La présidente Dilma Roussef & le juge Joaquim Barbosa |
La nouvelle a fait le tour du monde, ce 10 octobre 2012. C’est qu’elle était aussi sensationnelle que celle de la victoire de Barack Obama à l’élection présidentielle étasunienne, quatre ans plus tôt. Voici, d’abord, comment l’événement a été présenté par l’Agence France presse :
Un noir à la tête de la Cour suprême, signe de changement au Brésil
par Claire de Oliveira - Agence France-Presse 12 octobre 2012
L'accession pour la première fois au Brésil d'un noir à la présidence de la Cour suprême est un fait historique et confirme une tendance au changement dans ce pays où les descendants d'Africains sont la majorité mais continuent à être en bas de l'échelle sociale, selon des analystes.
Mercredi, Joaquim Barbosa, 58 ans, est devenu le premier président noir de la plus haute instance judiciaire de ce pays de 194 millions d'habitants où 52% sont noirs ou métis mais restent nettement défavorisés par rapport aux blancs.
« Nous constituons la majorité de la population, alors c'est un fait extraordinaire d'avoir pour la première fois l'un de nous à la présidence » de la Cour suprême, a lui-même déclaré M. Barbosa à l'issue de la séance où il a été désigné.
« L'élection de Barbosa est un fait historique, il est très rare de trouver au Brésil des noirs dans des positions de pouvoir, ni dans les entreprises, ni dans les universités, ni dans les gouvernements », a déclaré Marcelo Paixao à l'AFP, expert en relations raciales à l'Université fédérale de Rio (UFRJ).
En effet, 124 ans après l'abolition de l'esclavage, les deux tiers des pauvres au Brésil sont noirs ou métis. A qualification égale ils gagnent en moyenne deux fois moins que les blancs.
Dernière nation du continent à décréter l'abolition de l'esclavage le 13 mai 1888, au Brésil aujourd'hui « les descendants d'Africains sont moins de 5% au Parlement et moins de 3% dans le système judiciaire. Dans l'industrie, ils occupent moins de 4% des postes d'encadrement et à peine 10% des places à l'université », affirme Frei David, un religieux franciscain qui dirige l'ONG Educafro qui lutte pour faciliter l'accès des noirs à l'Education.
En revanche, « ils représentent 80% des employés domestiques, des éboueurs et ouvriers de la construction ».
C'est pourquoi l'élection de M. Barbosa « est synonyme de victoire et d'espoir pour les noirs et confirme une tendance au changement », a-t-il ajouté.
« L'élection de M. Barbosa est une étape inédite au Brésil et en fait un pays plus en accord avec lui même », a renchéri l'expert en questions raciales, Helio Santos.
Selon plusieurs analystes, les politiques de discrimination positive réclamées par les mouvements noirs depuis des décennie ont été le début du changement.
En août, la présidente Dilma Rousseff a promulgué – après 13 ans de débats au Parlement – la loi controversée qui réserve 50% des places dans les universités publiques aux étudiants venant des écoles publiques et donnant la priorité aux noirs, métis et indiens (une pratique déjà en vigueur dans de nombreux établissements avant même que la loi ne soit promulguée).
Pour ses détracteurs, « elle crée une discrimination parce que l'on partage les gens entre bénéficiaires et non bénéficiaires des quotas ».
« Cela a mis fin à une politique d'inaction qui convenait aux Brésiliens les plus aisés », rétorquent les mouvements noirs.
« J'étais d'une famille pauvre, je me suis battu et j'ai réussi, mais je sais que d'autres dans les mêmes conditions, avec la même volonté, n'ont pas réussi, car le système d'enseignement crée des mécanismes puissants d'exclusion des noirs », a dit récemment le nouveau président de la Cour suprême.
Il raconte que dans les restaurants de Rio où il allait dîner, déjà juge de la Cour suprême, on le prenait souvent pour le voiturier, chargé de garer les véhicules des clients.
Pour l'expert Santos, la discrimination raciale gagne d'autres secteurs au Brésil : « Le monde de la technologie avancée est pour les blancs. Aujourd'hui, le Brésil importe de la main d’œuvre qualifiée d'Europe alors que nous avons une réserve énorme de main d’œuvre non qualifiée qui est noire. Si les politiques de quotas avaient été adoptées dans les années 80/90, on n'aurait pas besoin d'importer de la main d’œuvre européenne », relève-t-il.
Et de conclure : « L'avenir du Brésil sera à la mesure du devenir de la population noire ».
