lundi 17 novembre 2014

« Si jamais je savais que les choses allaient se passer comme ça, je n’allais jamais déclencher le 19 septembre. »[i]

Quand Ibrahim Coulibaly, dit IB, dirigeait le « Commando invisible ».

Quand, en racontant les circonstances de la tentative de putsch de septembre 2002, Ibrahima Coulibaly, dit IB, révèle sans le savoir que la prétendue rébellion était en fait un complot de la Françafrique contre la Côte d’Ivoire. 

Donc, viens, toi tu vas t’occuper des journalistes 

(…) les journalistes ne cessent de m’appeler à tout instant en voulant discuter avec moi. Moi, j’ai pas ce temps ; je m’organise à voir ce qu’on peut faire. Donc, viens, toi tu vas t’occuper des journalistes. C’est comme ça j’ai fait venir Soro Guillaume à côté de moi comme porte-parole : tu t’occupes des journalistes. Et c’est de là est née toute cette histoire. Nous avons monté le 19 septembre. J’ai préparé mes hommes pendant 6 mois. Nous avons fait 2 ans ½ à Ouaga. Mais pour lancer le 19 septembre, nous nous sommes retirés en brousse préparer mes hommes pendant près de 6 mois. On a tout calé. Le jour où je faisais partir mes hommes sur le terrain, un ami m’a aidé financièrement. Je veux préciser quelque chose : je n’ai jamais reçu 5 francs d’un homme politique. Pendant mes 3 ans (…) je vous dis sincèrement devant Dieu, je n’ai pas reçu 1 franc d’un homme politique de Côte d’Ivoire. Je dis pas de nom ; je dis bien de Côte d’Ivoire. J’ai pas reçu 1 franc d’un homme d’affaires ni d’un homme politique. (…). C’est Dieu qui nous a aidés, et l’Etat burkinabè qui nous a donné des villas. Après la formation, un ami libanais m’a envoyé 60 millions de francs CFA. J’ai fait des enveloppes. L’intendant était celui qu’on appelle Gaoussou, avec la rébellion il se nomme Ja Gao, il est comzone à Boundiali. Je dis : « Fais des enveloppes de 300.000 pour tous les éléments qui devaient rentrer ». Je les avais découpés en 3 groupes, parce qu’il devait y avoir trois attaques simultanées : Abidjan, Bouaké, Korhogo. (…).  

