation de Chefs d’État africains se rendrait à Abidjan
pour exécuter leur mission comme proposé par M. Gbagbo. L’ONUCI s’est
engagée à prendre les mesures de sécurité nécessaires pour cette
délégation et les communiquer à l’UA. Cela n’a jamais été fait. Par
conséquent, l’UA n’a jamais réussi à accomplir sa mission qui aurait
permis de mettre fin pacifiquement au conflit d’alors.
- Au lieu de cela, en 2011, tant
l’ONU par le biais de l’ONUCI, que la France dans le cadre de l’opération
Licorne, déployées en Côte d’Ivoire en tant que forces neutres de maintien
de la paix, ont demandé à ces forces de lancer des attaques militaires
contre M. Gbagbo. Elles l’ont alors capturé et remis en fait aux mêmes
forces qui s’étaient rebellées contre le gouvernement élu de M. Gbagbo en
2002.
- En 2011, à la suite du
transfert de M. Gbagbo à la CPI, des élections législatives ont eu lieu en
Côte d’Ivoire. Le FPI, le parti de M. Gbagbo, a appelé au boycott des
élections et n’y a pas participé. Plus de soixante pour cent (60 %) des
électeurs inscrits n’ont pas participé à ces élections.
- Madame le Procureur, aux yeux
de nombreux Ivoiriens, ce qui précède est l’expression d’un cortège
d’injustices. C’est l’un des principaux facteurs qui alimentent la dangereuse
division et l’animosité qui concernent une grande partie de la population
ivoirienne – du fait que, entre autres :
33.1. En 2002,
une rébellion armée a éclaté en Côte d’Ivoire cherchant à renverser par la
violence et de manière inconstitutionnelle le Président Gbagbo et son
gouvernement d’alors. Personne n’a jamais été poursuivi pour cet acte de
trahison.
33.2.
Plutôt, les putschistes ont été soutenus pendant de nombreuses années, des
armes à la main, jusqu’à ce qu’ils réalisent leur objectif de prendre le
contrôle d’Abidjan en 2011.
33.3. Comme
nous l’avons indiqué, la pression extérieure a été actionnée afin d’obliger
alors le Président Gbagbo à consentir à la tenue d’élections présidentielles
dans des conditions qui étaient contraires aux accords négociés entre les
parties ivoiriennes, conditions qui manifestement ne pouvaient garantir des
élections libres et justes.
33.4. Encore
une fois, comme nous l’avons fait remarquer, le haut-représentant des Nations
Unies pour les élections en Côte d’Ivoire a outrepassé ses pouvoirs et violé la
Constitution de la Côte d’Ivoire en annonçant que M. Ouattara avait été élu
président pendant les élections de 2010, en se fondant sur la décision de la
CEI plutôt que sur celle du Conseil constitutionnel, seule instance compétente
pour valider les élections.
33.5. Cela a
servi de prétexte à l’ONU et aux forces françaises pour abandonner leurs
mandats de forces neutres de maintien de la paix, pour permettre aux Forces
rebelles d’entrer à Abidjan pour déposer par la force le Président Gbagbo.
L’ONU et les Français ont rejoint les forces rebelles pour lancer l’attaque
contre M. Gbagbo pour ensuite l’arrêter et le remettre aux Forces rebelles.
33.6. Le haut-représentant
des Nations Unies pour les élections n’a notamment rien fait pour donner une
suite favorable à la demande tout à fait régulière de M. Gbagbo d’organiser un
recomptage des voix du scrutin sous la supervision de la communauté
internationale afin de mettre fin à la controverse de savoir qui avait remporté
l’élection présidentielle, même après que M. Gbagbo ait également déclaré que
lui et M. Ouattara devraient accepter le résultat du recomptage comme définitif
et irrévocable.
33.7. L’ONU
notamment et d’autres acteurs, n’ont rien fait pour reconnaître le rôle vital
joué par M. Gbagbo pour ramener la paix en Côte d’Ivoire quand il a utilisé les
pouvoirs présidentiels exceptionnels prévus par la Constitution pour permettre
à M. Ouattara de se présenter à l’élection présidentielle et devenir le président
de la République s’il remportait les élections. M. Gbagbo avait ainsi
audacieusement résolu l’une des questions centrales qui avaient conduit à la
rébellion de 2002 et à la tentative de coup d’État, et a donc commencé le
processus de répudiation de la politique de division de l’« ivoirité »
que ses prédécesseurs avaient instituée.