Pour vous permettre à la fois d’apprécier l’importance de l’élection de Joaquim Barbosa Gomes à la présidence du STF, et combien, pour le Brésil, reste long et ardu le chemin à parcourir avant d'être complètement débarrassé des pesanteurs de son passé esclavagiste, voici, sous la plume de Nicolas Bourcier, du Monde, une espèce d’état des lieux – temporel et spatial, en un mot : archéologique – des relations raciales dans ce « pays [réputé] le plus inégalitaire du monde ».
Au Brésil, un racisme cordial
Par Nicolas Bourcier - Le Monde Culture et Idées 13.09.2012
A deux pas du centre-ville, au cœur de la zone portuaire de Rio de Janeiro chamboulée par les travaux d'embellissement en vue des Jeux olympiques de 2016, deux ouvriers à la "peau de feu" attendent le verdict des trois archéologues penchés avec leurs ombrelles au-dessus de la tranchée. Une vieille dame bistrée (brun noirâtre) tente de se frayer un chemin, sans même jeter un regard. Pour la énième fois, les employés municipaux butaient sur les vestiges du Valongo, le quai où débarquèrent le plus grand nombre d'esclaves aux Amériques. Un lieu de mémoire et de douleur, enfoui depuis des lustres sous les pavés et le bitume de la ville dite « merveilleuse ».
Plus de 600 000 Africains foulèrent ces maudites pierres au tournant du XIXe siècle. L'hôtel de vente aux esclaves était juste à côté. Leur cimetière aussi, surnommé « le cimetière des nouveaux Noirs ». Depuis le début des travaux, en 2010, de très grandes variétés de bracelets, pierres précieuses et petites affaires personnelles ont été découvertes sous les décombres. Des dizaines de milliers, selon Tania Andrade Lima, la responsable des fouilles.
Jour après jour, Valongo a aussi permis de donner corps à l'ampleur de la traite négrière au Brésil : sur les 9,5 millions de « pièces d'ébène » razziées en Afrique et acheminées dans le Nouveau Monde entre le XVIe et le XIXe siècle, près de 4 millions débarquèrent sur ces terres. Dix fois plus que les esclaves qui ont été expédiés aux Etats-Unis. Un abîme !
VALONGO, PIQÛRE DE RAPPEL DE L'HISTOIRE
Aussi, l'envers du décor est un Brésil qui a cherché pendant plus d'un siècle à effacer son passé. Refusant de solder l'héritage de la traite des Noirs. Et offrant l'image d'un pays métissé, où la couleur de peau ne compte pas, où le racisme n'existe pas, un pays dans lequel des populations d'origine indienne, européenne et africaine entretiendraient des relations cordiales.
Premier pays esclavagiste d'Amérique, le Brésil a été également la dernière nation du continent à décréter l'abolition de l'esclavage, le 13 mai 1888. Une époque où Rio et ses faubourgs représentaient la plus grosse concentration urbaine d'esclaves depuis la fin de l'Empire romain. Plus de 40 % de la population. Presque une ville entière « lestée de fers ». Aujourd'hui, la municipalité de Rio envisage de transformer une partie du quartier de Valongo en site archéologique à ciel ouvert. « Ce patrimoine peut être enfin reconnu, valorisé et devenir un instrument contre cette amnésie collective que s'est imposée notre société à l'égard de la communauté noire », avance Tania Andrade Lima. Valongo comme piqûre de rappel de l'Histoire. « Un petit exemple de la réévaluation bien plus large que connaît actuellement la question raciale au Brésil », ajoute finement l'hebdomadaire britannique The Economist.
De fait, le pays change. A Rio où ailleurs, rares sont ceux qui qualifient encore le Brésil de « démocratie raciale », la formule chère au sociologue et écrivain Gilberto Freyre (1900-1987). Les organisations noires préfèrent parler de « racisme institutionnalisé », soutenues, entre autres, par l'Eglise catholique, qui dénonce les discriminations et la perpétuation d'une culture de « négrier ». Chico Whitaker, l'un des défenseurs des droits de l'homme les plus connus du monde ecclésiastique, n'avait-il pas dit en 2009 que le Brésil vivait encore sous le régime de l'apartheid ?
D'après un recensement rendu public fin 2011 par l'Institut national de statistiques, les Brancos ("Blancs") représentent, pour la première fois depuis la fin du XIXe siècle, moins de la moitié de la population. Ils sont 50,7 % à s'autodéclarer preto (« noirs », 7,6 %) ou pardo (« métis », 43,1 %). Soit 5,4 % de plus qu'en 2000. Trait marquant, ces statistiques montrent aussi que les Brésiliens de couleur restent toujours nettement défavorisés par rapport aux Blancs. L'inégalité raciale est flagrante à tous les niveaux, à commencer par la répartition des richesses. Deux tiers des pauvres sont noirs ou métis. A qualification égale, les Noirs gagnent en moyenne deux fois moins que les Blancs. Une femme noire ne perçoit environ qu'un quart du salaire d'un homme blanc. Selon une étude de 2007, les citoyens de couleur n'occupaient que 3,5 % des postes d'encadrement. A peine 10 % des places d'étudiants à l'université. Moins de 5 % au Parlement. Et 3 % dans le judiciaire. Guère davantage aujourd'hui.
LA DETTE SOCIALE DE L'ESCLAVAGE
Le gouvernement de coalition, composé de 36 membres, de la présidente Dilma Rousseff ne comprend qu'une ministre noire, Luiza Helena de Bairros, chargée du... secrétariat pour la promotion de l'égalité raciale. Elle est la digne héritière du footballeur Pelé, premier homme de couleur à avoir exercé un poste de ministre des sports, en 1994. Singulière parabole de cette expression brésilienne, « le Noir doit savoir où est sa place ». Tous les chiffres et indicateurs vont donc dans le même sens et ils contredisent ce que ressent le visiteur de passage. « Le racisme au Brésil est caché, subtil, non avoué dans son expression, masqué et sous-estimé par les médias, souligne Joaquim Barbosa, premier juge noir à siéger à la Cour suprême de Brasilia. Il n'en demeure pas moins extrêmement violent. » Lui-même, nommé en 2003 par le Lula et pourtant devenu l'une des personnalités publiques les plus connues, dit s'être vu remettre, à deux reprises, une paire de clés de voiture par des hommes blancs au moment de franchir la porte d'un restaurant chic de Rio. Un Noir ? Il ne pouvait être que voiturier. « Et pourtant, ajoute-t-il, les choses se modifient, lentement, une prise de conscience prend forme. »
En avril, les dix juges de la Cour suprême ont fait sensation en prenant position pour la discrimination positive dans l'enseignement supérieur. A l'unanimité, les hauts magistrats décidaient que les quotas raciaux à l'université étaient constitutionnels et corrigeaient « la dette sociale de l'esclavage ». Des dizaines de spécialistes avaient été auditionnés et le jugement a été retransmis en direct à la télé.
Quatre mois plus tard, le 7 août, le Sénat vote une loi obligeant les institutions fédérales de l'enseignement supérieur à réserver 50 % de leurs places à des élèves provenant de lycées publics. Le texte vient d'être paraphé dans son intégralité par la présidente Dilma Rousseff. Les universités ont jusqu'à 2015 pour s'y conformer. Dans la pratique, la loi impose une combinaison sociale et raciale, un mixte astucieux prenant en compte les particularités locales. Elle réserve près de 25 % du total des places des universités fédérales aux étudiants dont le revenu familial est égal ou inférieur à 1,5 fois le salaire minimum (933 reais, 360 euros environ). Le quart restant étant alloué aux étudiants en fonction de l'autodéclaration de la couleur de peau. A charge pour les universités de faire en sorte que les proportions de Noirs, Métis et Indiens soient – au minimum - égales aux proportions de la répartition raciale de l'Etat dans lequel elles se trouvent.
Selon les calculs du quotidien O Globo, la loi entraînera une augmentation de 128 % du nombre de places destinées à la discrimination positive dans les universités fédérales de Rio. Les quatre universités concernées réservent actuellement 5 416 places aux quotas sociaux. Avec la nouvelle mesure, ces places passeraient à 12 351. Il n'en fallait pas plus pour que les adversaires des quotas dénoncent la « racialisation » du Brésil par l'« ethnicisation » du social. Surtout, le débat semble avoir mis à mal le mythe de la démocratie métisse, selon laquelle on ne se définit pas par la couleur de peau.
LE LONG DÉNI DE L'AFRO-BRÉSILIANITÉ
« Le pays le plus raciste du monde », comme l'avait vilipendé un jour, au début des années 1980, en pleine dictature militaire, le sociologue Alberto Guerreiro Ramos (1915-1982), serait-il en proie à une mutation profonde ? C'est le sentiment de la grande majorité des experts rencontrés. « Ces quotas sont la seule alternative aux mécanismes d'occultation et d'exclusion sociale mis en place depuis la fin de l'esclavage », souligne Spiritos Santos, auteur d'un blog vivifiant sur la question raciale et professeur de musique afro-brésilienne à l'université d'Etat de Rio. Pour le frère franciscain David Raimundo dos Santos, « cette nouvelle phase est une révolution pour le Brésil ». Responsable d'Educafro, une ONG qui lutte pour faciliter l'accès des Noirs à l'éducation, il dit être convaincu que le Noir est passé au fil des années « d'esclave du maître à esclave du système ». Il ajoute : « Le Brésil se réveille en pouvant annoncer qu'il a une méthode d'intégration. » Un réveil après une longue nuit tourmentée, celle d'« un long déni de l'afro-brésilianité », écrit Richard Marin, professeur d'histoire et spécialiste reconnu du Brésil.
