lundi 13 juillet 2015

Peuple français, ta liberté ne sera complète que si tu respectes et renforces la liberté des Africains !

Un épisode de la Révolution française :
la répression de la révolte des esclaves de Saint-Domingue.
En fêtant le 14 juillet, les Français se souviendront certainement que la Bastille Saint-Antoine, forteresse construite à l’emplacement de l’actuelle place de la Bastille, fut prise d’assaut le 14 juillet 1789 par le peuple parisien venu chercher de la poudre après avoir récupéré des armes aux Invalides parce que la Bastille était le symbole de l’arbitraire ; parce que les révolutionnaires français (Mirabeau, Jean Sylvain Bailly, Camille Desmoulins, Robespierre, Saint-Just, Sieyès et autres) ne voulaient plus que le roi y fasse incarcérer n’importe quel opposant ; parce qu’ils étaient désireux d’en finir avec la toute-puissance du roi ; parce qu’ils n’acceptaient plus que la taille de leur béret soit mesurée en pouces du roi (1 pouce = 2,7 cm) ; parce qu’ils étaient contre les privilèges, droits féodaux et inégalités fiscales ; parce que la notion de liberté leur était chère. La légitime célébration de cette liberté, chèrement conquise, ne devrait cependant pas faire oublier au peuple français le mot d’un autre grand combattant de la liberté : « Être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres »[1]. Je ne demande pas au peuple français de mener à notre place le combat pour la liberté ni de verser son sang pour nous, car c’est aux Africains et uniquement à eux que revient la tâche de chasser leurs dictateurs, de prendre d’assaut leurs Bastilles, de se battre pour le remplacement du franc CFA par une ou des monnaies africaines, de forcer leurs dirigeants à construire chez eux des écoles, routes et hôpitaux dignes de ce nom, au lieu de courir en Occident pour un « oui » ou un « non ». Cette tâche n’a jamais été facile ; son coût humain est énorme. C’est la raison pour laquelle Henry Montherlant estime que la liberté existe toujours pour quiconque accepte d’en payer le prix.
Je n’attends pas du peuple français qu’il paie le prix de notre liberté. À ceux et celles qui votent et paient les impôts en France, je ne demande que 4 choses :
1) Qu’ils s’informent mieux sur ce que font leurs dirigeants et entreprises (Bouygues, Bolloré, Areva, Total, Orange, EDF, etc.) dans les ex-colonies françaises.
2) Qu’ils prennent leurs informations par d’autres canaux que par les médias français corrompus et inféodés au gouvernement et aux grands groupes français. Par exemple, s’ils lisent « L’horreur économique » de Viviane Forrester[2], ils apprendront que de plus en plus d’Africains ne reculent devant aucun risque pour immigrer en France, parce que celle-ci a tout pris chez eux. Certains citoyens français militent aujourd’hui pour la fermeture des frontières de leur pays car, expliquent-ils, celui-ci « ne peut accueillir toute la misère du monde », ce qui est vrai et compréhensible ; mais, si les Africains éprouvent l’envie d’aller vivre ailleurs, c’est parce qu’ils ne profitent pas de leurs richesses et parce que leurs pays n’ont rien d’autre à leur proposer que le chômage.
3) Qu’ils ne laissent plus leurs dirigeants, de droite comme de gauche, s’ingérer dans nos affaires ; qu’ils n’acceptent plus le grossier mensonge selon lequel leurs autorités interviennent en Afrique pour rétablir la démocratie ou pour empêcher les Nègres de s’entretuer ; qu’ils ne se laissent plus tromper par des individus dont la vraie mission en Afrique est de faire main basse sur les richesses des Africains sans aucune contrepartie, de soutenir des tyrans qui, en plus d’exceller dans le détournement et le transfert des fonds publics dans les banques françaises, sont prêts à réprimer les journaux, marches et meetings des opposants.
4) Après avoir eu la bonne information, qu’ils interpellent leurs dirigeants en marchant, en signant des pétitions et/ou en saisissant leurs parlementaires.
Pour moi, c’est le minimum qui puisse être fait par des personnes fières de la prise de la Bastille par leurs ancêtres, en 1789. Une prise dont on rappellera qu’elle eut lieu parce que les révolutionnaires français ne supportaient plus l’omnipotence du roi et les avantages dont ne bénéficiait qu’une infime partie du peuple. Les Français ne peuvent célébrer le 14 juillet et continuer à rester indifférents au viol des mineurs africains par l’armée française (comme en Centrafrique et au Burkina Faso), aux crimes de cette armée sur le continent (les jeunes Ivoiriens massacrés par Licorne en 2004 et en 2011 alors qu’ils étaient désarmés et ne faisaient que défendre les institutions de leur pays), au fait que, entre 1960 et 2015, les dirigeants et les entreprises de leur pays n’ont fait qu’écraser, piller et terroriser l’Afrique francophone qui aspire, comme les autres continents, à la justice, à la liberté et à la paix. Il est temps qu’ils comprennent que la liberté d’un peuple n’a de sens et n’est complète que si ce peuple se comporte d’une manière qui ne nuise pas à la liberté des autres. Ils doivent surtout savoir que si, après avoir pris connaissance des faits et méfaits de la Françafrique, ils ne font rien pour le démantèlement de cette mafia qui s’est révélée, année après année, plus dangereuse que le sida, les Africains seront en droit de les accuser de complicité avec les ennemis de la liberté.
Les hommes politiques français aiment dire que la France est l’amie de l’Afrique. Ce que les hommes politiques et entreprises ont fait jusqu’ici en Afrique (coups d’État, soutien à des rébellions armées, pillage des ressources naturelles, immoraux accords de coopération, etc.) ne me semble pas relever de l’amitié mais d’un vrai banditisme, car personne ne traite son ami de la sorte. Un ami, on se garde de le mépriser, de l’exploiter et de l’agresser. « La France est l’amie de l’Afrique » ne sont que des mots creux, parce qu’ils jurent avec le comportement de ceux qui les prononcent. En d’autres termes, la droite et la gauche françaises doivent arrêter de se gargariser de mots et de slogans destinés à endormir ceux qui les écoutent. Qu’elles commencent par respecter les Africains, ce qui signifie prendre au sérieux leurs Constitutions et leurs institutions ; ne pas décider ou parler à leur place à l’ONU et ailleurs ; laisser leur justice juger tout Français qui enfreint la loi en Afrique ; reconnaître les crimes commis par l’armée française en Afrique ; etc. Si les contribuables et électeurs français réussissent à faire comprendre cela à leurs élus, ils auront à la fois sauvé la relation entre la France et ses ex-colonies, et prouvé qu’ils sont les dignes fils et filles de ceux qui eurent, le 14 juillet 1789, le mérite, l’immense mérite, de s’emparer de la Bastille. 

Jean-Claude Djéréké[3] 

 
Source : Connectionivoirienne.net 9 juillet 2015

[1] - Cf. Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, Fayard (Poche), Paris, 2013.
[2] - Fayard, Paris, 1996.
[3] - Dernière publication : Abattre la Françafrique ou périr. Le dilemme de l’Afrique francophone, L’Harmattan, Paris, 2014

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire