L’élection
de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis a jeté une lumière
glaciale sur l’Histoire de France.
Il
y a un demi-siècle, tandis que l’affaire Rosa Parks confrontait
l’Amérique ségrégationniste à la révolte noire, la France
pouvait passer pour un modèle à suivre : le deuxième
personnage de l’Etat, le président du Sénat, était un Noir
guyanais, Gaston Monnerville, tandis que d’autres « hommes de
couleurs » avaient, depuis longtemps, assumé les plus hautes
fonctions de la République.
Dans
les années 30, Blaise Diagne avait été secrétaire d’Etat,
Gratien Candace vice-président de la Chambre des députés, Félix
Eboué gouverneur du Tchad, puis de l’Afrique équatoriale
française (AEF).
Après
la Seconde Guerre mondiale, la France continua d’être à
l’avant-garde : en 1946, Léopold Sédar Senghor participa à
l’élaboration de la Constitution, tandis qu’au cours de la
décennie suivante, Félix Houphouët-Boigny fut ministre puis
ministre d’Etat, Hamani Diori et Mamadou Konaté vice-présidents
de l’Assemblée nationale.
Cette
liste n’est pas exhaustive, et permet de comprendre qu’à
l’époque, comme l’a noté Patrick Lozès, président du CRAN,
les Noirs d’Amérique regardaient la France comme une terre
d’espoir.
Le
problème, c’est la Constitution
Cinquante
ans plus tard, comme chacun l’observe, les rôles semblent s’être
diamétralement inversés. Face à une Amérique qui prend pour
Président un homme « noir » (selon les critères
états-uniens…), l’Assemblée nationale française n’accueille
qu’au compte-gouttes les Noirs dans ses travées.
Mais
ce constat ne suffit pas. Encore faudrait-il se demander pourquoi,
depuis un demi-siècle, une telle régression s’est accomplie dans
notre pays.
Or,
cette question, bien peu de monde semble décidé à se la poser, et
surtout à y répondre. Et pour cause ! C’est tout le
« Système » de la Ve République - totalité des partis
politiques, totalité des intellectuels, grands médias, universités,
programmes scolaires - qui est compromis dans cette affaire. Parfois,
il est vrai, en toute bonne foi, c’est-à-dire par ignorance…
Explications.
Le régime sous lequel nous vivons, la Ve République, est fondé sur
une gigantesque imposture à caractère antirépublicain et
antidémocratique, dont les Français noirs comptent parmi les
premières victimes.
L’indépendance
de l’Afrique subsaharienne, systématiquement présentée par
l’école, les médias, les intellectuels et la classe politique,
comme le triomphe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes,
autrement dit comme le fruit de la volonté des Africains, fut, en
réalité, essentiellement décidée par Paris, contre la volonté
profonde des Africains.
L’égalité
politique en question
En
phase avec la majorité de la classe politique métropolitaine toutes
tendances confondues, le général de Gaulle, fondateur de la Ve
République, estimait insensé d’accorder aux Africains l’égalité
politique pleine et entière qu’ils revendiquaient, et au nom de
laquelle nombre d’entre eux étaient morts pour la France pendant
les deux guerres mondiales.
Or,
pour revenir aux affaires en mai-juin 1958 et justifier les
moyens qui le lui permirent - en particulier un semi-putsch militaire
-, de Gaulle prétendit vouloir sauver la France de l’abîme
politique et moral où la conduisait l’aveuglement de la IVe
République.
La
nature de cet aveuglement, selon lui ? Le refus de l’octroi de
l’égalité politique, pour commencer, aux Arabo-Berbères
d’Algérie. Qu’on ose relire le discours de Mostaganem du 6 juin
1958, y compris son appel du pied aux Noirs africains !
De
fait, la Constitution de 1958, approuvée par 80% des Français, se
solda par l’instauration de l’égalité politique en Algérie,
entraînant l’entrée de 46 députés arabo-berbères au
Palais Bourbon, dont le Bachaga Boualam devint l’un des
vice-présidents. Qui se souvient de tout cela, aujourd’hui, en
France ?
Mais
en réalité, cette politique révolutionnaire, le général de
Gaulle y était totalement opposé. Tout en faisant mine de bâtir
l’unité égalitaire franco-africaine, il s’employa donc à la
détruire, en commençant par bouter l’Afrique noire hors de la
République.
Dans
cette entreprise, le Général savait qu’il devrait vaincre les
résistances africaines, dont les représentants, placés au plus
haut niveau de l’Etat (notamment Félix Houphouët-Boigny, ministre
d’Etat en 1958) avaient protégé leurs positions, par des clauses
démocratiques inscrites au cœur des textes institutionnels. Pour
accomplir son projet, le général de Gaulle dut donc passer outre la
Constitution, quitte à provoquer quelques vagues…
Les
populations africaines privées du droit à l’autodétermination
Dans
un précédent article, j’ai évoqué l’affaire gabonaise.
Violant l’article 76 de la Constitution, le président de
Gaulle refusa la départementalisation demandée par le Gabon, de
peur de créer une réaction en chaîne à travers le continent.
Plus
grave encore fut la loi 60-525 dont, pour ainsi dire, aucun
livre d’histoire ne fait mention… Votée en mai-juin 1960, cette
loi violait la Constitution à au moins quatre niveaux, dans son
esprit aussi bien que dans sa lettre. D’abord parce qu’elle
privait les populations africaines du droit à l’autodétermination
sur la question de l’indépendance.
Mais
également parce qu’elle fut votée selon des voies
anticonstitutionnelles. C’est pour cette dernière raison que le
Conseil d’Etat émit un avis défavorable (26 avril 1960), et
que Vincent Auriol, ancien président de la IVe République et, à ce
titre, membre de droit du Conseil constitutionnel, démissionna
(25 mai 1960) en plein vote de la loi.
Aux
objections du Conseil d’Etat, le gouvernement répondit en
substance que cette loi visait à prémunir la Communauté
franco-africaine contre tout risque d’éclatement, et à renforcer
le caractère démocratique de ses institutions.
Dans
les faits, cette loi, par le biais d’un demi-alinéa ( !)
étrangement subreptice au regard de l’ampleur de ses conséquences,
privait les populations africaines du droit à l’autodétermination.
Dès les mois suivants, elle se solda par la dislocation de la
Communauté franco-africaine : la totalité des territoires
d’Afrique accédèrent à l’indépendance sans que leurs
populations puissent entraver, par leurs votes, le processus.
Dès
l’été 1960, démonstration fut donc faite que la réponse du
gouvernement au Conseil d’Etat était intégralement fallacieuse.
Un
apartheid à l’échelle intercontinentale
La
Ve République, créée sous prétexte d’accomplir une révolution
égalitaire, a réalisé un programme exactement inverse, en stricte
trahison des mandats reçus du peuple. Au lieu d’instaurer
l’égalité entre tous les citoyens, la Ve République, par de
multiples violations de la Constitution, a organisé la partition de
l’ensemble franco-africain.
D’un
côté, les Blancs, promis à l’opulence matérielle ; de
l’autre, les « Nègres » et autres « Bougnoules »,
voués aux affres du néocolonialisme, du sous-développement et de
la tyrannie, que l’instauration de l’égalité réelle eût
interdits.
Un
véritable apartheid organisé à l’échelle intercontinentale, au
nom de la préservation de l’identité blanche, gréco-latine et
chrétienne de la France. Mais aussi de la performance économique de
l’Hexagone, dont les Africains étaient jugés définitivement
incapables…
Habileté
suprême, l’indépendance imposée aux Africains, bien que décidée
par Paris avec la bénédiction de Washington au gré des préjugés
les plus réactionnaires et de vils calculs, fut présentée comme le
triomphe des idées progressistes, de la liberté, de la modernité
politique et, ironie suprême, de la volonté des Africains.
Un
mensonge vieux de 50 ans
Réciproquement,
les partisans de l’unité franco-africaine, les défenseurs de
l’égalité par-delà les races dans la République démocratique
et sociale, furent présentés au mieux comme de doux rêveurs, au
pire comme d’absurdes « nostalgiques de l’ Empire »
ou des ennemis du peuple, voire d’infâmes et dangereux fascistes.
Menaces
à l’appui, bénéficiant du renfort des gauches stalinienne,
trotskiste, sartrienne et de leurs ramifications, cette rhétorique
imposa à chacun de rentrer dans le rang, en France comme en Afrique.
Ainsi le mensonge tient depuis cinquante ans et demeure, aujourd’hui
encore, solidement protégé.
En
l’an 2008, alors que l’Amérique se dote d’un Président métis,
en France les Noirs sont essentiellement absents des grands corps de
l’Etat. Ceux qui s’en étonnent méconnaissent l’histoire de
notre régime. S’ils ouvraient les yeux, ils ne s’étonneraient
pas d’un tel état de fait. Au contraire, ils trouveraient tout
cela parfaitement logique, et même remarquablement conséquent.
Puisqu’il s’agit là du fondement même de la Ve République
gaullienne.
Mais
chut ! Il ne faut pas critiquer le plus grand homme de
l’Histoire de France…
Alexandre
Gerbi,
Ecrivain
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenances diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source
: Rue89
20/11/2008
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire