vendredi 16 septembre 2016

« Ce sont toujours les mêmes qui sont au pouvoir. »

B. Sannou
Interview de Boubacar Sannou, vice-président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), chargé de la jeunesse (extrait).

Comment se porte votre parti, le CDP, à ce jour ?
Permettez-moi d’abord de remercier votre organe (Lefaso.net) pour son travail d’encrage de la démocratie dans notre pays. Après tout ce que nous avons traversé comme difficultés, comme événements depuis octobre 2014 à ce jour, nous pouvons dire que notre parti, le CDP, se porte toujours bien.
En tant que proche collaborateur du président du CDP, Eddie Komboïgo, comment se porte-t-il après sa mise en liberté provisoire ?
Le président du parti, Eddie Komboïgo, que nous avons eu l’occasion de rencontrer plusieurs fois après avoir bénéficié de la liberté provisoire, se porte très bien ; tant physiquement que mentalement.
Comment perçoit-il son avenir politique ?
Je pense que ça, c’est une question purement personnelle et je pense qu’en d’autres circonstances, il pourra vous donner des éléments de réponse précis.
Oui, mais quand vous échangez avec lui, donne-t-il l’impression d’être déçu de la vie politique, quand on sait que certains dans les mêmes circonstances ont rendu le tablier ?
Nous avons évoqué plusieurs questions depuis sa sortie, et même souvent sous l’angle politique. Mais nous n’avons pas encore abordé cette question de savoir quel bilan fait-il de son entrée en politique, de sa carrière politique et je pense qu’en temps opportun, il lui appartiendra de dresser son bilan et de tirer toutes les conséquences.
A-t-il marqué son retour au sein du parti … ?
Pour le moment, nous n’avons reçu aucun document en la matière et nous n’avons entrepris également aucune démarche allant dans ce sens pour avoir son opinion, son point de vue et nous sommes toujours dans une situation d’attente, d’observation. Je pense que dans les jours ou semaines à venir, ceux qui ont conduit les affaires depuis les événements de septembre 2015 pourront probablement nous apporter une réponse en la matière.
Passées les joutes électorales, quel est le défi que votre parti s’assigne en ce moment ?
Effectivement, au sortir des élections municipales du 22 mai dernier, le parti s’est retrouvé encore, une fois de plus, troisième force politique. Ce qui a surpris certains observateurs de la scène politique. Mais, nous sommes un peu déçus de ces résultats. Qu’à cela ne tienne, force est de constater que nous gardons toujours notre esprit de combativité et le défi principal, c’est la réorganisation du parti.
Que faut-il comprendre par réorganisation ?
Je crois qu’on ne peut pas refuser de voir les choses en face. Nous avons été ébranlés par les événements de 2014 et la perte du pouvoir, nous avons été touchés, mais pas coulés, avec le putsch de septembre 2015. Force est de constater donc que le putsch a eu comme corollaire au sein du parti l’exil de certains responsables de la direction politique nationale, l’emprisonnement de certains cadres et la démotivation ou le manque d’engagement encore d’autres cadres. Vous n’ignorez pas que certains se sont empressés de faire porter à notre parti la responsabilité politique de ce putsch. Or, Dieu seul sait que notre parti, ses dirigeants et ses militants ne sont ni de près ni de loin mêlés à ce putsch. Donc, aujourd’hui, nous devons nous dire que le CDP d’avant 2014, même d’avant septembre 2015, n’est plus le même ; la direction politique a été touchée, le bureau politique national, le Conseil national, les structures du parti ; tant au niveau national, provincial que communal ont été touchées. C’est un véritable travail de reconstruction qui nous attend et la réorganisation doit aller dans ce sens.
Comment appréciez-vous votre vie dans l’opposition politique avec les adversaires d’hier ?
J’ai eu à le dire à certains de vos confrères : il est vrai que pour les uns, nous sommes dans l’opposition mais nous, nous disons aux uns et aux autres que nous n’avons jamais été au pouvoir. Parce que ceux qui ont été au pouvoir, ce sont toujours les mêmes qui y sont. Nous, nous avons toujours été sur le banc de touche. C’est maintenant que nous sommes véritablement entrés sur le terrain de jeu (terrain politique). Nous nous accommodons de cette situation parce que véritablement notre quotidien n’a pas changé, notre situation n’a pas changé ; puisque nous étions des acteurs inactifs, nous exécutions les ordres de nos devanciers (ceux qui sont actuellement au pouvoir). Aujourd’hui, nous les avons remplacés à la direction du CDP. C’est pour vous dire que notre état d’esprit est différent de celui d’avant et que l’actuel CDP, je peux vous le dire, ce n’est pas ce CDP qui était au pouvoir.
Il a été depuis longtemps annoncé un congrès du parti mais qui tarde à se concrétiser. Qu’est-ce qui coince ?
Effectivement, force est de reconnaître que les événements de septembre 2015 ont porté un coup à la direction politique du parti avec l’exil de certains responsables et la mise en retraite d’autres, volontairement ou involontairement. Ce qui fait qu’il y a nécessité à réorganiser cette direction et les congrès se tiennent également en fonction des textes du parti (les congrès ordinaires et les congrès extraordinaires). Je pense que la nécessité aujourd’hui d’un recadrage de la nouvelle direction est unanimement perçue par tous. Maintenant, comment et quand cela doit se faire, c’est la question qui reste posée.
Des querelles de positionnement seraient à la base de la situation de blocage. Il se susurre que le président Eddie komboïgo veut rebelotter, Achille Tapsoba qui assure actuellement l’intérim veut être confirmé et Juliette Bonkoungou entend imprimer sa vison ...
