L’Afrique offre à François
Hollande le supplément de masculinité qui lui a fait si souvent
défaut. Par Abdourahman Waberi*
C'est
par la peau de la nuque que l'actualité attrape les esprits
paresseux ou dotés d'une mémoire de poisson rouge. Dans ces moments
intenses, l’actualité impose ses lois, son rythme et, surtout, ses
mots. Le nouveau hold-up électoral perpétré par Ali Bongo occupant
l’actualité, c’est le mot « Françafrique » qui est
désormais sur toutes les lèvres. Comme le refoulé freudien, il
nous est revenu illico en pleine figure.
Au
début des années 2000, un homme, droit comme un fil de plomb, a
réussi l’exploit d’imposer ce terme dans l’espace public
francophone. Ses nombreux ouvrages décapants, décrivant par le menu
les mécanismes de la machinerie françafricaine, ne passaient pas
inaperçus. Cet homme, disparu en 2005, s’appelait
François-Xavier Verschave. On a essayé de le faire taire à coups
de procès et d’attaques malveillantes. Il a résisté à la
cabale, fondé avec d’autres compagnons l’association Survie,
s’est défendu devant les tribunaux tout en prenant à témoin le
grand public, preuves à l’appui.
Mais
qu’est-ce que la « Françafrique », se demandent les
boétiens ? Pour François-Xavier Verschave, c’est « une
nébuleuse d’acteurs économiques, politiques et militaires, en
France et en Afrique, organisée en réseaux et lobbies, et polarisée
sur l’accaparement de deux rentes : les matières premières
et l’Aide publique au développement… Le système autodégradant
se recycle dans la criminalisation. Il est naturellement hostile à
la démocratie ». Quid de cette entreprise délictueuse qui
fait injure à la patrie des droits de l’homme ?
Sous
la présidence de François Hollande, les belles âmes ont voulu
enterrer le mot et la chose. En vain. L’ancien député de la
Corrèze eut beau déployer tout un arsenal rhétorique pour se
tailler un manteau de probité candide, la tentation de sauter à
pieds joints dans le fleuve Zambèze ne tient jamais longtemps pour
tout occupant de l’Elysée. Pourquoi François le Second ne
finirait pas par mordre dans la pomme qu’hier Nicolas, Jacques,
François le Premier, Valéry, Georges et le grand Charles ont avalée
avec entrain, pépins compris ?
Et
ce qui devait arriver arriva. A la faveur de l’actualité, le mot
revint presto dans l’espace public. Et avec lui le « destin
africain » du président Hollande de refaire surface.
« Hollande l’Africain », ça sonne comme un petit air
connu, non ? Alors tendons l’oreille. Vous entendez la basse
continue ?
Appelons
à la barre un initié pour nous aider à détricoter les fils de
cette histoire. Journaliste de RFI, Christophe Boisbouvier décrypte
dans son ouvrage Hollande l’Africain (éd. La Découverte, 2015) la
mue de l’ancien maire de Tulle, dévoilant comment l’intéressé
est tombé amoureux d’un continent qu’il avait voulu longtemps
tenir à distance. Un continent à présent au cœur de ses
préoccupations politiques, économiques et sécuritaires.
Pour
asseoir sa politique africaine, l’Elysée a recours, aujourd’hui
comme hier, aux réseaux plus ou moins occultes. Du Mali au Tchad, du
Gabon à Djibouti, les conseils des hauts gradés pèsent lourd sur
la balance, nous apprend Christophe Boisbouvier. En voulant se
démarquer de son prédécesseur, François Hollande avait juré lors
de sa campagne électorale de « rompre avec la Françafrique »
et de ne plus « inviter les dictateurs en grand appareil à
Paris ». Bien sûr, ces promesses se sont envolées et le
locataire de l’Elysée s’est vite « africanisé »…
dans la plus pure tradition de la Ve République.
Ainsi
François Hollande continue-t-il d’inviter les satrapes africains
sous les ors de l’Elysée mais il se déplace aussi pour les saluer
chez eux, comme il l’a fait depuis 2012 en rendant visite au
Congolais Joseph Kabila, au Camerounais Paul Biya, à l’Angolais
José Eduardo dos Santos et au Tchadien Idriss Déby. Enfin, il ne se
fait pas prier pour envoyer des troupes en Centrafrique, au Mali.
Bref, ses amis ne reconnaîtraient pas l’homme qui s’occupe
aujourd’hui des affaires africaines. L’Afrique offre à François
Hollande le supplément de masculinité qui lui a fait si souvent
défaut. En paradant avec les bidasses à Tombouctou, l’ancien
premier secrétaire du Parti socialiste a montré au monde un visage
des plus radieux. « Flamby » n’est plus. Place à Super
Mario, pardon, Rambo ! La suite semble confirmer la mue survenue
dans le nord du Mali et qui était loin d’être un caprice passager
ou une pose destinée aux photographes.
A.
Waberi (Le Monde 07 septembre 2016)
Titre
original : « La Françafrique ressuscitée par François
Hollande »
Source :
eburnienews.net 09 septembre 2016
(*)
Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République
de Djibouti. Il vit entre Paris et les Etats-Unis, où il a enseigné
les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie).
Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University.
Auteur, entre autres, d’Aux Etats-Unis d’Afrique (J.-C. Lattès,
2006), il a publié en 2015 La Divine Chanson (éd. Zulma).
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