33.8. De
même, ces acteurs n’ont pas prêté attention à la position d’une importance
vitale que le Président Gbagbo a ensuite prise lorsqu’il a accepté qu’un gouvernement
intérimaire multipartite gère la transition jusqu’à la tenue des élections
présidentielles. Pour montrer sa détermination à cet égard, il a même accepté
que le leader des forces rebelles exerce la fonction de Premier ministre, à la
tête du gouvernement de transition.
33.9. En
outre, et c’est d’une importance cruciale, nous ne pensons pas, étant donné
leur longue implication dans le conflit ivoirien, que l’ONU et la France
n’aient pas été au courant de la réalité que Wanda L. Nesbitt, l’ambassadeur
des Etats-Unis près la République de la Côte d’Ivoire, a communiquée à son gouvernement
en juillet 2009 en disant : «Il ressort à présent que l’accord de Ouaga IV,
(le quatrième accord, appelé Accord Politique de Ouagadougou, qui prescrivait
que le désarmement doit précéder les élections) est fondamentalement un accord
entre Blaise Compaoré (Président du Burkina Faso) et Laurent Gbagbo, en vue de
partager le contrôle du Nord jusqu’au lendemain de l’élection présidentielle en
dépit du fait que le texte en appelle aux forces rebelles de restituer le contrôle du Nord du pays au
gouvernement et d’achever le désarmement deux mois avant la tenue des
élections…
« Mais, en
attendant la création d’une nouvelle armée nationale, les 5 000 soldats des forces
rebelles, qui doivent être « désarmés » et
regroupés dans des casernes dans quatre villes clés du nord et de l’ouest du
pays, représentent une sérieuse force
militaire que les rebelles ont l’intention de maintenir bien formée et
en réserve jusqu’au lendemain de
l’élection. La cession du pouvoir administratif de ces forces aux
autorités du gouvernement civil est une
condition sine qua non pour les élections ; mais, comme le
confirment des voyageurs dans le Nord, les
rebelles maintiennent un contrôle absolu de la région, en particulier en
ce qui concerne les finances.»
- Une fois de plus, aux yeux de
millions d’Ivoiriens, ce qui précède et d’autres éléments liés à
l’histoire ivoirienne présentent un tableau très troublant. La réalité est
que depuis l’époque du Président Félix Houphouët-Boigny, notamment lorsque
M. Alassane Ouattara était son Premier ministre, il a existé un plan pour
neutraliser M. Gbagbo et la formation politique à laquelle il appartenait,
le Front populaire ivoirien (FPI). Au cours de cette période, M. Gbagbo a
été emprisonné et était régulièrement persécuté par les organes de sécurité de l’État en
raison de sa campagne politique soutenue de démocratiser la Côte d’Ivoire
et de libérer le pays du néocolonialisme.
34.1. Pour
ces millions d’Ivoiriens qui ont partagé les vues de M. Gbagbo, il est logique
de conclure que ce plan pour neutraliser M. Gbagbo et le mouvement démocratique
qu’il a conduit a été appuyé par certains Ivoiriens et certaines forces
extérieures.
34.2. Ces
forces combinées sont intervenues en 2002 pour déposer par la force M. Gbagbo
alors président, mais elles échouèrent.
34.3.
Toutefois elles ont veillé à ce que le groupe armé qui avait tenté le coup d’État
reste en place, prêt à essayer un autre coup d’État une fois que les conditions
seraient de nouveau réunies – d’où l’occupation du nord et de certaines parties
de l’ouest de la Côte d’Ivoire par les rebelles.
34.4.
Finalement, le moment vint lorsque, huit ans après la tentative de coup d’État
de 2002, la Côte d’Ivoire organisa des élections présidentielles en 2010.
34.5. Il est
clair pour ses partisans ivoiriens que toutes les dispositions avaient été
prises pour assurer la défaite de M. Gbagbo à ces élections. C’est pourquoi,
aucune mesure n’a été prise pour le recomptage des voix comme suggéré par M.
Gbagbo. Cela, en dépit du fait que c’est un processus très courant dans les cas
où il y a d’importantes différences au sujet du vainqueur et du perdant des
élections.
34.6. Il est
également clair qu’ils avaient pris toutes les dispositions pour chasser M.
Gbagbo par la force, s’il contestait sa défaite, et même si cette contestation
était justifiée.
