Le président français avait
démarré son mandat par les interventions militaires au Mali et en Centrafrique
et par des déclarations tonitruantes sur le respect de la démocratie. Sur le
continent africain, où plus de vingt présidentielles ont lieu d'ici la fin
2016, il a aujourd'hui remballé les grands principes.
Souvenez-vous, le 13 et 14 octobre 2012, lors du sommet de
la Francophonie à Kinshasa (République démocratique du Congo), François
Hollande fait la leçon à son hôte, Joseph Kabila, lui reprochant une « situation
inacceptable dans ce pays sur les plans des droits, de la démocratie de la
reconnaissance de l’opposition ». Le président congolais a dû poireauter 42
minutes en s'épongeant le front avant qu'il ne daigne arriver. Quand Kabila
monte à la tribune, Hollande, flanqué de Blaise Compaoré, le président
burkinabé aujourd'hui déchu, n'applaudit pas et garde les bras ballants.
S'ensuit un sketch où on voit le président français rester assis quand la salle
se lève pour saluer le Congolais, prendre des notes pour montrer ostensiblement
qu'il ne l'écoute pas ou plonger les mains sous la table quand la claque
retentit. En élève discipliné, Compaoré tente d'imiter les mouvements de
Hollande, mais toujours avec un temps de retard. Du grand guignol. Il
s'agit alors pour le nouveau locataire de l'Elysée de signifier que la page de
la Françafrique est définitivement tournée, qu'il va user d'un « nouveau
ton », même si en l'occasion Hollande, chaussé de ses petites lunettes,
ressemble à un instituteur blanc tançant une classe de garnements.
Hollande muet sur la situation en Côte d’Ivoire
Trois ans ont passé depuis cette masterclass
congolaise. Denis Sassou Nguesso, 71 ans, devait, selon la constitution de
son pays, quitter le pouvoir en 2016, après deux mandats consécutifs. Le
général président qui a régné sur le Congo Brazza de 1979 à 1992, avant de
revenir au pouvoir par les armes en 1997, totalisera alors 32 ans de
magistrature suprême. Mais l'Elysée ne voit rien à y redire.
Au Togo, Faure Gnassingbé, arrivé au pouvoir en 2005 après
un coup d’Etat constitutionnel, a été réélu pour un troisième mandat de cinq
ans. Bébé Gnass, son surnom dans son pays, marche sur les traces de son père
Eyadema, président pendant trente-huit ans. Soit au total, pour la dynastie des
Gnassingbé, quarante-huit ans de règne ininterrompu.
Au Tchad, Idriss Déby, 62 ans, va lui aussi rempiler en 2016
après 26 ans de pouvoir. Il a su se rendre indispensable au Mali où son
armée a prêté main forte à l’armée française contre les islamistes. Et a pris
la tête de la guerre que la France mène contre Boko Haram, la secte islamiste
dont il annonce « la fin prochaine ». L'Elysée va donc fermer les
yeux sur les nouvelles entorses constitutionnelles commises par ce président
qui a rendu de si grands services à la cause de la lutte anti-terroriste.
En Côte d'Ivoire, Alassane Dramane Ouattara, qui continue d'emprisonner
des dirigeants de son opposition et de réprimer violemment les manifestations
hostiles, va tenter de rempiler pour un second mandat après avoir pu se
présenter en 2010 à titre exceptionnel et être installé par l'intervention de
l'armée française. Or, selon l'article 35 de la constitution toujours en
vigueur, il ne doit pas s'être prévalu d'une autre nationalité. Dans les années
70 et 80, Ouattara a effectué son service militaire en Haute-Volta
(aujourd'hui, le Burkina Faso) et représenté ce pays au sein du FMI. Au lieu de
proposer par voie référendaire la réforme de cet article 35 contesté, il a
choisi de faire avaliser sa candidature par un conseil constitutionnel
totalement à ses ordres. Hollande est muet sur le sujet ivoirien.
