samedi 22 décembre 2012

Le bêtisier françafricain (suite)



Aujourd’hui, la parole à Yayi Bony, chef de l'Etat béninois et président en exercice du Conseil de l'Entente  :


« Le Conseil de l'Entente est né du souci et de la détermination de ses pères fondateurs de donner espoir à leurs peuples dans leur légitime aspiration pour réaliser une intégration sous-régionale, gage de sécurité, de paix, de stabilité et de prospérité ». (Propos tenus lors du Sommet des chefs d'Etat des pays membres du Conseil de l’Entente à Niamey, le 17.12.2012)


Source : Le Démocrate 18 décembre 2012

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Créé le 29 mai 1959, « en présence du haut commissaire de France en Côte d'Ivoire », le Conseil de l'Entente n’avait, à son origine, aucunement vocation à « donner espoir aux peuples des pays membres dans leur légitime aspiration etc. », bien au contraire ! Quand on considère les circonstances de sa fondation, les motifs et le mobile de son principal instigateur, du moins son instigateur apparent, Félix Houphouët, le Conseil de l'Entente apparaît comme la réduction, à l’échelle sous-régionale, du champ de la diplomatie néocolonialiste en Afrique, autrement dit : la Françafrique. Le rôle qu'y tenait Houphouët n'était qu'un rôle d’intermédiaire. Et telle était bien sa position sur l'échiquier africain. En matière de relations interafricaines, la Côte d’Ivoire d’Houphouët n'a jamais fait sa propre politique, mais elle a toujours fait la politique de la France et de ses alliés. A preuve, « le secrétariat administratif du Conseil de l'Entente (n'était) constitué que d’expatriés » (Vamoussa Méité, La politique africaine de la Côte d’Ivoire, Thèse, Paris X, 1980). C’est l’occasion de rappeler ce qu’un ancien chargé de mission au cabinet d’Houphouët confiait à Didier Dépry au lendemain du grand massacre de la jeunesse ivoirienne devant l’hôtel Ivoire, en novembre 2004 : « Le véritable Président de la Côte d’Ivoire, de 1960 jusqu’à la mort d’Houphouët, se nommait Jacques Foccart. Houphouët n’était qu’un vice-président. C’est Foccart qui décidait de tout, en réalité, dans notre pays. Il pouvait dénommer un ministre ou refuser qu’un cadre ivoirien X ou Y soit nommé ministre. C’était lui, le manitou en Côte d’Ivoire. Ses visites étaient régulières à Abidjan et bien souvent Georges Ouégnin lui cédait son bureau pour recevoir les personnalités dont il voulait tirer les oreilles ». (Notre Voie 10 septembre 2011).


Dans sa contribution à l’ouvrage collectif « Etat et bourgeoisie en Côte d'Ivoire »* intitulée « L'insertion ivoirienne dans les rapports internationaux », le politologue Daniel BACH évoque les circonstances politiques qui ont entouré la création du Conseil de l’entente.  Ainsi replacé dans le contexte de l’époque, la vraie nature de cet organisme et le rôle auquel le destinaient ses créateurs apparaissent en pleine lumière : c’était avant tout une machine destinée à empêcher que le Dahomey (actuel Bénin), le Togo, la Haute Volta (actuel Burkina Faso) et le Niger n’adhèrent à la Fédération du Mali comme ils en avaient exprimé le désir :

« Lorsqu'en 1958 Houphouët-Boigny participe en tant que membre du Comité constitutionnel consultatif à la préparation du projet de constitution pour la Cinquième République, il reste en faveur d'une organisation rigide des rapports franco-africains, car son objectif est toujours de constituer avec la France un « Etat multinational avec un groupement fédéral et des assemblées fédérales centrales » (Cité dans Agence France-Presse, Bulletin d'Outre-Mer, 24-25 mai 1959). Le texte constitutionnel qui est adopté par référendum le 28 septembre 1958 ne reflète qu'en partie les conceptions du leader ivoirien. Le général de Gaulle avec qui il entretient des rapports personnels réguliers a toutefois apporté un soutien non négligeable au point de vue ivoirien en présentant de manière dichotomique le choix offert aux territoires de la France d'Outre-Mer lors du référendum du 28 septembre, faire « sécession » et rompre tous liens avec la France ou accepter la nouvelle communauté. La possibilité d'une accession à la souveraineté internationale dans le cadre de la communauté est exclue. Cependant, en dépit de ses aspects rigides, le nouveau cadre institutionnel ne paraît préluder en aucune manière à la formation de la structure fédéraliste souhaitée par Houphouët-Boigny. Au début de l'année 1959, les projets de formation d'une fédération du Mali regroupant le Dahomey, la Haute-Volta, le Soudan (Mali) et le Sénégal conduisent Houphouët-Boigny à réagir avec force.