34.7. C’est
pour cette raison que les rebelles ont été autorisés à se comporter comme ils
l’ont fait, ainsi que l’a remarqué Mme Nesbitt, l’ambassadeur des États-Unis. [Cf.
supra, § 33.9.1.]
34.8. C’est
également pour cette raison que l’Union africaine (UA) n’a pas été autorisée à
intervenir pour assurer le règlement pacifique du conflit post-électoral qui
débuta en décembre 2010. Notons que l’UA aurait dû également chercher à
négocier un accord entre MM. Laurent Gbagbo et Ouattara afin de résoudre
certaines des anomalies structurelles en Côte d’Ivoire, qui ont eu une
incidence négative sur son indépendance et sa stabilité.
34.9. Enfin
pour neutraliser M. Gbagbo et le mouvement démocratique et anti-néocolonialiste
qu’il dirigeait, il a été décidé que la meilleure chose à faire serait de
l’inculper devant une cour de justice, de le déclarer coupable pour divers
chefs d’accusation et de l’emprisonner pour une longue période.
34.10.
Plusieurs leaders et militants du FPI ont connu le même sort.
34.11. De
nombreux Ivoiriens pensent qu’une partie de cette tâche serait confiée à la
Cour pénale internationale (CPI), qui servirait ainsi d’instrument utile dans
la réalisation de la tâche stratégique de détruire le mouvement au service du
renouveau de la Côte d’Ivoire.
- Pertinentes
questions adressées à la CPI
35.1. Par conséquent, la question se pose de savoir comment la CPI
devrait répondre à cette situation
où l’absence de Laurent Gbagbo de Côte
d’Ivoire compromet les perspectives de stabilité dans ce pays, et la Cour est
perçue par une grande partie d’Ivoiriens et de la société africaine comme ayant
été instrumentalisée par une faction politique pour neutraliser Laurent Gbagbo
et son parti !
35.2. Cette
question doit interpeller la conscience des juges de la CPI, à cause de
l’incidence négative de son action sur la nécessité cruciale et urgente
d’empêcher une reprise de la guerre et de réaliser la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire, qui ne peut être
atteinte sans la participation de M. Gbagbo, du FPI, et de leurs partisans.
35.3. Bien
que nos contacts avec eux nous révèlent que le FPI souhaite profondément que la
réconciliation nationale ait lieu et qu’il est déterminé à participer à ce
processus, il ne pourra le faire sans la participation de M. Gbagbo, qui est
lui-même disposé à contribuer à cette réconciliation sans exiger la réélection
des institutions de gouvernance.
35.4. Bien
que nous reconnaissions que la CPI devrait poursuivre sa quête de preuves pour
prononcer les inculpations et qu’elle est en droit d’attendre la décision
définitive de chaque cas par les juges, nous estimons qu’une réévaluation du
cas de M. Gbagbo est nécessaire en raison de la fragilité actuelle de la
situation en Côte d’Ivoire, et par sa situation particulière, notamment la
nécessité pour son implication positive dans le processus de réconciliation,
d’unité et de stabilisation nationales. À cet égard, il est manifeste que :
(a) - M.
Gbagbo n’était pas l’auteur mais plutôt la cible du recours aux armes par les
autres en 2002 pour régler les divergences politiques ;
(b) - M.
Gbagbo n’était pas l’initiateur mais un adversaire de la politique d'« ivoirité »
qui est à l’origine du conflit ;
(c) - M.
Gbagbo, contre la volonté d’un grand nombre d’Ivoiriens, a agi afin de
permettre à M. Ouattara d’accéder démocratiquement à la présidence de la Côte
d’Ivoire, et a donc transmis le message aux millions de migrants économiques
résidents, qu’ils ne seront pas considérés comme des citoyens de seconde classe
;
(d) - M.
Gbagbo était tellement soucieux que la Côte d’Ivoire redevienne une démocratie
qu’il a même permis à ceux qui avaient cherché à le chasser du pouvoir par un
coup d’État, de diriger le gouvernement qui serait chargé de conduire la
transition vers la démocratie, en la personne du chef des rebelles ;
(e) - M.
Gbagbo était déterminé à se retirer en tant que président de la République en
faveur de M. Ouattara malgré sa conviction qu’il avait remporté les élections,
évitant ainsi au pays plus de morts, de souffrances et de destructions de biens
; et,
(f) - Même
certains juges au sein de la CPI ont soulevé des questions au sujet de
l’existence de preuves suffisantes pour condamner M. Gbagbo.
