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décembre 1999. Parmi les invités de marque qui assistaient à la séance spéciale
de l’Assemblée nationale au cours de laquelle le président de la République de
Côte d’Ivoire, alors Henri Konan Bédié, venait de prononcer le discours qui allait
donner prétexte au putsch qui le chassa du pouvoir deux jours plus tard,
Francis Lott, l’ambassadeur de France, daigna répondre, mais sobrement et avec
modestie, à la question d’un journaliste :
« C'est un très beau discours que j'ai trouvé tout à fait intéressant, et qui a intéressé tous les parlementaires qui étaient présents. L'opinion publique ivoirienne doit, je pense, se retrouver dans ce discours. »[1]
C’était aussi à peu près le
sentiment de ses collègues d’Israël et des Pays-Bas.
« Nous avons écouté avec beaucoup
d'attention le discours du président de la République. II a donné aux Ivoiriens
un message d'espoir. Je profite de l'occasion pour souhaiter au peuple de Côte
d'Ivoire, une année de millénaire pleine d'espoir, de progrès et de
prospérité », déclara le
premier.
« C'est un discours qui trace de
nouvelles idées. Je crois qu'il est trop tôt pour le commenter maintenant. II
faut l'étudier totalement », dit
le second.
A
propos, ces trois ambassadeurs furent-ils les seuls dont on jugea utile de
recueillir l’avis ? Si oui, pourquoi eux et pas d’autres ? Mystère…Mais
passons.
Quelques
années plus tard, le général Guéi ayant à son tour perdu le pouvoir au profit
de Laurent Gbagbo, nous retrouvons Francis Lott et Bédié encore associés dans un
même événement, à savoir la sortie – annoncée par le premier comme « prochaine »
– d’un livre de son cru sur la Côte d’Ivoire…
Un journaliste : « Excellence, vous
venez de rencontrer le président Bédié. Pouvez-vous nous dire de quoi vous avez
parlé ?
Francis
Lott : Je suis venu voir le président Bédié, parce que j’écris un livre sur la
Côte d’Ivoire où j’ai passé, comme vous le savez, trois ans. Ecrivant ce livre,
j’ai souhaité le rencontrer pour bavarder avec lui de la rédaction de ce livre.
Qu’expliquez-vous dans ce livre ?
J’explique
dans ce livre ce qu’un ambassadeur de France a vécu ici entre 1998 et 2001,
lorsqu’il était en poste ici. Il s’est passé un certain nombre d’événements que
vous connaissez sans doute. Je décris ce que j’ai vécu pendant cette période.
Dans votre
livre, faites-vous mention de la période de transition qui a vu l’accession de
Laurent Gbagbo au pouvoir ?
J’ai parlé de ce livre au président Bédié et j’ai
l’intention de ne plus parler de ce livre avant qu’il soit publié. Il ne sera
pas publié avant l’élection présidentielle. »
Un mot sur le processus électoral qui est en
cours dans notre pays ?
Le
processus électoral en cours est une chose magnifique dont je me félicite.
Parce que la Côte d’Ivoire fait, en particulier avec le processus
d’identification et le processus électoral qui s’ensuit, un pas en avant pour
sortir des années de guerre civile.
Vous étiez en poste au moment où le président
Laurent Gbagbo accédait au pouvoir. Huit ans après, votre avis sur sa gestion ?
L’élection
présidentielle a eu lieu en 2010 et, plus de quatre ans après, le livre de
Francis Lott, lui, n’est toujours pas paru ! Et il ne paraîtra sans doute
jamais ! Car qu’est-ce que Son Excellence pourrait encore dire d’original
ou d’intéressant après ce qui s’est passé entre le 28 novembre 2010 et le 11
avril 2011, et qu’apparemment il n’avait pas prévu ?
Les
œuvres à jamais incomplètes de Ouezzin Coulibaly
L’ouvrage
mort-né de Francis Lott n’est pas le seul livre intéressant l’histoire
politique de la Côte d’Ivoire qui aura été, comme qui dirait, envoyé au pilon
avant même d’avoir été imprimé. Car l’histoire politique de la Côte d’Ivoire, c’est
aussi celle d’un cimetière de livres.
Cela
a même commencé dès avant l’indépendance. Après la mort de Ouezzin Coulibaly dans
un hôpital parisien juste avant le référendum de 1958, sa grande amie la journaliste
Claude Gérard annonça la parution de ses œuvres complètes. Elle lança même une
souscription à cette fin. Mais tout cela n’eut aucune suite. En lieu et place
d’œuvres complètes, la pieuse Claude Gérard ne fit paraître qu’un
opuscule-prétexte, qui ne contenait en tout et pour tout que quelques discours choisis
parmi les plus inoffensifs de Ouezzin.
Rappelons
que Ouezzin Coulibaly, qui au moment de sa mort était le chef du gouvernement
autonome de la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), avait été de 1946 à 1951 le
deuxième député de la Côte d’Ivoire élu avec Houphouët au titre du
Rassemblement démocratique africain (RDA). Vers 1950, au plus fort de « la
guerre contre le Rda », sa popularité Ouezzin surpassait de beaucoup celle
d’un Houphouët dont la trahison n’était plus un mystère pour le peuple RDA. L’intransigeance
et le courage de Ouezzin face aux manœuvres d’intimidation des colonialistes lui
avait valu le surnom de « lion du RDA ». Aussi devait-il absolument être
« battu » lors des législatives 1951, et il le fut par le renégat
Sékou Sanogo, alors grand favori du colonat de la Côte d’Ivoire qui n’avait pas
encore tout à fait pardonné à Houphouët !
Nous
savons, de source sûre, que tandis qu’il attendait la mort dans cet hôpital
parisien, Ouezzin noircissait des dizaines de pages de son écriture rageuse après
chaque visite de l’un ou l’autre de ses collègues parlementaires RDA, comme
s’il pressentait qu’il serait bientôt privé de parole et qu’il ne pourrait plus
s’adresser à son peuple que de cette manière. Apparemment, ce journal-testament
d’un Ouezzin Coulibaly mourant mais toujours combatif a opportunément disparu en
même temps que lui. J’écris « opportunément » parce que ça ne pouvait
pas être par hasard, et parce que ce ne fut pas sans que quelqu’un n’en profite
pour mieux nous escroquer.
Ce
cas est certes différent du précédent et des suivants, mais seulement par sa
nature, non par sa signification. C’est une destruction d’archives, comme il y
en eut sans doute beaucoup d’autres, aux mêmes fins, entre 1950 et 1993. Songez
à la destruction jusqu’aux fondations de la geôle privée d’Assabou, qui a été
remplacée par la basilique Notre-Dame de la Paix, et, toujours à Yamoussoukro,
à la suppression du monument que les Français avaient érigé en mémoire du
traître Kouassi Ngo, l’oncle à héritage d’Houphouët.
Le
« brûlot » que Siradiou Diallo n’a jamais allumé
A
la charnière des décennies 1980 et 1990, les meilleurs soutiens d’Houphouët en
Europe, en Amérique et même au Vatican, craignant les difficultés d’une
succession mal préparée, le pressaient de se retirer avant qu’il ne fût
trop tard ou, au moins, d’accepter de partager un pouvoir que son grand âge et
sa santé déclinante ne lui permettaient plus d’exercer avec un minimum
d’efficacité. Et comme il s’entêtait à ne vouloir ni l’un ni l’autre, ils
l’abandonnaient les uns après les autres. Alors le bruit courut qu’il allait
publier ses souvenirs. En clair, Houphouët menaçait ses bons amis de Paris et
d’ailleurs de déballer les petits secrets de sa belle success story françafricaine… La tâche de confectionner ce brûlot fut
confiée au journaliste guinéen Siradiou Diallo, alors l’un des piliers de Jeune
Afrique, qui s’y attela d’arrache-pied, et qui n’en faisait pas mystère quand
il venait se documenter au Centre d’Etudes RDA (CERDA), boulevard de Lafayette.
Mais au lieu des fracassantes révélations qu’il nous avait fait espérer, Siradiou
Diallo ne publiera finalement, sous le titre « Houphouët-Boigny, le médecin, le planteur et le ministre »[3], qu’une
nouvelle hagiographie d’Houphouët. C’est que le chantage, parfois ça paye… Pour
ne pas risquer un déballage qui eut gravement compromis l’image de la
Françafrique et son avenir en Côte d’Ivoire, Paris décida que l’esprit du
fameux discours de La Baule ne s’appliquerait pas au pays d’Houphouët :
« Le discours
de La Baule, dira même une ministre
de la Coopération de passage à Abidjan,
n’oblige pas la France à avoir une attitude uniforme, systématique envers tous
les pays, alors que nous ne ferions jamais cela avec les pays d’Europe ou
d’Amérique latine. (…) En Afrique, la mémoire et
l’histoire sont importantes. La personnalité du président Houphouët-Boigny, le
respect qu’il inspire ne sont pas des données négligeables. »[4]
Et
le nègre d’Houphouët remplaça son encrier de fiel par un pot de miel. Donnant,
donnant…
L’« acting out » sans suite de Raphaël Lakpé
Traître, et fier de l’être… Dans le numéro de
L’Expression daté du 19 mars 2012,
Raphaël Lakpé, l’« alassaniste » longtemps masqué, est tout heureux
de pouvoir se dévoiler devant son confrère Ahmed M. Traoré :
« Vous
êtes en train d’écrire un livre-témoignage, peut-on en connaître la teneur ?
C’est vrai,
je travaille actuellement à la finition de mon livre. Je suis au stade de la
mise en forme. Si le rythme du travail se maintient, je pourrais être en
librairie fin avril-début juin. Dans ce livre, je remonte le temps. Je parle
des événements dont j’ai été témoin ou acteur.
Qu’apprendront les lecteurs dans ce livre ?
Ils
apprendront par exemple que je suis dans le mouvement alassaniste depuis 1993,
que j’ai été un des porteurs d’eau au moment où le Rdr naissait. Ils sauront ce
que Houphouët et Gbagbo m’ont dit quand j’ai rencontré l’un pour la dernière
fois et l’autre pour la première fois ; comment la providence m’a aidé à
l’aéroport de Washington quand j’allais rencontrer l’ancien Premier ministre,
Alassane Ouattara, devenu Directeur général-adjoint du Fmi ; comment j’ai
suivi les événements du 18 février 1992 ; comment l’exécution d’un mot
d’ordre de Guillaume Soro m’a valu des tortures au camp commando de Koumassi,
en 2000. Ils sauront ce qui s’est passé véritablement sur le plateau de la
télévision ce 1er octobre 1992 entre le Premier ministre et moi…
Ah, vous parlez de cette émission ?
Oui !
Vous-vous justifiez ?
De quoi ? Je
ne me justifie pas. J’explique ce qui s’est passé.
Et que s’était-il passé ?
Ne soyez pas
pressé, vous le saurez en lisant mon livre. »
En effet ça ne servait à rien de se
presser car à ce jour, plus de trois ans après cette fière déclaration, l’apologie
lakpéenne de la félonie et du double-jeu n’est toujours pas parue en librairie,
allez savoir pourquoi !
Quand lira-t-on le premier livre en sud-coréen
consacré à la crise ivoirienne ?
Il fut la véritable cheville ouvrière du
complot franco-onucio-étatsunien pour installer les Ouattara et leur cohorte
cosmopolite d’affairistes goulus à la tête de la Côte d’Ivoire. Sa sale besogne
accomplie, le Sud-Coréen Young Jin Choi, qui était
censé représenter le secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire, s’apprêtait
à rentrer dans son pays, pour se reposer. Mais il avait un autre projet : exploiter
son expérience ivoirienne pour ajouter une nouvelle corde à son arc. Médecin à
l’origine, changé en diplomate chelou
après une formation spéciale à Paris – tiens ! tiens ! –, pourquoi
pas ivoirologue pour finir, quand on tient un sujet aussi juteux que nos crises
ante et post-électorales ?
« J’ai
fini le manuscrit de mon livre intitulé "J’y suis, j’y reste". Avec
ce titre, je parle de mon expérience de maintien de la paix en Côte d’Ivoire. A
part cela, il faut que je prenne un peu de repos ; je vais aller en montagne
une fois arrivé en Corée, pour un mois et demi ».[5]
Bientôt cinq ans, donc, que ce manuscrit est bouclé, et toujours
pas de… – au fait, comment dit-on « J’y suis, j’y reste » en
sud-coréen ? – dans nos librairies. Mais peut-être ce livre existe-t-il dans
sa version sud-coréenne, et n’a simplement pas encore été traduit en français,
qui sait ? Allons, Mister Choi si près de l’apothéose, encore un petit
effort !
Ça n’arrive pas qu’à
nous…
En guise de conclusion, voici une nouvelle
qui n’a plus rien de sensationnel après tout ce que nous venons de lire, mais
qui a l’intérêt de nous donner le fin mot de tous ces avortements – j’allais
écrire : ces infanticides –
politico-littéraires. Pourquoi écrivent-ils, ces auteurs si manifestement
incapables de soutenir l’idée de voir leur propre ouvrage dans les rayonnages
d’une librairie quand selon le sens du vent il risquerait d’y diffuser une
lumière trop crue ou sur eux-mêmes ou sur des vérités qu’ils ont déguisées ou qu’ils
auraient aimé enfouir ? L’explication se trouve peut-être dans l’étrange événement que voici :
« Ségolène Royal renonce à faire paraître son livre "Notre chance
d'être français", dont la sortie était prévue pour le 7 mai » (…) Selon sa maison d'édition Grasset, la
nouvelle ministre de l'Écologie souhaite "se consacrer exclusivement"
à ses nouvelles fonctions. Un mois avant la date de sortie programmée, elle
renonce donc à publier "Notre chance d'être français". Le parti-pris
de cet ouvrage est d'aborder avec lucidité ce qui malmène l'idée que nous nous faisons
de nous-mêmes et de notre avenir commun,
résumait Ségolène Royal dans la présentation du livre diffusée sur le site de
l'éditeur. A toutes et à tous, il
voudrait faire partager le goût de la France, ce pays qui n'est vraiment
lui-même qu'assoiffé d'idéal, capable de fraternité, audacieux dans l'action. »[6]
Comme quoi les motifs en apparence les plus nobles et
les plus généreux de les écrire ne suffisent pas à sauver cette sorte de livres
dès lors que leur parution risquerait d’impacter dangereusement l’image que
leurs auteurs aiment à se donner d’eux-mêmes. C’est qu’il ne s’agit pas
vraiment de livres, mais d’actes malveillants sournoisement et malignement prémédités en vue
non d’éclairer l’opinion, mais de la polluer et la corrompre. De sorte que dans
notre cas ces avortements, ou ces infanticides, de livres peuvent être interprétés
comme autant de reculs de nos ennemis face à notre résistance et, par
conséquent, comme autant de raisons de la continuer sans désemparer.
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