mercredi 10 septembre 2014

La Centrafrique, quintessence de la Françafrique


Fabius, Hollande et Le Drian (de G à D)
Toujours à feu et à sang malgré le cessez-le-feu signé fin juillet entre les ex-rebelles de la Séléka, majoritairement musulmans, et les milices chrétiennes "anti-balaka", la Centrafrique demeure plus que jamais un territoire stratégique où l'ancienne métropole et les Etats de la région tentent de s'imposer.
Plongée dans le chaos, la Centrafrique ressemble à un vaste échiquier sur lequel la France et les puissances régionales avancent leurs pions. Preuve en a été donnée, une fois de plus, lors de la nomination du nouveau premier ministre Mahamat Kamoun par la présidente centrafricaine Catherine Samba Panza le 10 août dernier. Contesté par la quasi totalité de la classe politique centrafricaine, le nouveau chef de gouvernement n’était surtout pas le candidat de la France qui a vite fait de manifester son mécontentement. Quelques jours avant la nomination, le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, qui avait joint par téléphone la présidente centrafricaine, avait pourtant transmis un message clair. C’est Karim Meckassoua, un universitaire musulman de haut niveau, ancien proche de l'ex-président Bozizé, réputé compétent et très apprécié par Jean-Yves Le Drian qu’on avait choisi pour elle. Bel exemple parmi bien d’autres de la manière dont la France s’immisce dans les affaires de son ancienne colonie livrée au chaos.

Paris, à la manoeuvre
Depuis le début de la crise centrafricaine, ce pays, qui vit sous perfusion et dont l’Etat est en lambeaux, a remis en partie son destin aux mains de l’ancienne métropole. Elue en janvier 2014, Catherine Samba Panza doit elle-même son poste au jeu d’influence français. Après avoir poussé vers la sortie l’ex président Michel Djotodia en décembre 2013, la diplomatie française menée par Laurent Fabius a jeté son dévolu sur cette proche de… Michel Djotodia. C’est en effet à l’ancien chef de file de la Séléka que Samba-Panza doit son précédent poste comme maire de Bangui. Côté français les choses sont claires : en Centrafrique la cohérence attendra, l’important est d’abord de se placer aux avant-postes du pouvoir.
Avec l’opération militaire Sangaris fin 2013, les autorités françaises donnent donc le la aux côtés de leur allié, le puissant chef d’Etat tchadien Idriss Déby qui lorgne sur la zone nord du pays. A l’issue du sommet de 2013 qui a mis fin aux fonctions des ex-dirigeants centrafricains, Laurent Fabius n’hésitera pas à bousculer le calendrier électoral fixé par Bangui. Celui-ci prévoyait la tenue d’élections pour février 2015. Le ministre des affaires étrangères français demande à ce qu'elles soient organisées pour fin 2014. Un timing qui s’avère rapidement bien trop serré, tout comme celui prévu par les autorités du pays qui ont fini par annuler les élections.
Mais le jeu français va bien au-delà des turpitudes de calendrier. L’arrivée du nouveau premier ministre Mahamat Kamoun fait d’ailleurs écho à un précédent épisode. Karim Meckassoua, grand favori de l'Elysée et du président congolais Denis Sassou Nguesso, médiateur de la crise centrafricaine, pensait déjà rafler la mise lors de la nomination du précédent premier ministre. C’est toutefois André Nzapayéké, un technocrate issu du milieu bancaire qui avait été choisi à la demande de la direction générale du Trésor français. Pour rappel, à l’issue du remaniement ministériel d’avril 2014 en France, cette « DG » est passée sous tutelle du ministère des affaires étrangères pour les domaines relevant du Commerce extérieur. Difficile dans ces conditions de ne pas voir la main de Laurent Fabius derrière la nomination d'André Nzapayéké, d’autant que rien ne le prédestinait au poste de premier ministre. Ancien de la Banque africaine de développement (BAD) et vice-président de la Banque de développement des États de l'Afrique de 2012 à 2014, l’homme se distingue par une carrière internationale très éloignée des cercles politiques centrafricains. A travers lui, Paris teste sa nouvelle « diplomatie économique » dans le laboratoire centrafricain. Résultat, le gouvernement Nzapayéké signe un bilan calamiteux et les relations avec la présidente qui s’est vue imposer ce choix sont exécrables durant tout le mandat.
Les vieilles recettes de la françafrique fonctionnent donc toujours à plein. La quasi totalité des acteurs politiques qui occupent le devant de la scène aujourd’hui en Centrafrique, à l’image de Karim Meckassoua ou de l’un des principaux opposants Martin Ziguélé, entretiennent des liens très étroits avec la France. Même chose dans l’entourage de Catherine Samba Panza où l’on retrouve notamment Jean-Jacques Demafouth, ancien rebelle proche des services français au très stratégique poste de conseiller de sécurité.

Chrétiens contre musulmans
Fin juillet dernier lors du forum de Brazzaville à l'issue duquel un cessez-le-feu est signé, la présidente Samba Panza se voit imposer une nouvelle condition par la communauté internationale pour tenter de sortir du marasme et barrer la route aux partisans d'une partition du pays : le prochain Premier ministre sera musulman. Un scénario attendu qui a incité plusieurs forces politiques à ne pas se rendre au forum. « Dès le départ, il était convenu que ce sommet devait aboutir à la nomination d’un musulman à ce poste. A quoi bon s'y rendre ? Pour faire encore de la figuration ? », tonne un membre de l'Alliance des forces démocratiques pour la transition (AFDT), la plateforme regroupant les partis de l'ancienne coalition de l'opposition démocratique conduite par Martin Ziguélé qui brigue la présidence.
Le 10 août, le choix de Catherine Samba Panza s'est finalement porté sur Mahamat Kamoun, ancien directeur de cabinet de Michel Djotodia et l'un des principaux soutiens de la présidente lors de son accession à la tête de l'Etat. Une manière aujourd'hui de lui renvoyer l'ascenseur. S'il n'était pas le favori de Paris, et encore moins celui du président Sassou qui a fait parvenir un courrier à la présidente pour la sommer de changer d'avis, Mahamat Kamoun est pourtant soupçonné par les rebelles de la Séléka de s'être rangé du côté de Paris depuis le sommet Afrique-France de décembre 2013. Reste qu'au-delà du manque de suspense, les discussions de Brazzaville montrent aujourd'hui une scène politique centrafricaine entièrement pensée à travers la dichotomie chrétiens/musulmans. Une opposition qui, loin de rendre compte de toute la complexité de l'imbroglio centrafricain, mène à l'adoption de mesures cosmétiques. Une grille de lecture, enfin, que l'opération militaire française Sangaris a contribué à alimenter en tardant plus d'un mois avant d'intervenir contre les exactions des milices anti-balaka chrétiennes.


Thalia Bayle*
(*) - Journaliste. Diplômée en sciences politiques à Lille, passée par le think tank “European Institute” à Washington, ARTE, et pigiste pour différentes publications.


Source : MONDAFRIQUE 06 Septembre 2014

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