PREMIÈRE PARTIE
« Cette Ambassade
après les drames de l’élu
Et les soirs scintillants des bords de la lagune.
C’est fini… »
Et les soirs scintillants des bords de la lagune.
C’est fini… »
Jacques
Raphaël-Leygues
Une
fois le livre de Gildas Le Lidec refermé, trois questions m’ont poursuivi
longtemps :
Qu’est-ce donc qu’un ambassadeur de France en Côte
d’Ivoire ?
A quoi sert l’ambassade de France en Côte d’Ivoire ?
Et d’abord, s’agit-il vraiment, et seulement, d’une
ambassade ?
Je n’ai certes pas la prétention de
connaître toutes les réponses. Qui le pourrait d’ailleurs, lorsqu’il s’agit
pour la France d’une chasse aussi bien gardée que la Côte d’Ivoire !
Sur
leur site officiel se trouve une rubrique intitulée : « Missions
et organisation d'une ambassade ». Cependant, à mon humble avis, qui veut
savoir ce qu’est réellement cette ambassade-ci, mieux vaut qu’il interroge son
histoire, telle du moins que tout un chacun qui a un certain âge peut la
déduire de ses souvenirs. D’après mes propres souvenirs donc, les ambassadeurs de France
en Côte d’Ivoire sont de deux sortes : ceux qui peuvent y réussir, et ceux
qui n’en seront jamais capables. Les premiers y durent longtemps, parfois
plusieurs lustres ; les autres ne font qu’y passer, et certains même n’y
ont guère laissé de traces.
Soit
dit en passant, leur sort à cet égard rappelle assez celui de nos anciens
gouverneurs ou haut-commissaires du temps des « colonies de papa ».
Ceux qui savaient se faire aimer des coloniaux – et, par conséquent, du
ministre des Colonies devenu sur le tard ministre de la France d’Outre-mer – y
duraient toujours et, ainsi, avaient tout le temps d’y faire fortune ; les
autres n’y restaient que le temps réglementaire, quand ils n’en étaient pas
chassés purement et simplement, parfois à peine débarqués, comme cela arriva au
moins une fois au lendemain de la deuxième guerre mondiale, pendant cette
période cruciale où le destin de notre patrie s’est noué de la manière tragique
que nous savons. Les coloniaux et leurs amis politiques à Paris ne voulaient
chez nous comme gouverneurs que des hommes totalement dévoués à leurs intérêts,
et ils finissaient toujours par obtenir ce qu’ils voulaient. Il y eut aussi
bien sûr des exceptions, comme pour confirmer cette règle…
Le
premier représentant de la France à porter le titre d’ambassadeur s’appelait
Léon BRASSEUR. Vous ne savez pas qui c’est ? Normal, il appartient à notre
deuxième catégorie : commencée le 17 mai 1961, sa mission s’acheva en
janvier 1963…
Janvier
1963 ! Le mois des « faux complots »…
Tiens,
tiens, la fin brutale de l’aventure ivoirienne de l’ambassadeur Léon Brasseur
aurait-elle eu quelque chose à voir avec cette affaire-là ? Eh bien, je
n’en sais fichtre rien mais, sachant quel fut son successeur, je suis fort
tenté de répondre que « oui » ! Reste seulement à savoir si
c’est lui-même qui, dégoûté par ce qu’il voyait faire, demanda à partir, ou
s’il fut poussé dehors par Foccart et ses sbires parce qu’il n’aura pas voulu
se déshonorer comme diplomate et comme homme en participant à leurs crimes ou
en les regardant faire sans rien dire.