36. Le contexte
ivoirien et les perceptions populaires
36.1. Madame
le Procureur, comme vous l’avez vu dans nos commentaires précédents,
l’arrestation du Président Gbagbo en Côte d’Ivoire et son procès à La Haye ont
eu lieu dans le contexte d’une situation politique extrêmement polarisée qui a
abouti à la longue guerre civile en Côte d’Ivoire et à la division du pays.
36.2. Il
était inévitable, dans ces conditions, que les mandats d’arrêt pour Laurent et
Simone Gbagbo et pour Charles Blé Goudé alimentent le soupçon que c’est une
justice des vainqueurs qui est en cours à la CPI : un soupçon aggravé par le fait
qu’aucune accusation n’a été portée contre les opposants politiques du
Président Gbagbo.
36.3. Par
conséquent, pour d’importantes franges de la population de Côte d’Ivoire,
l’insistance de la Cour que Simone Gbagbo soit aussi remise à la CPI pour subir
un procès, a accentué cette perception d’une justice partiale, qui a été
renforcée par l’arrestation et le transfert de M. Blé Goudé à la CPI.
36.4. Les
expériences très médiatisées de M. Gbagbo à la CPI, auxquelles nous faisons
allusion ci-dessous, ont ajouté au mécontentement d’importantes franges de la
population ivoirienne et mettent en péril tout projet de cohésion nationale et
toute perspective de redressement.
36.5. Comme
vous le savez bien, et comme nous avons cherché à le démontrer, Laurent Gbagbo
reste un acteur clé dans la politique ivoirienne, avec de nombreux partisans, et
son absence persistante dans ce qui devrait être une recherche collective de la
réconciliation nationale et de la stabilité en Côte d’Ivoire, expose la paix et
la stabilité du pays à un risque extrême.
36.6. En
outre, jusqu’à présent, certaines caractéristiques des procédures de la CPI
aggravent également l’effet de polarisation de l’arrestation, de la détention
et des poursuites de M. Gbagbo.
37. Les
problèmes soulevés par le processus de confirmation
37.1. Madame
le Procureur, comme vous le savez, le déroulement du procès de M. Gbagbo est
suivi de très près en Côte d’Ivoire, et le processus de confirmation des
charges retenues contre Laurent Gbagbo a suscité un intérêt particulier. Force
est de reconnaître que ce processus ne s’est pas déroulé sans heurts. Qu’il
vous souvienne qu’en juin 2013, par une décision majoritaire, la Chambre préliminaire
(I) a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves à ce stade pour
confirmer les accusations portées contre M. Gbagbo.
37.2. Le
fait que la Chambre ait néanmoins alloué au procureur un temps additionnel pour
fournir des preuves supplémentaires pour renforcer son cas et, qu’un an plus
tard, en juin 2014, la Chambre ait pu confirmer ces charges uniquement par une
décision prise à la majorité des voix, n’a pas échappé aux observateurs. Ni le
fait que l’un des juges ait donné un avis absolument opposé, au motif qu’elle
n’était pas convaincue de la qualité des preuves avancées pour affirmer la
participation de M. Gbagbo aux crimes présumés.
37.3. Pour
les observateurs intéressés, notamment en Côte d’Ivoire, mais également en
dehors de ce pays, ce fut donc une approbation mitigée des accusations contre
Laurent Gbagbo. Par ailleurs, cette division dans l’opinion judiciaire a
accentué la perception de l’insuffisance juridique des preuves contre M.
Gbagbo.
37.4. Pire
encore, vous comprendrez, Madame le Procureur, que tout cela a fermement
confirmé la conviction des partisans de M. Gbagbo qu’il ne devait répondre
d’aucun chef d’accusation en première instance, et que la CPI s’employait à
s’assurer que l’objectif prédéterminé de l’inculper était atteint.
38. Les
retards dans l’affaire
38.1. Il y a
d’autres éléments de l’affaire qu’il faut garder à l’esprit. Près de quatre ans
après son transfert à La Haye, le procès de M. Gbagbo n’a toujours pas
commencé. Bien que ce retard soit imputable à plusieurs raisons, y compris la
complexité même des procédures, et la nécessité de veiller à ce que toutes les
parties soient bien préparées pour tout procès ; et bien que les retards dans
le contexte des procès à la CPI peuvent ne pas être inhabituels, il est indéniable
que plus cette affaire traîne, plus il y a de risques que cela attise en Côte
d’Ivoire les tensions politiques auxquelles nous avons déjà fait allusion.
