jeudi 16 juillet 2015

Grèce : Après le coup d'Etat financier

Moins de six mois après être devenu le premier parti d'extrême gauche à arriver au pouvoir dans l'Union européenne, Syriza, acronyme en grec de « la coalition de la gauche radicale », entre en agonie.
 
Devant le parlement grec

Divisé par le nouveau et douloureux plan de sauvetage et d'austérité conclu lundi à Bruxelles avec les créanciers, l'hétéroclite formation est en train d'imploser, plongeant une Grèce au bord de l'asphyxie économique dans l'inconnu.
Son chef charismatique et Premier ministre, Alexis Tsipras, qui dit désapprouver l'accord de Bruxelles qu'il demande d'approuver, n'a réussi à faire voter au Parlement, jeudi vers 1 heure du matin, de premières douloureuses mesures d'austérité (dont des hausses de la TVA et une réforme des retraites) qu'avec l'appui de ses adversaires politiques.
Son opposition modérée, la Nouvelle Démocratie (conservateurs de droite), le Pasok (socialiste) et To Potami (« La rivière », centre gauche), a voté pour ce texte. La session s'est tenue sur fond de manifestations, limitées à une dizaine de milliers de personnes, de jets de cocktails molotovs, d'émeutes urbaines, le Parlement étant entouré par la police antiémeutes comme avant que « le gouvernement du peuple » n'arrive au pouvoir le 25 janvier.
En tout, ce sont 229 députés (sur 300) qui ont adopté le drastique plan européen de renflouement qui permet à la Grèce d'éviter la faillite et la sortie de l'euro. 
Zoé Konstantopoulou
Soixante-quatre parlementaires ont voté contre, dont deux figures symboliques, l'ancien ministre des finances Yanis Varoufakis (qui a qualifié l'accord de « nouveau Traité de Versailles ») et la très populaire présidente du Parlement Zoé Konstantopoulou. Trente-neuf députés (sur 149) de Syriza ont fait défection, dénonçant en l'accord de Bruxelles un « coup d'Etat » financier contre la Grèce, une « capitulation », une « humiliation ».
Le texte signé à Bruxelles impose des mesures de rigueur, des privatisations, sous contrôle étroit des créanciers, en échange du financement de la colossale dette grecque (plus de 320 milliards d'euros).
Même avec l'appui des 13 députés des Grecs indépendants (droite souverainiste), membres de la coalition au pouvoir mais qui menacent aussi de faire défection, une chose est claire : Alexis Tsipras n'a plus de majorité gouvernementale. Il dirige un cabinet minoritaire.
Va-t-il  procéder à un remaniement ministériel, annoncé comme imminent par un de ses proches, en expulsant notamment les trois ministres qui ont voté « non » ? A commencer par celui de l'énergie, Panayiotis Lafazanis, chef de la « plate-forme de gauche », le courant radical de Syriza, anti-euro, qui ne fait que monter en puissance dans le parti depuis le début des négociations et des concessions aux créanciers européens ? Ce courant, le plus à gauche du parti, a estimé que le texte négocié à Bruxelles était « le pire accord possible. Il  maintient le statut du pays : celui de colonie de la dette dans une Union européenne dirigée par l’Allemagne ».
Face à l'ampleur de la rébellion, Alexis Tsipras, plus populaire que son parti, va-t-il devoir former un gouvernement d'union nationale avec ses opposants de « droite » qui manifestent peu d'empressement ? Ou bien va-t-il être obligé de convoquer des élections anticipées, dont le résultat prévisible risque de ne rien changer à la donne politique ?
Fort de l'appui de l'opinion publique, qui approuve à 70%, selon les sondages, le vote du plan de sauvetage, Alexis Tsipras pourrait choisir de se maintenir. Mais beaucoup dépendra peut-être de l'issue de la bataille qui se joue, depuis des mois déjà, pour le contrôle de Syriza, unifiée en surface avec peine par Alexis Tsipras, mais qui reste une coalition très hétéroclite de 13 partis, allant des trotskistes au maoïstes, en passant par des centristes ou des écologistes.
Même s'il a perdu sa majorité de gouvernement à cause de la rébellion « anti-capitaliste » de certains députés, le chef de Syriza garde une majorité de députés de sa formation avec lui. Peu avant le vote des mesures d'austérité, il les avait réuni à huis clos, tentant de sauver l'unité du parti « en ce moment crucial, historique », justifiant sa signature de l'accord par la nécessité d'éviter « une catastrophe ».
Il a d'abord fait un mea culpa : « J'ai épuisé toutes mes capacités de négociations [avec les créanciers européens] et toute solution », leur a-t-il dit. Elu sur la promesse contradictoire de la fin de l'austérité et d'un maintien dans un euro aux règles financières strictes, Tsipras a choisi la monnaie unique en acceptant la rigueur.
Ses adversaires dans Syriza voulaient le choix inverse. Il a mis ces rebelles face à leurs responsabilités, se disant ouvert « à toutes alternatives réalistes et fiables ». Le leader de Syriza a accusé, à mots couverts, les partisans de la sortie de la monnaie unique européenne d'irresponsabilité, désignant « certains cercles en Grèce » qui voulaient la sortie de l'euro mais d'une telle façon « qu'elle ne permettait pas de bénéficier des avantages du retour à la monnaie nationale ».
Enfin Alexis Tsipras a tenté de refaire l'unanimité en agitant la théorie du complot néolibéral, très populaire à l'extrême gauche : depuis que Syriza est au pouvoir, des adversaires « intérieurs et extérieurs », qu'il n'a pas nommés, « veulent faire tomber le gouvernement grec » pour condamner l'extrême gauche eu Europe.
Si Alexis Tsipras a réussi à garder de son côté une majorité de ses parlementaires, il n'en est pas de même au sein du parti.
Lors d'une réunion du bureau national, l'organe exécutif de Syriza, mardi, la veille du vote, tous les membres, sauf un, se seraient prononcé contre l'accord. Mercredi, le jour du vote au Parlement, une majorité d'élus (109 sur 201) du Comité central, l'organe délibératif, a signé un texte appelant à rejeter le compromis de Bruxelles : un « coup d'Etat » ayant pour but « d'infliger un châtiment exemplaire à un peuple ».
La plus grande confusion règne dans la coalition d'extrême gauche grecque. Certains députés auraient annoncé leur intention de démissionner. Tandis que d’autres voudraient créer une nouvelle formation politique. En même temps, les appels « à l'unité du Parti », enrobés de remarques acrimonieuses, se multiplient.
L'ambiguité a été résumée par une déclaration du principal leader de la rébellion, le ministre de l'Energie Panagiotis Lafazanis. Contre toute vraisemblance, il a déclaré : « La cohésion de Syriza n'est pas en jeu. Le soutien au gouvernement est un fait. Nous le soutenons, mais pas les mesures du mémorandum [le plan d'aide, NDLR]. Ça ne veut pas dire que Syriza sera divisé »…
Panagiotis Grigoriou, un ethnologue, qui a assisté aux réunions internes de Syriza comme invité, estime dans son blog en français que « la stratégie de la Plateforme, le courant gauche de Syriza, semble se dessiner : prendre le contrôle du parti et reléguer le gouvernement Tsipriote [de Tsipras] au rang d'électron libre mémorandaire » [plan d'aide européen].
Pendant que la Grèce s'enfonce chaque jour un peu plus dans la crise, l'agonie de Syriza pourrait être longue et douloureuse, digne d'une tragédie grecque. 
Jean-Baptiste Naudet
Source : L’Obs 16 juillet 201

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