Aujourd’hui, la parole à Yayi Bony, chef de
l'Etat béninois et président en exercice du Conseil de l'Entente :
« Le Conseil
de l'Entente est né du souci et de la détermination de ses pères fondateurs de
donner espoir à leurs peuples dans leur légitime aspiration pour réaliser une
intégration sous-régionale, gage de sécurité, de paix, de stabilité et de
prospérité ». (Propos
tenus lors du Sommet des chefs d'Etat des pays membres du Conseil de l’Entente à
Niamey, le 17.12.2012)
Source : Le Démocrate
18 décembre 2012
commentaire
Créé le 29 mai 1959, « en présence du haut commissaire de France en Côte d'Ivoire »,
le Conseil de l'Entente n’avait, à
son origine, aucunement vocation à « donner
espoir aux peuples des pays membres dans leur légitime aspiration etc. »,
bien au contraire ! Quand on considère les circonstances de sa fondation,
les motifs et le mobile de son principal instigateur, du moins son instigateur
apparent, Félix Houphouët, le Conseil de l'Entente apparaît comme la réduction,
à l’échelle sous-régionale, du champ de la diplomatie néocolonialiste en
Afrique, autrement dit : la Françafrique. Le rôle qu'y tenait Houphouët n'était
qu'un rôle d’intermédiaire. Et telle était bien sa position sur l'échiquier
africain. En matière de relations interafricaines, la Côte d’Ivoire d’Houphouët
n'a jamais fait sa propre politique, mais elle a toujours fait la politique de
la France et de ses alliés. A preuve, « le
secrétariat administratif du Conseil de l'Entente (n'était) constitué que d’expatriés »
(Vamoussa Méité, La politique africaine de la Côte d’Ivoire, Thèse, Paris X,
1980). C’est l’occasion de rappeler ce qu’un ancien chargé de mission au
cabinet d’Houphouët confiait à Didier Dépry au lendemain du grand massacre de
la jeunesse ivoirienne devant l’hôtel Ivoire, en novembre 2004 : « Le véritable Président de
la Côte d’Ivoire, de 1960 jusqu’à la mort d’Houphouët, se nommait Jacques
Foccart. Houphouët n’était qu’un vice-président. C’est Foccart qui décidait de
tout, en réalité, dans notre pays. Il pouvait dénommer un ministre ou refuser
qu’un cadre ivoirien X ou Y soit nommé ministre. C’était lui, le manitou en
Côte d’Ivoire. Ses visites étaient régulières à Abidjan et bien souvent Georges
Ouégnin lui cédait son bureau pour recevoir les personnalités dont il voulait
tirer les oreilles ». (Notre Voie 10 septembre 2011).
Dans
sa contribution à l’ouvrage collectif « Etat et bourgeoisie en Côte d'Ivoire »*
intitulée « L'insertion ivoirienne dans les rapports internationaux », le politologue Daniel BACH évoque les circonstances
politiques qui ont entouré la création du Conseil de l’entente. Ainsi replacé dans le contexte de l’époque, la
vraie nature de cet organisme et le rôle auquel le destinaient ses créateurs
apparaissent en pleine lumière : c’était avant tout une machine destinée à
empêcher que le Dahomey (actuel Bénin), le Togo, la Haute Volta (actuel Burkina Faso) et le Niger n’adhèrent à la Fédération du Mali
comme ils en avaient exprimé le désir :
« Lorsqu'en 1958 Houphouët-Boigny participe en tant
que membre du Comité constitutionnel consultatif à la préparation du projet de
constitution pour la Cinquième République, il reste en faveur d'une
organisation rigide des rapports franco-africains, car son objectif est
toujours de constituer avec la France un « Etat multinational avec un groupement
fédéral et des assemblées fédérales centrales » (Cité dans Agence
France-Presse, Bulletin d'Outre-Mer, 24-25 mai 1959). Le texte constitutionnel
qui est adopté par référendum le 28 septembre 1958 ne reflète qu'en partie les
conceptions du leader ivoirien. Le général de Gaulle avec qui il entretient des
rapports personnels réguliers a toutefois apporté un soutien non négligeable au
point de vue ivoirien en présentant de manière dichotomique le choix offert aux
territoires de la France d'Outre-Mer lors du référendum du 28 septembre, faire
« sécession » et rompre tous liens avec la France ou accepter la nouvelle communauté.
