Ménon de Thessalie
était possédé d'une soif insatiable d'or, et ne la cachait pas. Il désirait le
commandement pour s'emparer de plus de trésors ; les honneurs, pour gagner
davantage. Il ne voulait être ami des gens les plus puissants que pour
commettre impunément des injustices. Il regardait le parjure, le mensonge, la
fourberie comme le chemin le plus court qui menât à l'objet de ses désirs. Il
traitait de bêtise la simplicité et la sincérité. On voyait clairement qu'il
n'aimait personne, et s'il se disait l'ami de quelqu'un, il n'en cherchait pas
moins ouvertement à lui nuire. Jamais sa raillerie ne tomba sur un ennemi, et
il ne parlait point des gens avec qui il vivait familièrement sans se moquer
d'eux. Ce n'était point à envahir le bien des ennemis, qu'il dirigeait ses
projets. Il jugeait difficile de prendre à qui se tenait sur ses gardes. Il
pensait avoir seul remarqué qu'il était plus aisé de dépouiller un ami, et de
s'approprier ce qu'on ne songeait point à défendre. Il redoutait tout ce qu'il
connaissait de parjures et de méchants, comme gens cuirassés contre son
attaque. Mais il tâchait de profiter de la faiblesse dont il taxait les gens
pieux et qui faisaient profession de sincérité. Comme il est des hommes qui
étalent avec complaisance leur piété, leur franchise, leur droiture, Ménon se
targuait de son art à tromper, à inventer des fourberies, à tourner en ridicule
ses amis. Il regardait comme n'ayant pas reçu d'éducation quiconque n'était pas
fin et rusé. Essayait‑il d'obtenir le premier rang dans l'amitié d'un homme, il
croyait qu'il ne manquerait pas de captiver son esprit en décriant près de lui
ses amis les plus intimes. C'était en se rendant complice des crimes de ses
soldats, qu'il travaillait à s'assurer leur soumission. Pour se faire considérer
et cultiver, il laissait apercevoir que personne n'avait plus que lui le
pouvoir et la volonté de nuire. Était‑il abandonné de quelqu'un, il croyait
l'avoir bien traité, de ne l'avoir pas perdu pendant qu'il s'en était servi. On
pourrait mentir sur son compte si l'on entrait dans des détails peu connus ;
mais je n'en rapporterai que ce qui est su de tout le monde. Étant dans la
fleur de la jeunesse, il obtint d'Aristippe le commandement des troupes
étrangères de son armée ; il passa le reste de sa jeunesse dans la plus grande
faveur auprès d'Ariée, barbare qui aimait les jeunes gens d'une jolie figure.
Lui‑même, dans un âge tendre, conçut une passion violente pour Tharypas, plus
âgé que lui. Quand les généraux grecs furent mis à mort pour avoir fait avec Cyrus
la guerre au roi, Ménon, à qui l'on avait le même reproche à faire, ne subit
pas le même sort. Il fut cependant ensuite condamné par le roi au supplice ;
non pas à avoir, comme Cléarque et les autres généraux, la tête tranchée, ce
qui passait pour le genre de mort le plus noble, mais on dit qu'il périt, après
avoir souffert pendant un an les tourments auxquels on condamne les scélérats.
Xénophon, L'Anabase, Livre II-21.
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