38.2. Comme
vous le savez, les retards seraient perçus par les partisans de M. Gbagbo comme
une expression délibérée et hostile du principe selon lequel « justice
différée équivaut à déni de justice ».
39.
Détention prolongée
39.1. Le
retard accusé dans cette affaire affecte énormément M. Gbagbo en raison de son
maintien en détention à La Haye. En dépit des efforts incontestables de son
équipe de défense, elle n’a pu obtenir la liberté provisoire de son client,
bien que, selon les décisions de la Cour, un État tiers avait, à ce qu’il
parait, accepté d’accueillir M. Gbagbo et qu’il assurerait sa présence à la
Cour chaque fois que nécessaire. Un aspect particulièrement triste de sa
détention est que l’an dernier, M. Gbagbo n’a même pas pu être libéré pour
quelques jours pour assister à l’inhumation de sa mère.
- Bien que diverses décisions
judiciaires puissent avoir été prises pour confirmer les accusations et
maintenir M. Gbagbo en détention, il est impossible d’ignorer la réalité
que cette affaire continue de diviser la Côte d’Ivoire et de compliquer la
transformation cruciale de son paysage historique général.
40.1. C’est
une préoccupation importante, et c’est elle qui justifie notre appel, et qui crée, à notre avis,
l’impératif de réévaluer l’affaire Gbagbo et, en particulier, d’interroger la
nécessité d’une poursuite qui a déjà montré des insuffisances manifestes, et
suffisamment graves pour avoir entrainé une forte dissidence judiciaire contre
la confirmation des charges.
41. Contexte
général
41.1. En
1998, lorsqu’il a été signé, les États ont reconnu que le Statut de Rome
pourrait fonctionner au sein du système des relations internationales et
entraînerait inévitablement un empiétement sur la souveraineté des États.
Toutefois, les négociateurs du traité ont à juste titre rejeté l’idée de tout
mécanisme de filtrage ou de contrôle externe des travaux de la CPI parce que
cela aurait constitué une interférence inacceptable à l’exercice de la
discrétion et la prise de décisions du Procureur et des juges.
41.2.
Toutefois, dans le but de protéger l’indépendance de la Cour, les États
n’avaient pas abandonné l’idée que la nouvelle cour devait fonctionner d’une
manière qui reconnaisse la complexité du système international ou dans les
contextes nationaux et se sont fondés sur l’option de prendre dûment en
considération, le cas échéant, la nécessité de favoriser les processus
nationaux.
41.3.
Plutôt, et au lieu de cela, les signataires du Statut ont confié au Procureur
et aux juges, par une utilisation judicieuse de de leur pouvoir
discrétionnaire, le droit et le devoir de procéder aux appréciations
nécessaires pour que, lorsque les procédures de la CPI sont inappropriées ou
contraires aux intérêts de la justice, ils prennent en compte toutes les
considérations pertinentes, y compris l’impact de ses interventions sur la paix
durable et la stabilité dans les sociétés.
41.4. Nous
considérons donc que le Statut de Rome devrait rester entre les mains de la CPI
comme un instrument vivant, capable d’une part, de poursuivre les
responsabilités individuelles pour les crimes les plus graves, tout en
préservant dans le même temps la capacité de répondre avec souplesse aux
spécificités de chaque cas, en évitant de causer des préjudices. Cette
approche, de notre point de vue, est compatible avec l’objet et le texte du
Statut comme nous le comprenons.
41.5. Madame
le Procureur, à notre avis, l’indépendance même de votre bureau, et celle des
juges, sert à protéger les décideurs de la Cour de toute interférence, leur
permettant ainsi de mettre en œuvre la sagesse qui est nécessaire à la Cour afin
de contribuer à la recherche de solutions aux crises majeures au sein
desquelles la Cour fonctionne inévitablement. Partant, la solidité et la valeur
du Statut de Rome seront jugées non pas par l’inflexibilité de la CPI dans
l’exercice de la justice, mais par sa capacité de réaction face à la complexité
et à la nuance des diverses situations dont la CPI sera saisie.