Jacques
RAPHAËL-LEYGUES – c’est le nom de ce deuxième ambassadeur de France en Côte
d’Ivoire – n’était pas à proprement parler un diplomate de carrière comme son
prédécesseur, mais un militaire (commissaire de la Marine nationale) et un
homme politique (conseiller de l’Union française, maire de Villeneuve-sur-Lot,
conseiller général, député du Lot et Garonne), accessoirement aussi un poète et
un écrivain distingué par l’Académie française. Au moment de sa nomination, en
février 1963, il venait de perdre, de peu, son siège de député lors des
législatives de 1962. « Commence
alors, lit-on dans une note biographique sur le site de l’Assemblée
nationale française, une longue carrière
diplomatique qui, fait exceptionnel, le conduit à demeurer en poste à Abidjan
pendant seize ans, jusqu’à ce qu’il soit atteint par la limite d’âge en janvier
1979. Il œuvre, avec la pleine confiance du président Félix Houphouët-Boigny
(et très probablement celle encore plus pleine de Jacques Foccart. NDLR), au
maintien des relations privilégiées entre la France et son ancienne colonie qui
devient un des axes majeurs de la nouvelle politique de coopération
franco-africaine. »
En
fait, plus qu’ambassadeur, Raphaël-Leygues était un vrai gauleiter comme ceux
qu’Hitler envoyait dans les pays conquis pour les administrer en lieu et place
de leur gouvernement légitime. Aussi se mêlait-il de tout, jusqu’à vouloir
décider, par exemple, de qui pouvait être ou non assistant à la toute nouvelle
université d’Abidjan. C’est ainsi que, d’après une source digne de foi, il se
serait opposé longtemps à l’intégration de Harris Mémel-Fotê dans le corps
enseignant de cette université.
S’il
n’arriva à Abidjan qu’un mois après le commencement du premier épisode de
l’affaire des « faux complots », J. Raphaël-Leygues fut un témoin
privilégié et peut-être même un protagoniste zélé des suivants. Ainsi, le 13
avril 1964, il siégeait à la place d’honneur, si je puis dire, lors de la
conférence publique à grand spectacle au cours de laquelle Houphouët se
répandit en propos mensongers sur le prétendu suicide d’Ernest Boka. Peut-être
assista-t-il aussi à la confession publique de quelques « conspirateurs repentants
» qui eut lieu le 11 janvier 1965 au Boxing Club d’Abidjan. Tous événements
qui, d’après certains propos d’Houphouët lui-même que Samba Diarra a rapportés
dans son livre[1],
découlaient de la fameuse « politique africaine de la France », dont
l’invention date justement de cette époque-là.
Le
tunnel entre la résidence d’Houphouët et celle de l’ambassadeur de France, que
Laurent Gbagbo fit obstruer au grand dam de Dominique de Villepin, date
probablement de l’époque de Raphaël-Leygues ; comme l’installation, à la
demande expresse d’Houphouët aux dires de Pierre Messmer, d’une unité de
parachutistes dans le parc de la résidence de France, pour compléter ce
dispositif[2].
Durant
cette même période encore, où, en liaison et en parfait accord avec sa tutelle
élyséenne – au demeurant fort bien représentée à Abidjan par le très
entreprenant Jean Mauricheau-Beaupré[3]
–, l’« ambassadeur » Raphaël-Leygues régnait en maître sur nos
affaires intérieures, le nom de la Côte d’Ivoire fut mêlé à plusieurs
événements internationaux, tantôt de façon directe, tantôt indirectement. En
fait, beaucoup de choses étaient mises au compte du chef de l’Etat ivoirien
quand on voulait cacher que c’était la France qui agissait directement. Ainsi,
durant cette époque, Houphouët sera le masque favori de la France
gaullo-foccartienne, successivement, dans sa guerre non déclarée contre la
Fédération du Nigeria sous prétexte d’« aide humanitaire » aux
sécessionnistes du Biafra ; dans sa collusion avec les régimes racistes
d’Afrique australe, qui se prolongera, après l’indépendance de l’Angola, par le
soutien de Jonas Savimbi contre le gouvernement légitime de son pays ;
dans les menées sournoises contre la Guinée de Sékou Touré, le Mali de Modibo
Kéita ou le Ghana de Kwame Nkrumah, qui échoueront dans le premier cas, mais
réussiront dans les deux autres. En réalité, le vrai responsable de toutes ces
actions était Mauricheau-Beaupré, que Foccart avait prépositionné auprès
d’Houphouët cette même année 1963 où il nommait Raphaël-Leygues ambassadeur à
Abidjan. Mauricheau-Beaupré, alias « Monsieur Jean », qui
se trouvait « par pur hasard » à Accra le jour où Kwame Nkrumah fut
renversé, et qui, on le verra, dura encore plus longtemps dans cette place que
cet « ambassadeur »-là, puisque nous le retrouverons, sous le
suivant, toujours aussi barbouzement
hyperactif, et toujours aussi à son aise dans les coulisses du palais
présidentiel comme dans celles de l’ambassade de France…[4]
Michel
DUPUCH, le successeur immédiat de Raphaël-Leygues, dura presqu’autant que lui
(13 ans), et il eut la même manie de s’ingérer dans les moindres affaires
intérieures ivoiriennes. Un de mes anciens condisciples, qui était député, eut
un jour la surprise, vers 1980, d’être convoqué par cet ambassadeur, qui
d’emblée lui reprocha certains propos qu’il avait tenus devant ses mandants.