Dès l'indépendance du Brésil en 1822, les élites n'ont eu de cesse de renier la matrice africaine. « Soucieuses de glorifier un passé ne devant rien aux Portugais, ces élites exalteront dans un premier temps l'Indien, le maître originel de la terre, ce qui est sans danger pour l'ordre esclavagiste », explique Richard Marin. Le Noir est marginalisé, comme rayé de la carte. Même l'écrivain abolitionniste Ruy Barbosa de Oliveira (1849-1923) autorisa en 1890, en tant que ministre des finances, la destruction de la majeure partie des archives du gouvernement liées à l'esclavage. Une manière de refouler une marque honteuse et d'éviter toute forme de compensation, explique Vik Birkbeck, cinéaste britannique installée à Rio et cofondatrice d'un abondant fonds d'archives vidéo sur la culture noire.
L'esclavage aboli, les anciens captifs sont livrés à eux-mêmes. Alors qu'aux Etats-Unis, le président Lincoln ouvre 4 000 écoles pour les esclaves, le Brésil n'en crée aucune. « Sans terre, sans éducation, coupé de toute structure sociale, le Noir libre fut condamné à la misère, souligne Alain Rouquié dans Le Brésil au XXIe siècle. L'abolition tant attendue enracina l'inégalité. »
Jusqu'à la crise de 1929, le boom caféier attire 4 millions d'immigrants d'Europe, peu soucieux du passé colonial et des racines de leur nouvelle patrie. Ceux-ci affichent avec fierté leur identité quand partout triomphe la « supériorité de l'homme blanc ». Une propagande immigrationniste venant du Vieux Continent s'installe, avec pour but de « blanchir » le Brésil, limpar o sangue (« nettoyer le sang »), comme on dit en portugais, au motif que cette jeune et désormais riche nation ne pouvait se faire avec une population majoritairement noire. L'arrivée massive d'Européens produirait naturellement une population à la peau plus claire. A Rio, en 1911, le Congrès international des races annonce le « blanchiment » du Brésil d'ici un siècle...
C'est avec le « modernisme » brésilien des années 1920, qui rejette avec force la servilité à l'égard de l'académisme européen, et aussi avec les romans de Mario de Andrade, qui évoquent le passage de la culture blanche à la culture noire, que la mémoire métisse se met en place. Mais il faudra attendre les travaux de Gilberto Freyre, et d'abord Casa Grande e Senzala (Maîtres et esclaves), en 1933, pour que s'ouvre une perspective qui exalte le métissage comme une « sublime spécificité » brésilienne. Si le sociologue de Recife développe une version magnifiée du colonialisme portugais et du passé esclavagiste, patriarcal et doux, il a l'immense mérite de n'établir aucune hiérarchie entre les « trois races » fondatrices (Africains, Indiens et Portugais).
Définie en contrepoint du modèle ségrégationniste nord-américain, cette notion connut un succès rapide au Brésil, où elle contribua à légitimer le régime autoritaire de l'Estado novo (1937-1945). Moitié blanche, moitié noire, Nossa Senhora da Conceiçao Aparecida devient la sainte patronne du pays. Plat des esclaves, la feijoada (riz blanc et haricots noirs ou marron) s'impose comme plat national. Autrefois musique de « nègre », la samba devient le son typique brésilien. « Au moins jusqu'à la fin des années 1970, c'est à travers ce stéréotype (du métissage biologique et culturel) que le pays se donne à voir à l'extérieur, poursuit Richard Marin. Et pourtant, il y a loin du mythe de la "démocratie raciale" à la réalité de la condition de nombreux Afro-Brésiliens, victimes du racisme – la plupart des Brésiliens préfèrent l'euphémisme "préjugé racial". »
Masqué par l'absence de ségrégation juridique et la chaleur des rapports sociaux, ce « racisme cordial » est nié par le tabou national. Les Brésiliens considèrent qu'ils n'ont pas de préjugé de race, sinon « celui de ne pas en avoir », selon l'expression du sociologue Florestan Fernandes. Une enquête conduite dans les années 1980 par l'anthropologue Lilia Moritz Schwarcz donne la mesure de ce refoulement. Si 97 % des personnes répondirent n'avoir aucun préjugé racial, 98 % avouèrent connaître des personnes racistes. Non sans humour, l'anthropologue en conclut : « Tout Brésilien se perçoit comme une île de « démocratie raciale » encerclée par des racistes. »
136 CATÉGORIES DE COLORATION
Une enquête de l'Institut national de statistiques, en 1976, dit très bien le rapport complexe des Brésiliens avec la couleur de peau. Elle demandait à chaque destinataire du questionnaire d'indiquer quelle peau il avait. Le succès fut immédiat, et provoqua un étonnant casse-tête. Les Brésiliens se reconnaissaient dans rien de moins que 136 catégories de coloration allant du blanc au noir.