Les auteurs de cette initiative cherchent en effet à promouvoir le développement de relations de solidarité horizontale (« fédération primaire ») que Houphouët-Boigny considère susceptibles d'affaiblir les rapports verticaux avec la France mais aussi et surtout d'isoler la Côte-d'Ivoire en Afrique de l'Ouest. Appuyé par la France, Houphouët-Boigny suscite donc la création d'une organisation rivale en mai 1959 : le Conseil de l'Entente qui va regrouper le Dahomey et la Haute-Volta aux côtés du Niger et de la Côte-d'Ivoire (W. J. FOLTZ, 1965 ; p. 107-112). Seuls le Soudan (Mali) et le Sénégal restent alors partie prenante au projet de la fédération du Mali. L'institution du Conseil de l'Entente, entièrement tourné vers la préservation des chances d'une fédération franco-africaine, s'avère bientôt de peu d'importance pour prévenir un relâchement des rapports institutionnels franco-africains que, pragmatique, le général de Gaulle amorce lui-même; il agrée en décembre 1959 la possibilité d'une accession à l'indépendance des Etats de la fédération du Mali dans le cadre de la Communauté, portant ainsi un coup fatal à l'idéal franco-africain du président ivoirien. Ainsi que le note plus tard une biographie officieuse d'Houphouët-Boigny,

« ...Le président de la V° République avait donc administré à son ancien ministre d’Etat le plus solennel, et probablement involontaire, camouflet qu'on pût imaginer en rejetant définitivement ses propositions » (SIRIEX, 1975 (188) ; de cet épisode Houphouët-Boigny dit lui-même : « J'ai attendu en vain sur le parvis de la fédération avec mes fleurs fanées. a Fraternité, 3 juin 1960).

Confrontés à ce désaveu, Houphouët-Boigny et les autres leaders du Conseil de l'Entente demanderont au président français l'accession de leurs pays à l'indépendance, refusant de continuer à faire partie d'une Communauté « qui ne serait qu'un Commonwealth ». La Côte d'Ivoire s'oppose également à l'ouverture de négociations sur les accords de coopération avec la France avant que l'indépendance ait été acquise. Ainsi, c'est presque par accident que la Côte-d'Ivoire accède à la souveraineté internationale en août 1960 parce que la politique coloniale de la France a connu une évolution qu'Houphouët-Boigny s'était vainement employé à combattre en tant que membre du gouvernement français. L'accession de la Côte-d'Ivoire à l'indépendance n'opère toutefois aucune rupture dans les flux de relations avec la France. Ceux-ci restent d'autant plus denses que, comme pour la plupart des Etats africains francophones, ils sont prorogés dans leur substance par les accords de coopération signés avec la France en 1961. L'originalité du cas ivoirien tient à ce que la dynamique des relations maintenues ne relève ni des pesanteurs du passé ni de contingences politiques et économiques à court terme, mais d'une stratégie globale arrêtée en premier et en dernier ressort par Houphouët-Boigny. Le ministère des Affaires étrangères et les différentes instances du PDCI, s'ils sont associés à nombre de décisions prises, interviennent en tant que relais, au stade de leur exécution, ou, de manière symbolique, afin de conférer une légitimité et une assise populaire aux décisions présidentielles. »

(*) - Y.-A. Fauré et J.-P. Médard (sous la direction de), Karthala 1982 ; (pp. 91-92).



Pour en savoir plus sur cette question, on peut aussi consulter :

« La politique africaine d’Houphouët-Boigny » de Jacques Baulin ;

« Félix Houphouët et la Côte d’Ivoire. L’envers d’une légende » de Marcel Amondji.

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