Mon camarade ne se démonta pas. Il répondit à son excellence que, comme citoyen
ivoirien et comme élu de la nation, il ne croyait pas qu’il eût des comptes à
lui rendre. Il paraît que l’entrevue s’acheva sur cette réplique… Je ne dirai
pas qu’après cela Dupuch ne continua pas à convoquer hauts fonctionnaires, élus
ou ministres pour les enguirlander tout à son aise. Mais l’anecdote prouve que
cet ambassadeur au moins était parfaitement conscient que ses ingérences
relevaient plus de la piraterie que de la saine diplomatie, et qu’il savait
jusqu’où il pouvait aller trop loin.
Vers
la fin de son ambassade, Michel Dupuch soutenait ouvertement la rébellion de
Charles Taylor et n’hésitait pas à se rendre en personne dans les territoires
contrôlés par son protégé. « L’une
des principales relations de Taylor à Abidjan, écrit Stephen Ellis, était un homme d’affaires français, Robert
de Saint-Pai, qui
avait vécu à Monrovia avant la guerre (civile) et qui était lié d’amitié avec
des hommes d’affaires et des politiciens ivoiriens du premier plan. Saint-Pai
avait aussi ses entrées auprès de l’ambassadeur de France à Abidjan, Michel
Dupuch, lequel visita Gbarnga et Buchanan, et développa des liens très étroits
avec Taylor. »[5]
On a raconté et on continue de raconter toutes
sortes de faussetés à propos de cette affaire libérienne. Tantôt, ce sont les
prétentions hégémoniques de Mouammar Kadhafi qui expliqueraient le soulèvement
de Taylor. Tantôt, c’est le désir d’Houphouët de venger une de ses filleules,
dont le mari avait été assassiné par le sergent putschiste Samuel Doe, qui
serait à l’origine de cette guerre civile ; mais, on ne sait pourquoi,
Houphouët aurait en quelque sorte délégué son rôle de justicier à l’époux d’une
autre de ses filleules, Blaise Compaoré, devenu le président du Burkina Faso
trois ans plus tôt après l’assassinat de Thomas Sankara, qu’il aurait planifié
et réalisé avec la bénédiction d’Houphouët et de Kadhafi, et l’assistance
technique de rebelles libériens qui se trouvaient par hasard à Ouagadougou ce
jour-là. Le but de tous ces racontars, c’est évidemment de dissimuler le rôle
éminent – et, d’ailleurs, notoire – que l’agent français Mauricheau-Beaupré a
joué dans la préparation et dans le lancement de cette prétendue rébellion, à
partir d’Abidjan où il était officiellement, depuis 1963, l’un des
« conseillers » d’Houphouët[6].
C’est le lieu de rappeler deux ou trois mesures
bizarroïdes du « gouvernement ivoirien », prises en prélude ou au
tout début de la guerre civile libérienne. L’une des plus inexplicables fut la
confiscation des fusils de chasse dans tout le Grand Ouest, qui allait devenir
la base arrière des hordes de Taylor. Une autre de ces mesures, tout aussi
inexplicable, ce fut le refus d’Houphouët de permettre que les réfugiés
libériens fuyant la guerre dans leur pays fussent rassemblés dans des camps par
le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), comme cela se
fait partout ailleurs. La première conséquence de cette attitude fut que Taylor
disposera en plein territoire ivoirien d’un vrai petit Liberia-bis, à la fois
base logistique et vivier pour y recruter des combattants, tandis que les
autochtones ivoiriens, désarmés et exposés à toutes sortes d’avanies, y deviendront
les véritables réfugiés ; mais des réfugiés qui ne pourront compter ni sur
les subsides ni sur la protection de l’Onu[7].
Encore plus curieux, dès l’automne 1990, plusieurs diplomates libériens en
poste à Abidjan sont arrêtés, ainsi que des employés ivoiriens de cette
ambassade et, même, un commissaire de police ivoirien accusé de complicité avec
ces Libériens[8].
Voilà pour les faits avérés. Il faut maintenant
évoquer certaines rumeurs dont l’éclosion ne peut pas être due qu’au hasard, et
qui ne manquent donc pas d’intérêt. La première concerne les circonstances du
décès du vieux général Thomas d’Aquin Ouattara, ancien chef d’état-major des
forces armées de la Côte d’Ivoire (FANCI). Ce décès serait survenu dans ce même
secteur de Danané où Charles Taylor établissait la base arrière de sa
rébellion, et il serait lié au fait que le vieux général s’y opposait. La
deuxième rumeur n’en est pas vraiment une, stricto sensu, puisqu’elle a pour
source le récit d’une personnalité ivoirienne digne de foi, qui assurait la
tenir de chefs de la rébellion qui étaient ses amis. Je la nomme rumeur pour la
seule raison que l’importante conséquence que j’en ai tirée n’est qu’une
hypothèse, quelque plausible qu’elle puisse vous paraître, chers amis lecteurs.
Au moment où commence la guerre civile libérienne, fin 1989, Robert Guéi, qui
n’était pas encore général ni chef d’état-major, se trouvait à Korhogo comme
chef de cette région militaire. Constatant des mouvements suspects entre la
frontière du Burkina Faso et celle du libérienne à travers son territoire, il
voulut y mettre le holà en procédant à quelques arrestations. Mais il reçut
bientôt l’ordre de fermer les yeux[9] ;
ce qu’il dut faire en bon soldat et à la grande satisfaction des intéressés
dont apparemment il devint dès lors la coqueluche, et qui le récompensèrent par
une promotion extraordinaire dès que l’occasion s’en présenta. Le 16 mai 1990
éclatait la toute première mutinerie de l’histoire militaire de la Côte
d’Ivoire. Des recrues tout près de la quille et qui désiraient rester dans
l’armée, s’étaient répandues dans les rues d’Abidjan, jusqu’à s’emparer de
l’aéroport international, afin d’attirer l’attention du chef de l’Etat sur
cette revendication. Houphouët les reçut et leur accorda ce qu’ils voulaient.
En revanche, il profita de l’occasion pour renouveler de fond en comble
l’état-major général des FANCI. C’est ainsi que le colonel Robert Guéi, naguère
limogé de son commandement des sapeurs-pompiers militaires pour faute grave, et
muté à Korhogo par mesure disciplinaire, parce que son épouse, candidate à une
élection, avait utilisé des véhicules de son service pour faire campagne,
devint le nouveau chef d’état-major, et remplaça bientôt ses galons de colonel
par les deux étoiles de général de brigade[10].
La suite, ce sera la création, avec l’aide du sulfureux général français
Jeannou Lacaze, de la fameuse Force d’intervention rapide para-commando
(FIRPAC), dont l’efficacité sera testée pour la première fois durant la nuit du
18 au 19 mai 1991, lors d’un assaut purement gratuit mais terriblement brutal
contre le campus de Yopougon… pour lequel Houphouët refusa de sanctionner le
tout nouveau général Guéi, …pour ne pas « diviser son armée ».
Bref, en considérant l’ensemble des faits avérés de
cette époque particulièrement glauque et leurs séquelles, ainsi que les bruits
plus ou moins dignes de foi qui les accompagnaient, il est très probable que la
rébellion de Charles Taylor, allumée à partir de la Côte d’Ivoire et alimentée
en armes par la France, ne fut qu’un contre-feu destiné à prévenir les risques
réels de résurgence du mouvement anticolonialiste ivoirien, ce cauchemar du
colonat local et de ses suppôts parisiens, qui se précisaient à mesure
qu’approchait le moment pour Houphouët de quitter la scène, mort ou vif.
Sinon, comment expliquer que l’ambassadeur de
France en Côte d’Ivoire ait pu marquer tant d’intérêt pour la rébellion de
Charles Taylor, s’il ne s’était agi que des songes mégalomaniaques de Kadhafi,
ou que d’une simple histoire de talion entre Houphouët et Samuel Doe ?
(A suivre)
Marcel Amondji
[1] - Les
faux complots d’Houphouët-Boigny, Karthala, Paris, 1997.
[2] - Voir P. Messmer, Les blancs s’en vont. Récits de
décolonisation (Albin Michel, 1998 ; p. 253) : « Les moyens militaires français mis en place à Abidjan,
après l'indépendance, à la demande de Félix Houphouët, répondaient aux menaces
possibles contre sa personne. Une garnison d'un petit bataillon fut installée à
proximité de l'aérodrome de Port-Bouët, à la fois aéroport civil et base de transport aérien
militaire. Pour se garantir contre un coup de main qu'il a toujours craint,
Félix Houphouët m'avait demandé en 1973, quand j'étais Premier ministre, de lui
assurer une protection rapprochée, à son domicile. (…). Il s'était fait
construire dans le nouveau quartier résidentiel de Cocody une villa dont le
jardin n'était séparé que par une légère clôture de la résidence de notre
ambassadeur. J'avais donc fait installer, dans le parc de l'ambassade, un
détachement d'une quinzaine de parachutistes, toujours en alerte et devant
répondre sans délai à l'appel d'une sonnerie d'alarme commandée par Félix
Houphouët lui-même. Après mon départ de Matignon, les ambassadeurs ont demandé
plusieurs fois à Paris la suppression de ce détachement relevé tous les trois
mois, dont la présence permanente les gênait. Jusqu'à sa mort, Félix Houphouët
s'y est opposé et a obtenu satisfaction, en intervenant directement auprès des
présidents de la République. » (P. Messmer, Les
Blancs s'en vont. Récits de décolonisation, Albin Michel, 1998 ; p. 253).
[3] - Voici en quels termes la presse évoqua
le personnage et sa carrière, fin 1996, à l’occasion de son décès survenu à la
suite d’une très courte maladie : « Grand résistant, ancien membre du BCRA (Services secrets
gaullistes pendant la guerre), Jean Mauricheau-Beaupré, alias
"Monsieur Jean", qui
menait des actions clandestines à Marseille dans les années 40 avec Pierre Lefranc, Alain Griotteray, Jacques
Baumel... est décédé la semaine dernière à Abidjan d'une crise
aiguë de paludisme. Il a été enterré samedi dernier en France. Cet homme de
l'ombre, fanatique du secret, a vécu après la guerre une partie de sa vie
auprès du président Houphouët-Boigny, dans les coulisses du Palais. Fils du
conservateur du Musée de Versailles, Jean Mauricheau-Beaupré passera d'abord ses années de jeunesse
dans les allées du château à jouer au cerceau avec des nounous anglaises. Il
deviendra ainsi plus tard un grand spécialiste des pays de l'Afrique
anglophone, cherchant sans relâche à y planter le drapeau tricolore. S'il fut
le deus ex machina de l'évasion
de l'abbé Fulbert Youlou au
Congo en 1963, "Monsieur Jean" est par la suite plus connu comme le
grand animateur, à partir d'Abidjan et de Libreville, de la rébellion du
Nigeria avec les "Corsaires de la République" de Bob Denard pour le
Service action "privé". Très proche à cette époque de Jacques Foccart, Jean Mauricheau-Beaupré mènera plus tard ses propres
opérations, en particulier, ces dernières années, au Libéria. Il soutiendra
activement le francophile Charles Taylor (NPFL). » (La
Lettre du Continent 5/12/1996)
[4] - « La tactique de Mauricheau est simple : (…), il prône la
consolidation des régimes "amis de la France" par la sécurisation
physique de leurs représentants. Il recommande également la mise en place d’une
diplomatie ivoirienne (et donc implicitement française) fondée sur une analyse
pragmatique de la situation continentale. Ainsi décide-t-il d’appuyer beaucoup
de ses actions depuis l’Afrique du Sud (tant pour des considérations
économiques que stratégiques) dès les années 1960, trouvant sur ce terrain
encore l’oreille bienveillante d’Houphouët-Boigny. » (Jean-Pierre Bat et Pascal Geneste, Jean Mauricheau-Beaupré : de Fontaine à Mathurin, jmb au
service du Général, Relations internationales 2010/2 (n° 142).