Au Cameroun, le président français, qui voyage peu en
Afrique, a rendu visite à Paul Biya, le doyen, qui fêtera en novembre ses 43
ans de présidence et n'a pas exprimé l'intention de ne pas briguer un autre
mandat. Il aura alors 85 ans. Hollande, jeune conseiller élyséen, avait
effectué un séjour camerounais dans les années 80.
La guerre menée au Mali par l'armée française loin d'être
gagnée
On le voit, la défense des droits de l'homme et des
principes démocratiques prônée par Hollande au début de son mandat n'est plus
qu'un vague souvenir. Comme Mitterrand, son prédécesseur socialiste, il s'est
converti aux contingences de la realpolitik, et est guidé par la seule défense
des intérêts français qui restent nombreux en Afrique. Avec le souci, sur un
continent où le remède est parfois pire que le mal, de ne pas ouvrir de
nouveaux fronts. « La guerre contre le terrorisme » menée au Mali par
l'armée française est loin d'être gagnée. La Libye est livrée aux milices
islamistes, dont celles de Daesh. Au Burkina, la présidentielle qui livrera le
nom du successeur de Compaoré, aujourd'hui en exil chez son « frère »
Ouattara, s'annonce explosive comme celle de Côte d'Ivoire. D'où la
nécessité d'avancer avec précaution.
Service minimum
Cette politique élyséenne est illustrée par le cas gabonais.
Dans ce pays, Ali Bongo, le fils adoptif d'Omar, au pouvoir pendant 41 ans,
brigue un nouveau mandat de six ans. Il est contesté par une partie de son
opposition en raison de son origine « étrangère » bien que l'adoption
lui donne une filiation de plein droit. Et le Gabon subit une forte récession
due à l'effondrement des cours de l'or noir. Il y a là tous les ingrédients
d'une possible explosion. Il y a quelques mois, l'Elysée avait, dans une note
confidentielle publiée par Mondafrique, conditionné son soutien à une nouvelle
candidature d'Ali Bongo à l'ouverture de son gouvernement à son opposition et
au départ de son très controversé directeur de cabinet et bras droit, Maixent
Accrombessi.
Les choses ont pris du temps mais les vœux de Hollande sont
en passe d'être exhaussés. Quelques figures de l'opposition gabonaise sont
entrées au gouvernement ce vendredi et Accrombessi va prendre la porte de
sortie, dès qu'un point de chute lui sera trouvé. Ça tombe bien. Ali Bongo sera
reçu ce lundi à Paris par Hollande. Dix minutes de tête à tête et vingt minutes
avec l'ensemble de la délégation gabonaise. C'est plutôt service minimum. On
est loin des effusions auxquelles se livrait Jacques Chirac avec ses homologues
africains.
Manuel Valls sera chargé du service après-vente en
effectuant cet automne une visite à Libreville avec une délégation de patrons
français. Pour y rétablir des liens de confiance économiques, bien malmenés par
Accrombessi, plutôt tourné vers des pays asiatiques comme la Malaisie. Le futur
ex-dircab est toujours dans le collimateur de la brigade financière qui enquête
sur une affaire de blanchiment. Il aurait touché une rétro commission, via un
homme d'affaire malien, Seydou Kane, dans un contrat passé avec la société
française Marck, spécialisée dans la confection d'uniformes militaires. On cite
également son nom dans le dossier de l'acquisition par Libreville d'un
patrouilleur, « La Tapageuse ». Accrombessi, qui effectue
d'incessants voyages entre la capitale gabonaise et Paris, avait été arrêté le
3 août à Roissy et relâché quelques heures plus tard. Manifestement, Ali Bongo
n'avait pas bien compris le message élyséen. Cette fois, il l'a reçu cinq sur
cinq.
Philippe Duval
(*)
- Titre original : « En Afrique, Hollande marche désormais sur des
œufs. »
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Source : Mondafrique
12 Sept 2015
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