Pour la couleur blanche, les ménages se sont décrits selon une douzaine de taxinomies, de « bem branca » (« bien blanche ») à « branca suja » (« blanc sale »), en passant par « branca queimada » (« blanc brûlé »), « branca avermelahada » (« blanc rougi ») ou « branquiça » (« blanc essentiel »). La peau jaune révèle quatre entrées. Trois pour la peau rose. Certaines peaux sont « roxas » (« violettes »), « verdes » (« vertes »), « palidas » (« pâles »), « trigos » (« blés ») ou « morenas bem chegadam » (« brunes bien arrivées »). Pour désigner une peau noire ou métisse, les nuances sont quasi infinies : « cor de cafe » (« couleur de café »), « tostada » (« grillée »), « bugrezinha » (« un peu bien foncée »), « meio preta » (« moitié noire »), « parda escura » (« gris sombre »), « queimada de praia » (« brûlé de plage »), Comme si l'identité raciale était un attribut social passager et relatif, « un objet de négociation », selon Lilia Moritz Schwarcz.
Et pourtant. Il fallut attendre 1986 pour assister à l'élection – tumultueuse et controversée – d'une Miss Brésil noire. Attendre encore la nouvelle Constitution brésilienne de 1988, trois ans après la chute de la dictature, pour inscrire le racisme comme un « crime imprescriptible ». Et attendre la loi du 9 janvier 2003, soutenue par le président Lula, pour que l'enseignement de l'histoire et de la culture afro-brésilienne soit obligatoire à l'école primaire et secondaire.
Malmené par le régime militaire, le mouvement noir, ultraminoritaire, trouve de solides relais dans l'opinion progressiste dès les premières heures du Brésil démocratique. Il fait pression pour remplacer le 13 mai, jour anniversaire de l'abolition de l'esclavage, par le 20 novembre, la Journée de la conscience nègre qui commémore la mort du légendaire Zumbi Dos Palmares, leader noir insurgé du Nordeste au XVIIe siècle. Il milite pour l'adoption de mesures de discrimination positive sur le mode de l'affirmative action des années 1960 aux Etats-Unis.
QUOTAS RACIAUX
Le débat sur les quotas raciaux apparaît sous le président Fernando Henrique Cardoso (1995-2002). Sensible à la question noire pour avoir consacré sa thèse de sociologie à l'esclavage, il instaure des groupes de travail où l'on évoque les actions publiques de valorisation des populations noires et l'obligation de mentionner la couleur de peau dans les documents officiels. En 2002, l'université d'Etat de Bahia s'ouvre aux quotas raciaux, suivie au compte-gouttes par une soixantaine d'établissements.
Avec Lula, l'objectif explicite d'une politique de quotas raciaux « vise à "réparer", observe Richard Marin, à compenser les discriminations sociales dont les Noirs sont l'objet, ce que peu de Brésiliens contestent ». C'est cette voie que la Cour suprême a voulu suivre après une dizaine d'années de débats et de tâtonnements. Et que le Sénat vient de baliser en croisant prudemment les critères sociaux et de couleur de peau.
Les rues du Valongo viennent d'être pavées et rouvertes à la circulation. Des façades de maisons ont été restaurées. Le jardin suspendu du vieux quartier Morro da Conceicao, situé en face du port, a été réhabilité. Tout est calme. Ce soir passe à la télé le premier épisode d'une telenovela, Lado a lado, « côte à côte » en français. L'histoire est consacrée à la vie des Noirs après l'abolition de l'esclavage. « C'est une période riche et encore peu explorée », a commenté l'acteur principal, Lazaro Ramos. Il a souri, dit-on.
Nicolas Bourcier (Rio de Janeiro (Brésil), correspondant)
Sur le même sujet, voir aussi, de Marcel Amondji, L’Afrique noire au miroir de l’Occident, Editions nouvelles du Sud, Paris 1993 ; notamment, le chapitre intitulé : Riches Blancs, pauvres Noirs (pages 185-191).
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