[5] - Stephen Ellis, The
Mask of Anarchy. The Destruction of
Liberia and The Religious Dimensions… (P. 93). Selon une autre
source, la France fournissait des armes au NPFL de Charles Taylor via le
Burkina Faso, en échange de bois. (Carolina Ortiz Lledo, La Desintegracion de Liberia, Informe del Centro de Investigation para la
Paz (CIP), Madrid, 1996).
[6] - En 1963, après la chute
de Fulbert Youlou, président du Congo (Brazzaville), J. Mauricheau-Beaupré « est aussitôt replié sur Abidjan,
véritable centre névralgique du RDA en Afrique, et reprend des fonctions de
conseiller technique, détaché auprès du président Houphouët-Boigny, toujours au
titre de la Coopération. La Côte d’Ivoire devient peu à peu sa nouvelle
patrie : son contrat de coopérant achevé, Houphouët-Boigny le conserve à
ses côtés comme conseiller ivoirien jusqu’à sa mort. Bien loin des directives
du ministère de la Coopération, Mauricheau commence à élargir
les ambitions de la politique africaine qu’il pense servir depuis Abidjan.
Le pseudonyme que donne « JMB » à Houphouët-Boigny est hautement
révélateur du rang qu’il lui attribue sur le continent africain : le président
ivoirien est « Big Brother », le grand frère de tous les chefs d’État
francophones. » (Jean-Pierre Bat et Pascal Geneste, opus cité).
[7] - A
ce propos, voir l’interview de Robert Sonhou, député Pdci de Toulépleu, dans Fraternité Matin du 3 juillet 1996) : « (…)
depuis le début de cette guerre du Libéria, l'administration a... dépossédé
tous les habitants des villages frontaliers de leurs fusils de chasse de
calibre 12. Cela en vue de prévenir un quelconque affrontement ou une
éventuelle guérilla qui ne dira certainement pas son nom. Les cadres
souhaiteraient simplement que les fusils soient restitues à leurs propriétaires
non pas pour aller en guerre contre le Libéria, mais pour accompagner leurs
femmes aux champs et donner l'alerte en tirant des coups de feu si d'aventure
ils étaient en danger. Cette alerte pourrait permettre aux forces de l'ordre de
prendre leurs dispositions en vue de contrer l'ennemi et éviter ainsi d'être
prises en défaut comme ce fut le cas le 7 juin dernier. »
[8] - « Ce
sont au moins 35 ressortissants libériens proches du président défunt Samuel
Doe qui ont été "interpellés"
à la mi-octobre par des forces de sécurité ivoiriennes à Abidjan. Selon l'Agence France-Presse qui donne
l'information, ils ont été conduits dans un camp militaire pour... "interrogatoire". Parmi les
personnes "interpellées",
figurent le premier et le deuxième secrétaire de l'ambassade du Libéria à
Abidjan. (…). Par ailleurs, des réfugiés libériens ont raconté à l'AFP que des
membres des forces de sécurité, en uniforme et en civil, avaient procédé à des
interpellations dans les quartiers de Yopougon, Cocody, Marcory et Koumassi. Pour
sûr, à peu près 90% des personnes interpellées
appartiennent à l'ethnie krahn, celle de l'ancien président (sic) Samuel
Doe. » (Voix
d’Afrique N°14, novembre 1990 ; p. 6)
[9] - Ce bruit semble corroboré par
l’information suivante : « Début
juillet, un convoi d'armes a été intercepté par les autorités ivoiriennes. Une
affaire d'autant plus embarrassante que tout le monde sait que ce n'est pas le
premier. Finalement, les complices ivoiriens ont été mollement sanctionnés et
les armes discrètement remises aux rebelles libériens... "Nous nous
opposons à rien pour préserver la paix civile chez nous", a expliqué un
proche du président Houphouët-Boigny ». (La Lettre du Continent N° 123, 6 septembre 1990).
[10]
- Voir J. Gnahet et O. Fofana, « Comment Robert Guéi a été bombardé », Téré N°18 du 5-11 août 1991.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire