vendredi 3 juillet 2015

« …ET C’EST NOTRE DEVOIR A L’EGARD DE L’HISTOIRE ».

Allocution télévisée prononcée à Athènes le 1er juillet 2015 par le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, en prévision du référendum du dimanche 5 juillet[1].

Grecques, Grecs,
Nous nous trouvons aujourd'hui à un tournant de notre histoire, à un moment crucial pour l’avenir de notre pays.
Dimanche, ce n’est pas entre le maintien de notre pays dans l’euro et la sortie de la monnaie unique que nous serons appelés à choisir ― l’appartenance de la Grèce à la zone euro ne peut être contestée par personne ― mais entre l’acceptation de l’accord proposé par les Institutions et la revendication d’une solution viable ― une revendication d'autant plus forte qu'elle se sera exprimée dans les urnes.
Le peuple grec doit savoir que le gouvernement a la ferme intention de parvenir à un accord viable, porteur de perspectives.
Dès l’annonce de la tenue du référendum, nous avons de fait reçu de meilleures propositions sur la dette et sa nécessaire restructuration que celles que nous avions en mains jusqu’à vendredi. Ces propositions ne sont pas restées lettre morte. Nous avons sans délai adressé aux Institutions nos contre-propositions, guidées par la recherche d'une solution durable ; c’est pour en discuter que s’est tenue hier une réunion extraordinaire de l’Eurogroupe qui reprendra cet après-midi. Si cette réunion aboutit à un résultat positif, nous ne nous défausserons pas, nous y répondrons sans attendre. Le gouvernement grec demeure en tout état de cause à la table des négociations et y restera jusqu’au bout. Ce gouvernement sera là, lundi, et sortira renforcé de la consultation populaire. Car le verdict du peuple a toujours plus de force que la volonté d’un gouvernement.
Je veux redire que le choix démocratique est au cœur des traditions européennes.
Les peuples européens ont eu recours au référendum à plusieurs moments-clé de leur histoire. Cela a été le cas de la France, notamment, lors du référendum sur la Constitution européenne. Cela a eu lieu en Irlande : le référendum a permis de suspendre l’application du Traité de Lisbonne et a conduit à une renégociation à la faveur de laquelle des termes plus favorables ont été obtenus.
Malheureusement, dans le cas de la Grèce, d’autres poids et d’autres mesures ont été appliqués.
Jamais je n’aurais imaginé que l’Europe démocratique refuserait à un peuple le temps et l’espace que ce peuple demandait pour pouvoir décider souverainement de son avenir.
Le leadership exercé par des cercles conservateurs extrêmes a conduit à la décision d’asphyxier les banques grecques, dans un but évident : déplacer le chantage, le faire porter non plus seulement [sur] le gouvernement mais aussi, désormais, sur chacun des citoyens de ce pays.
Dans une Europe se réclamant de la solidarité et du respect mutuel, il est inacceptable que les banques soient fermées pour la seule et unique raison qu'un gouvernement a décidé de donner la parole au peuple.
Il est inacceptable que des milliers de personnes âgées ― dont les pensions, malgré l’asphyxie financière, ont cependant pu être versées ― se retrouvent ainsi dans la tourmente.
À ces milliers de citoyens, nous devons une explication.
C’est pour protéger vos retraites que nous nous battons depuis des mois, pour défendre votre droit à une retraite digne de ce nom et non à un vulgaire pourboire.
Les propositions que nous avons été sommés de signer auraient entraîné une réduction drastique de vos pensions. C’est la raison pour laquelle nous les avons rejetées et c’est pour cela que nous nous trouvons aujourd’hui en butte à des mesures de rétorsion.
Le gouvernement grec a été confronté à un ultimatum, sommé de mettre en œuvre à l'identique les politiques d'austérité et d'adopter l’ensemble des dispositions du mémorandum en attente d’application, sans le moindre volet concernant la dette et le financement.
Cet ultimatum a été rejeté.
Le moyen le plus évident de sortir de cette voie sans issue était d’en appeler au peuple, car la démocratie ne connaît pas d’impasses.
Et c’est ce que nous faisons aujourd’hui.
Je sais parfaitement qu’en ce moment même les sirènes hurlent à la catastrophe.
Elles vous soumettent au chantage et vous appellent à voter «oui» à toutes les mesures demandées par les créanciers ― des mesures qui ne sont accompagnées d’aucune perspective de sortie de la crise.
Elles vous appellent à dire à votre tour, à l’instar des députés de ces journées parlementaires de sinistre mémoire, «oui» à tout.
Elles vous appellent à vous rallier à eux et à vous faire les complices de la perpétuation des mémorandums.
Le «non», de son côté, n’est pas un simple slogan.
Le «non» est un pas décisif vers un meilleur accord, un accord que nous pourrons signer aussitôt après la consultation de dimanche.
Le «non» reflétera clairement la façon dont le peuple entend vivre dès le lendemain.
Ce «non» ne signifie pas rupture avec l’Europe mais retour à l’Europe des principes.
Voter «non», c’est faire pression en faveur d’un accord économiquement viable qui résoudra la question de la dette au lieu de la faire exploser ; qui ne sapera pas indéfiniment les efforts que nous accomplissons afin de redresser la société et l’économie grecques ; d’un accord socialement juste transférant sur les possédants les charges qui pesaient jusqu’alors sur les salariés et les retraités.
Un accord qui ramènera à brève échéance le pays sur les marchés internationaux et permettra à la Grèce de s’affranchir du contrôle et de la mise sous tutelle.
Un accord sur des réformes portant un coup définitif à l’enchevêtrement d’intérêts et à la corruption qui alimentent le système politique grec depuis des décennies.
Un accord permettant de répondre à la crise humanitaire, de créer un filet de sûreté pour tous ceux qui se trouvent aujourd’hui en marge, précisément à cause des politiques appliquées dans notre pays au cours de ces longues années de crise.
Grecques, Grecs,
J’ai pleinement conscience des difficultés présentes et je m’engage auprès de vous à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’elles ne durent pas.
Certains s’évertuent à lier le résultat de la consultation de dimanche au maintien de la Grèce dans la zone euro ; ils prétendent même que j’ai le projet secret, si le «non» l’emporte, de sortir le pays de l’Union Européenne. Mais ils mentent de propos délibéré.
Ces mensonges nous ont déjà été servis, par les mêmes, au cours de la période précédente. Ceux qui les propagent rendent aujourd’hui un bien mauvais service au peuple et à l’Europe.
Vous n’ignorez pas que je m’étais porté candidat il y a un an, lors des dernières élections européennes, à la présidence de la Commission. J’avais alors eu l’occasion de dire aux Européens qu’un terme devait être mis aux politiques d’austérité, que les mémorandums ne nous permettaient pas de sortir de la crise, que le programme mis en œuvre en Grèce avait échoué, que l’Europe devait cesser de se comporter de manière antidémocratique. Quelques mois plus tard, en janvier 2015, cette analyse a été validée par le peuple. Malheureusement, certains s’obstinent en Europe à refuser de le comprendre.
Ceux qui souhaitent une Europe arc-boutée sur des logiques autoritaires, contraires à la démocratie, ceux qui veulent que l’Europe ne soit qu'une union superficielle étayée par le FMI ne sont porteurs d'aucun véritable projet pour l’Europe : ce sont des hommes politiques velléitaires, incapables de penser en Européens.
À leurs côtés, l’establishment politique grec, après avoir mis le pays en faillite, s'emploie aujourd’hui à rejeter sur nous la responsabilité de l'échec alors que nous nous efforçons d’arrêter la marche vers la catastrophe.
Ils rêvent de revenir aux affaires comme si de rien n'était. Il y a quelques jours, croyant que nous accepterions l’ultimatum, ils demandaient publiquement la nomination d’un Premier ministre de paille qui serait chargé de l’appliquer. Ils cherchent aujourd’hui à tirer le même parti du référendum.
Ils parlent de coup d’État. Mais une consultation démocratique n’est pas un coup d’État ; le coup d’État serait la mise en place d’un gouvernement imposé.
Grecques, Grecs,
Je veux de tout cœur vous remercier de la lucidité et du sang-froid dont vous faites preuve à chaque heure de cette difficile semaine et vous assurer que cette situation ne durera pas longtemps. Elle sera de courte durée. Les salaires et les retraites ne s’évanouiront pas. Les dépôts des citoyens qui ont choisi de ne pas transférer leur argent à l’étranger ne seront pas sacrifiés aux calculs des uns et des autres, ni au chantage.
Je m’engage personnellement à trouver une solution immédiate dès la fin du referendum.
Dans le même temps, je vous appelle à soutenir cet effort de négociation ; je vous appelle à dire «non» à la poursuite de ces mémorandums qui sont en train de détruire l’Europe.
Je vous appelle à répondre par l’affirmative à la perspective d’une solution viable.
À ouvrir une page nouvelle, une page démocratique, pour un meilleur accord.
C’est la responsabilité que nous avons envers nos parents, nos enfants et nous-mêmes, et c’est notre devoir à l’égard de l’Histoire.
Je vous remercie.
Source : Le blog de Dimitris Alexakis (via la page Facebook de Rosa Moussaoui) 02 juillet 2015 


[1] - Traduction de Dimitris Alexakis

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