La possibilité d'une accession à la souveraineté internationale dans le cadre
de la communauté est exclue. Cependant, en dépit de ses aspects rigides, le nouveau
cadre institutionnel ne paraît préluder en aucune manière à la formation de la
structure fédéraliste souhaitée par Houphouët-Boigny. Au début de l'année 1959,
les projets de formation d'une fédération du Mali regroupant le Dahomey, la
Haute-Volta, le Soudan (Mali) et le Sénégal conduisent Houphouët-Boigny à
réagir avec force.
Les auteurs de cette initiative cherchent en effet à
promouvoir le développement de relations de solidarité horizontale («
fédération primaire ») que Houphouët-Boigny considère susceptibles d'affaiblir
les rapports verticaux avec la France mais aussi et surtout d'isoler la
Côte-d'Ivoire en Afrique de l'Ouest. Appuyé par la France, Houphouët-Boigny suscite donc la création d'une
organisation rivale en mai 1959 : le Conseil de l'Entente qui va regrouper le
Dahomey et la Haute-Volta aux côtés du Niger et de la Côte-d'Ivoire (W. J. FOLTZ,
1965 ; p. 107-112). Seuls le Soudan (Mali) et le Sénégal restent
alors partie prenante au projet de la fédération du Mali. L'institution
du Conseil de l'Entente, entièrement tourné vers la préservation des chances
d'une fédération franco-africaine, s'avère bientôt de peu d'importance pour
prévenir un relâchement des rapports institutionnels franco-africains que,
pragmatique, le général de Gaulle amorce lui-même; il agrée en décembre 1959 la
possibilité d'une accession à l'indépendance des Etats de la fédération du Mali
dans le cadre de la Communauté, portant ainsi un coup fatal à l'idéal
franco-africain du président ivoirien. Ainsi que le note plus tard une
biographie officieuse d'Houphouët-Boigny,
« ...Le président de la V° République avait donc
administré à son ancien ministre d’Etat le plus solennel, et probablement
involontaire, camouflet qu'on pût imaginer en rejetant définitivement ses
propositions » (SIRIEX, 1975 (188) ; de cet épisode Houphouët-Boigny dit
lui-même : « J'ai attendu en vain sur le parvis de la fédération avec mes
fleurs fanées. a Fraternité, 3 juin 1960).
Confrontés à ce désaveu, Houphouët-Boigny et les autres
leaders du Conseil de l'Entente demanderont au président français l'accession
de leurs pays à l'indépendance, refusant de continuer à faire partie d'une
Communauté « qui ne serait qu'un Commonwealth ». La Côte d'Ivoire s'oppose
également à l'ouverture de négociations sur les accords de coopération avec la
France avant que l'indépendance ait été acquise. Ainsi, c'est presque par
accident que la Côte-d'Ivoire accède à la souveraineté internationale en août
1960 parce que la politique coloniale de la France a connu une évolution
qu'Houphouët-Boigny s'était vainement employé à combattre en tant que membre du
gouvernement français. L'accession de la Côte-d'Ivoire à l'indépendance n'opère
toutefois aucune rupture dans les flux de relations avec la France. Ceux-ci
restent d'autant plus denses que, comme pour la plupart des Etats africains
francophones, ils sont prorogés dans leur substance par les accords de coopération
signés avec la France en 1961. L'originalité du cas ivoirien tient à ce que la
dynamique des relations maintenues ne relève ni des pesanteurs du passé ni de contingences
politiques et économiques à court terme, mais d'une stratégie globale arrêtée
en premier et en dernier ressort par Houphouët-Boigny. Le ministère des Affaires
étrangères et les différentes instances du PDCI, s'ils sont associés à nombre de
décisions prises, interviennent en tant que relais, au stade de leur exécution,
ou, de manière symbolique, afin de conférer une légitimité et une assise
populaire aux décisions présidentielles. »
(*) - Y.-A. Fauré et J.-P.
Médard (sous la direction
de), Karthala 1982 ; (pp. 91-92).
Pour en savoir plus sur
cette question, on peut aussi consulter :
« La politique africaine d’Houphouët-Boigny »
de Jacques Baulin ;
« Félix Houphouët et la Côte d’Ivoire. L’envers d’une légende »
de Marcel Amondji.
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