41.5.1. À
cet égard, nous devons souligner que notre appel n’a nullement pour intention de mettre en doute ou
compromettre la nécessité de tenir pour responsables tous ceux qui commettent
des infractions graves énoncées dans le Statut de Rome, et les obligations de
la CPI à cet égard. Nous voudrions croire que comme ils traitent de la question
extrêmement importante de la réconciliation nationale, les Ivoiriens se
pencheront également sur la question de la justice, pleinement conscients de
l’interconnexion entre les deux.
42. Retraits
des chefs d’accusation contre Gbagbo
42.1. Madame
le Procureur, nous reconnaissons que les défis auxquels la Côte d’Ivoire est
confrontée ne sont pas propres à ce pays, et que dans d’autres contextes
également, votre bureau sera confronté à des tensions entre les travaux de la
CPI et les impératifs pour garantir la stabilité dans ces pays. Mais comme nous
avons cherché à le démontrer, l’arrestation de Laurent Gbagbo a manifestement
échoué à contribuer à la réconciliation politique et au redressement de ce
pays, mais a plutôt freiné ce processus, polarisé les opinions et exacerbé les
divisions de la société ivoirienne à tel point que nous sommes maintenant
gravement préoccupés par la perspective de la reprise du conflit dans ce pays.
42.2. Nous
sommes convaincus que l’effet cumulatif de la situation politique fragile en
Côte d’Ivoire qui nécessite des efforts concertés pour parvenir à la
réconciliation ; les incidences évidemment négatives du procès de Gbagbo sur
cette situation ; l’occasion pour M. Gbagbo de faire une immense contribution à
la recherche d’un règlement pacifique et de solutions humaines pour la Côte
d’Ivoire ; les incertitudes entourant les preuves contre lui; ainsi que les
divers autres éléments personnels à M. Gbagbo, justifient largement
l’interruption du procès.
42.3. Madame
le Procureur, vous nous pardonnerez pour le fait que nous ne soyons pas des
spécialistes du Règlement de la Cour, et laisserons à votre appréciation la
question des procédures nécessaires pour atteindre un résultat qui soit juste
et équitable pour la Côte d’Ivoire, tout en reconnaissant que toute décision
peut faire l’objet de confirmation judiciaire. Toutefois, nous espérons que
vous comprendrez que nous avons une solide connaissance de la situation en Côte
d’Ivoire et que vous nous rejoindrez dans la parfaite connaissance des défis de
la construction de sociétés unies en Afrique, par le dialogue.
42.4. Madame
le Procureur, nous devons souligner que rien de ce que nous disons ici ne vise
à minimiser les crimes qui ont été commis dans le cadre de la contestation
politique en Côte d’Ivoire. Nous adhérons à l’idée que les crimes les plus
graves qui touchent la communauté internationale dans son ensemble ne devraient
pas rester impunis mais devraient principalement être traités par des mesures
prises au niveau national. À notre humble avis, en vertu du Statut de Rome, la
Cour devrait, dans les circonstances qui prévalent en Côte d’Ivoire, s’en
remettre à l’actuel processus national et aux mécanismes que les Ivoiriens,
collectivement adopteront pour assurer la responsabilisation et la
réconciliation relativement aux exactions commises lors de la crise dans ce
pays.
42.5. Bien
que nous reconnaissions que toute décision d’abandonner des charges pénales
puisse être assujettie à l’autorisation des juges, nous sommes convaincus qu’à
la lumière des nombreuses informations et analyses à votre disposition, ainsi
que des problèmes que nous avons pu identifier dans la présente lettre, votre
bureau, Madame le Procureur, est bien placé et équipé pour traiter cette
question d’une manière qui va à la fois faire avancer la cause de la Cour et du
peuple de Côte d’Ivoire, mais aussi de l’ensemble de l’Afrique.
43. Nous voudrions donc vous demander, Madame le Procureur, de réexaminer
l’affaire Laurent Gbagbo et entamer le processus de son retrait ou de son
interruption. Nous sommes convaincus que cette option est la meilleure façon
pour la Cour de contribuer à la réalisation de la réconciliation nationale et
de l’unité, de la stabilité, du redressement et de la responsabilisation de la
Côte d’Ivoire, en donnant la possibilité à tous les Ivoiriens de se réunir pour
régler leurs différends sans recourir à l’usage des armes.
Veuillez
agréer Madame le Procureur, l’expression de nos sentiments distingués.
Traduction
de l’anglais par Olivier K. Bassa, MA
Translation Studies (University of the Witwatersrand, JHB, South Africa), Senior
Freelance translator English/French, Member of the South African Translators’Institute (SATI). Johannesburg, South
Africa
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