L’attaché militaire venait me rendre visite chaque deux semaines 

Jusqu’à 2003, avant que je parte en France et qu’on m’arrête, tout le monde avait une bonne image de la rébellion. Nous sommes rentrés, les choses ont fonctionné dans les normes de Dieu. Nous avons coupé le pays en deux ; les négociations sont sorties des bureaux… D’abord Lomé, après Marcoussis. A Marcoussis quand a… je devais aller… D’abord il faut que je vous éclaircisse quelque chose… Pourquoi quand ça s’est passé, j’ai pas sorti ma tête à Bouaké ? J’ai été reçu dans un pays par un chef de l’Etat qui m’a donné le statut de réfugié politique. J’étais le seul à avoir ce statut, tous les autres étaient sous ma coupole. Et quand nous avons coupé le pays en deux, je voulais rentrer, le grand-frère Blaise m’a dit : « Non, tu ne peux pas rentrer parce que si tu rentres, c’est la pure démonstration que votre base arrière, c’était le Burkina, et que c’est le Burkina qui vous a équipés. Et là, moi Blaise, ça me met dans une situation très difficile. Donc laisse les jeunes progresser. Au moment opportun, c’est-à-dire quand nous aurons toute la situation en main, tu pourras sortir la tête ». J’ai dit OK. Mais quelqu’un qui t’a reçu, qui est ton tuteur, tu ne peux pas le sauter et faire ce que tu as envie de faire. Le minimum, c’est le respect. Et dans la logique, effectivement, l’ambassade de France, l’attaché militaire venait me rendre visite chaque deux semaines pour se rassurer que j’étais à Ouaga. Parce qu’on disait : « Non, c’est le Burkina qui est derrière ; c’est le Burkina qui les a équipés ». Quand il venait, je disais : « Mais moi je suis là ». Aucun Burkinabè ne combat sur le terrain. Nous n’avons pas reçu d’armes du Burkina. Nous avons pris les armes dans les poudrières en Côte d’Ivoire parce qu’on avait des alliés là-bas. Donc c’était justifié, et ça a permis au Burkina de rester blanc. Et ça a permis à la rébellion de tenir sans que les accords de défense qui existaient entre la Côte d’Ivoire et la France puissent être déclenchés. Parce que dans les normes ça devait être déclenché. Mais, comme c’étaient des Ivoiriens qui attaquaient un système dans leur propre pays, les accords ne pouvaient pas entrer en action. Voilà pourquoi nous avons pu résister sans que les Français ne puissent nous chasser du territoire ivoirien.
Mais malheureusement vous avez vu la suite. Arrivés à un moment, après les accords de Marcoussis, le Premier ministre Seydou Diarra m’a envoyé deux émissaires pour me dire, bon… D’abord ils ont vu Soro Guillaume… J’ai envoyé Soro Guillaume comme chef de délégation avec tous les autres… Après les accords, ils nous ont donné 9 postes ministériels. (…). J’avais le devoir de nommer mes ministres. Ils ont demandé à Soro Guillaume. Soro dit : « Non, c’est IB qui dirige, c’est IB qui doit décider ». Donc on m’envoie les deux émissaires de Seydou Diarra. On me demande de nommer les 9 ministres de la rébellion. Je nomme Soro ministre de l’Information ; je nomme tous ceux qui ont pu m’apporter de l’aide au moment où j’avais besoin de ça. Tel que Gueu Michel que nous avons pris prisonnier à Bouaké quand Bouaké est tombé dans nos mains. Gueu Michel était prisonnier. Et comme Gueu Michel, c’est quelqu’un qui m’avait formé dans le temps,… Zagazaga m’a envoyé Gueu Michel pour me dire : « Le colonel Gueu Michel fait partie des prisonniers ». Il me l’a passé au téléphone ; je dis : « Mon colonel, nous sommes pas venus contre vous, mais nous sommes venus contre le système qui divise les Ivoiriens. Est-ce que tu veux nous aider ? ». Il dit : « Mais, jeune frère, si c’est toi qui es à la tête de ça, je rentre là-dedans ». Je dis bon, Zagazaga, libère les prisonniers ; demande leur de nous aider ; s’ils ne veulent pas, laisse-les partir.  Gueu Michel nous a rejoints ; (ici, un nom inaudible) ; le colonel Bakayoko Soumaïla, qui est chef d’état-major, a fui pour aller au village. Son village est à deux pas de mon village paternel. Je demande après lui, on me dit qu’il est au village. J’ai envoyé une équipe le chercher ; j’ai dit : « Mon colonel, venez vous mettre à nos côtés ; aidez-nous avec votre expérience, nous allons avancer ».  

Gueu Michel, je te nomme ministre des Sports 

On n’a tué personne quand je dirigeais la rébellion. On n’a tué personne ! On respectait les droits de l’homme. Voilà comment Gueu Michel a accepté volontairement de nous appuyer. Quand nous avons eu les postes ministériels, j’ai dit : « Gueu Michel, je te nomme ministre des Sports parce que tu es un homme qui a été là quand on avait besoin de toi ». Voilà comment j’ai nommé les postes ministériels. Mais ceux qui disent que je demande un poste ministériel aujourd’hui, mais pourquoi au moment où moi-même je devais nommer des ministres, j’ai pas pris deux ou trois postes ministériels pour moi-même ? Qui pouvait dire quoi ? J’ai pas pris parce que j’étais pas venu pour ça ! Ma mission était de pacifier la Côte d’Ivoire, de rendre justice, de ramener l’amour entre les Ivoiriens ; c’était tout. Je ne cours pas derrière un poste. Donc je n’ai pas pris de poste, j’ai nommé des gens. Parce que le combat n’était pas fini. Certains croyaient que le combat était fini. Le combat n’était pas… Ça venait même de commencer. Ça c’est la branche politique… Malheureusement, les amis que j’ai nommés et que j’ai envoyés pour nous représenter ont oublié la mission. Ont complètement oublié la mission. Ils étaient devenus ministres ; pour eux, c’était la fin ; ils étaient dans le beurre (?) ; ils ont oublié la racine, l’origine de notre combat. Et ils se sont fait manipuler par Laurent Gbagbo… Les remonter contre leurs propres frères. Et subitement je suis là. Je dis bon, la situation a commencé à se dégénérer ; je dis mais il faut que rentre. Je suis allé voir le grand-frère Blaise. Je dis : « Non, il faut que je rentre ». Il faut que je rentre parce que les choses sont en train de se dégrader, c’est pas normal… Je vois mes ministres en train… On me dit ici hier soir à 2H du matin, trois de mes ministres sont en train de boire champagne là-bas. J’apprends ici deux de mes ministres sont en voyage avec Gbagbo chez le président Bongo. Je les appelle ; je dis : « Mais qu’est-ce qui vous arrive ? Est-ce que je vous ai nommé ministres pour faire voyage avec Gb… ? Je dis, Gbagbo jusqu’à preuve du contraire reste notre adversaire ; il n’est pas notre ami. Vous n’êtes pas allés pour ça ! Vous êtes allés défendre les droits des Ivoiriens qui ont des problèmes ». Mais malheureusement, c’était pas le cas. Donc voilà comment ça s’est passé. Je voulais rentrer. Le président Blaise dit non, si je rentre, il aura toujours des problèmes. Donc il serait mieux d’aller à Paris et de Paris j’annonce officiellement sur RFI que je rentre, et si de là je peux rentrer, lui n’aura pas de problèmes. Mais je dis, mais quand même aller à 6000 Km ; or je suis à 400 Km de chez moi (…). Mais il fallait respecter.  

On m’arrête à la sortie de l’hôtel 
 
Je vais à Paris. Je fais 48 heures. Le 3e jour, je veux retourner, on m’arrête à la sortie de l’hôtel : que

IB quitte la prison de Fresnes le 17 septembre 2003. (AFP/Jean Ayissi)

je suis venu recruter des mercenaires ; que je suis un terroriste et que je pars tuer un président. J’ai fait 21 jours de prison ; je sors de prison, on me garde en France sous contrôle judiciaire pendant deux ans. Donc je peux pas sortir de France. Mais, Dieu merci, le jour où j’ai décidé de sortir, et à l’aéroport, je suis passé par la Belgique, on m’a arrêté pendant quelques heures [l’écran devient tout noir comme si quelque chose était censuré ; cela dure à peine quelques fractions de seconde.] (…) dit que si tu bouges pas, tes anciens amis ont approché le président béninois ; ils lui ont donné telle somme ; ils vont t’arrêter. Je me suis débrouillé ; le 28 décembre, je suis sorti du Bénin et je me suis retrouvé au Ghana. Et effectivement, l’opération était lancée ; à leur grande surprise, j’étais plus chez moi.
Mais, ce qui est grave, c’est que arrivé à un moment l’histoire de la rébellion, certains camarades reviennent pour dire que non, untel IB avec Gbagbo… Quand je suis sorti de prison – parce qu’il fallait justifier pourquoi IB est allé en prison il n’a pas été soutenu par ses amis –, ils font croire aux gens que IB travaille avec Gbagbo et Gbagbo lui a donné tels milliards. Gbagbo lui a donné tout ça simplement pour prendre le commandement de la rébellion. Et certains amis (…) disent non, c’est pas possible. Nous on connaît notre chef, pour rien au monde il va se mettre avec Gbagbo pour s’associer pour travailler. Ce que vous dites, ça ne tient pas. Alors ils sont devenus leurs cibles. Ils les ont ciblés un à un ; ils ont commencé à les tuer. Ils les ont tués…, à les arrêter, les mettre en prison. Y a des gens ici (il montre l’assistance) qui ont fait près de deux ans dans des maisons de 4 m2. Ils voyaient pas le soleil. Ils sont là. Tous ces éléments que vous voyez, ce sont ceux qui ont pu échapper à la tuerie de nos anciens camarades. 

Ils ont construit une révolution sur du mensonge 

Mais ce que je vais vous dire… mais après, qui on a vu main dessous main dessus avec le président Gbagbo. C’étaient ceux qui ont dit que les autres avaient trahi. On les a vus dans le gouvernement de Gbagbo, Premier ministre dans la joie. Ils ont applaudi Gbagbo, ça nous a apporté quoi ? On n’est pas revenu à la case départ ? Ça nous a apporté quoi ?! Ils ont construit une révolution sur du mensonge. C’est pourquoi je dis : tout ce qui se construit sur du mensonge n’aboutit jamais. Depuis 2004, j’ai fait des communiqués pour dire : seule la force peut enlever Gbagbo du pouvoir. Depuis 2004, j’ai dit : tout ce que vous allez faire comme négociations, tout ce que vous allez faire comme concessions, même des élections, il ne partira. Soyons raisonnables ; arrêtons la souffrance du peuple ; mettons-nous ensemble pour régler le problème de Gbagbo. Tout le monde m’a trouvé comme extrémiste ; celui qui  est contre la paix ; celui qui est mauvais ; celui qui veut ça… J’ai dit : OK, seul je ne vais contre l’avis des autres. Eux ils les journaux, les télévisions ; moi je n’en ai pas, je vais me taire. Je fais silence radio, et puis Dieu va faire le reste.
Où nous sommes aujourd’hui ? C’est plus pire ! Plein de morts, plein de souffrances ! Ils ont appauvri le peuple ; beaucoup de personnes ont perdu leur travail ; des enfants ne vont pas à l’école ; les gens ne mangent même pas deux nourritures par jour ; (…).
Si jamais je savais que les choses allaient se passer comme ça, je n’allais jamais déclencher le 19 septembre ! Avant de déclencher le 19 septembre, j’ai vécu seul dans une maison entre quatre murs. Je pense que Dieu était là quand je lui demandais. J’ai dit : « Dieu, ce que je veux faire là, si ça va apporter la souffrance à mon peuple, ne me donne pas les moyens. Ne me donne pas les moyens ! »

 
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
 

Source : ivoirebusiness.net 15 Novembre 2014. 


 

NOTRE COMMENTAIRE

 


A l’occasion des récents événements du Burkina Faso, ces propos d’Ibrahima Coulibaly ont été présentés par certaines gens comme la preuve que c’est Blaise Compaoré tout seul qui a fomenté la tentative de putsch de septembre 2002. Mais, quand on prend la peine d’écouter ces propos, on s’aperçoit tout de suite que, dans cette affaire comme dans toutes celles dont on lui attribue la paternité, y compris le meurtre de Thomas Sankara, le petit machiavel de Ziniaré aujourd’hui en fuite ne fit toujours que prêter son masque et sa roublardise à ses maîtres français. Sinon, quelqu’un nous dira-t-il pourquoi, après le déclenchement de la prétendue rébellion, ce n’était pas un officiel burkinabè mandaté par Blaise Compaoré, mais l’attaché militaire français qui rendait visite chaque deux semaines à IB pour se rassurer qu’il était bien à Ouaga ? 

Marcel Amondji

[i] - Propos transcrits par Marcel Amondji.

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