jeudi 20 novembre 2014

Seule la lutte libère de la domination néocoloniale


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Deux semaines après sa chute, des zones d'ombre commen­cent à se dissiper sur la pro­tection accordée jusqu'au bout au président burkinabé Blaise Compaoré par la diplomatie française, une _ nouvelle fois à contre-pied de l'his­toire. Malgré le rôle trouble joué par Compaoré dans les guerres au Liberia, en Sierra Leone, en Côte d'Ivoire et au Mali, la France, qui a contribué à sa prise de pouvoir en 1987, l'a toujours considéré comme un allié diplomatique, demeurant aveugle à ses crimes et dérives. Un allié devenu stratégique avec la montée en puissance du dispositif militaire français dans le Sahel, le Burkina Faso étant un des premiers États à avoir accepté d'accueillir en toute opacité des forces spéciales françaises sur son territoire. Un pilier de la « famille recomposée » de la Françafrique décrite par le dernier ouvrage de l'association Survie. Après avoir longtemps qualifié les relations franco-bukinabées d'« excellentes » (à l'instar de Laurent Fabius, en visite à Ouagadougou le 27 juillet 2012), la France a pris très tard la mesure du mouvement de fond à l'œuvre depuis des mois au sein de la société civile burkinabée. Dans une lettre datée du 7 octobre 2014, le président Hollande se contentait de proposer comme solution de sortie un poste dans une orga­nisation internationale à un Biaise Compaoré toujours considéré comme « fréquentable ».
Les compromissions de la diplomatie française ont été manifestes dans les jours précédant et suivant la chute du despote avec les postures embarrassées d'un ministre des Affaires étrangères français se contentant dans un premier temps d'un pusillanime appel au calme et à la protection des ressortissants et de personnalités politiques telles que le député socialiste François Loncle, défendant le bilan du dictateur burkinabé face aux médias. Auparavant, l'ambassadeur de France au Burkina s'était invité dans plusieurs réunions auprès des différents prota­gonistes du soulèvement, alimentant l'idée qu'il y défendait le plan de transition de Compaoré, quand la foule et l'oppo­sition exigeaient un départ immédiat. Ce qui est désormais avéré, c'est le rôle actif de la France dans la fuite du président burkinabé. Après avoir louvoyé, François Hollande a fini par avouer que ce dernier a été emmené en Côte d'Ivoire par un hélicoptère puis un avion des forces françaises, sous-entendant même la possibilité d'un engagement armé des mili­taires français. En confiant Compaoré à un régime ivoirien « ami » peu enclin à l'extrader, il lui a permis de se soustraire à d'éventuelles poursuites judiciaires au Burkina Faso, notamment pour son rôle dans les assassinats de Thomas Sankara, du journaliste Norbert Zongo ou la mort de mani­festants lors du

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soulèvement de ces derniers jours. Indis­pensable, la tenue d'un procès du despote permettrait d'en savoir davantage sur les soutiens multiformes dont il a bé­néficié de la part de la France depuis sa prise de pouvoir dans le sang en 1987. Entièrement consacrée au repositionnement de son armée dans le Sahel (opérations « Serval », « Barkhane ») la France néglige les aspirations démocratiques des populations des États qui soutiennent cette entreprise militaire. Le scénario surprise burkinabé inspire aujourd'hui les mouvements de résistance au Tchad, au Cameroun, au Congo-Brazzaville, au Gabon ou au Togo, et les autorités françaises, qui ne manquent pas d'informations sur la nature de ces régimes et l'exaspération de ceux qui les subissent, prennent le risque d'être à nouveau prises de cours. Près de quatre ans après la chute du Tunisien Ben Ali, la France continue à s'enfermer dans le soutien à des régimes dicta­toriaux au nom de la « stabilité », sans remettre en question les piliers de sa domination néocoloniale sur le continent : franc CFA, bases militaires, relations privilégiées avec des régimes autoritaires, sur fond de promotion tous azimuts des intérêts économiques tricolores. Au Burkina comme ailleurs, seule la lutte libère de la Françafrique. 
 

Fabrice Tarrit et Thomas Noirot
(De l'association Survie) 
 
 
 
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Source : L'Humanité 18 novembre 2014
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 

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