Je crois que tout regroupement humain déjà fait naître des ambitions ; la volonté de leadership s’impose. Donc, nous trouvons tout à fait normal ce choc des ambitions où les uns et les autres veulent diriger. Il est tout à fait normal que dans un parti il y ait des courants. L’objectif principal doit être d’atteindre l’objectif global pour tout le monde. C’est vrai que suite aux événements que nous avons connus, certains ont émis des vœux … Tout se dit, des noms circulent, mais je pense que pour le choix du président, que ce soit dans le cadre d’un congrès ordinaire ou d’un congrès extraordinaire, il appartient au président actuel (Eddie Komboïgo), de prendre sa décision en temps opportun et au congrès (instance suprême du parti) de décider de qui peut diriger le parti.
Mais au regard du contexte actuel et des réalités du moment, quel peut être le portrait-robot du prochain dirigeant du parti ?
Je pense que toute organisation naît, grandie et doit également se conforter avec des structures bien précises. Peut-être que j’ai ma petite idée par rapport au prototype de celui qu’il faut pour diriger le CDP... mais, le congrès et les instances vont, le temps venu, arrêter les critères de celui qu’il faut. Mais, je pense qu’il faut un homme rassembleur, un homme jeune, dynamique, à l’écoute de son prochain et avec une vision prospective ; un homme qui a la carrure d’un véritable homme d’Etat et en notre sein, ce n’est pas ce qui manque.
Parlant de vos camarades exilés, il y a l’ancien dirigeant, le secrétaire général, Assimi Kouanda, dont on n’entend plus parler, avez-vous de ses nouvelles ?
Oui, nous avons de ses nouvelles par personne interposée et nous savons qu’il se porte bien.
Vous semblez parler peu de lui… !
Depuis les événements des 30 et 31 octobre 2014, il faut reconnaître qu’un certain nombre de nos camarades ont été touchés dans leur âme, moralement et fragilisés, etc. Donc, le camarade Assimi Kouanda a, après introspection, décidé de se mettre en retrait des activités du parti. C’est un choix que nous respectons, à partir du moment où il a lui-même pris cette décision de se mettre en retrait. Voilà pourquoi, jusqu’à ce qu’il décide de revenir, nous préférons rester discrets à son sujet.
Sept mois après son accession au pouvoir, quel est le jugement que vous portez sur la présidence de Roch Marc Christian Kaboré et son équipe ?
Effectivement, cela fait sept mois que nous avons un nouveau président du Faso et une équipe gouvernementale et nous observons. Mais, en me focalisant sur certains rapports et écrits, on note que la situation économique est des plus difficiles. Les plaintes se multiplient et les requêtes sociales se font de plus en plus pressantes. Hors selon des informations à notre disposition, la situation de recouvrement des recettes tant fiscales que douanières est des plus préoccupantes. Le besoin de financement pour un équilibre budgétaire lors de la loi de finances rectificatives d’avril était de plus de 300 milliards. La dette intérieure s’évalue à plus de 200 milliards et moins de 10% pourront être apurée au cours de 2016. Comment les opérateurs économiques peuvent-ils s’en sortir quand on sait qu’ils sont les principaux employeurs du pays ? Les inondations en cours risquent de rendre la production agricole plus aléatoire. Ce qui va rendre encore la situation économique difficile. En matière d’emplois des jeunes, les choses bougent difficilement alors que nos Etats souffrent plus de déficit d’emplois que de déficit de démocratie. Bref, la situation n’est pas aussi reluisante comme on l’aurait souhaité. Egalement, quand on voit comment certains gouvernements post-transition ont été accompagnés par des bailleurs de Fonds (Mali, Centrafrique, etc.) comparativement à notre situation, nous sommes en droit de nous demander si nous ne sommes pas abandonnés par la communauté internationale. La situation est donc inquiétante et il appartient au gouvernement de trouver des solutions qui puissent avoir l’adhésion de tout le monde, de rassurer les investisseurs et de relancer l’économie.
Pas plus tard qu’hier, Dr Ablassé Ouédraogo a jugé de « grave », la situation nationale. Quelle est votre appréciation sur cette sortie ?
Chacun a ses éléments d’informations et d’appréciations et Ablassé Ouédraogo a certainement ses éléments qui lui permettent de qualifier la situation de « grave ». Certains diront que la situation est même « très grave », d’autres même diront que la situation est « catastrophique ». Pour nous, la situation est « inquiétante » ; elle n’est pas rassurante. Nous cherchons une lisibilité des actions gouvernementales mais difficilement, nous les observons. Je respecte les observations de Ablassé, parce qu’il a certainement des éléments dont je ne dispose pas. Mais, je pense que c’est une situation qui interpelle tout le monde parce que lorsque vous écoutez, de la ville à la campagne, ce n’est pas facile.
Votre regard sur l’avenir du Burkina ?
Personnellement, je vois un Burkina meilleur, un Burkina radieux. Cela est ma vision mais la réalité aussi peut être autre. Mais, je pense que le Burkina sera ce que nous tous, nous voudrons qu’il soit, en commençant par les gouvernants et en associant tous les acteurs politiques. Nous avons tous hérité de ce pays et nous devons le transmettre à nos enfants dans un Etat meilleur que celui dans lequel nous l’avons hérité de nos aînés. Il appartient donc à chacun de s’élever au-dessus de ses intérêts partisans et personnels et de voir l’obligation de rendre compte à la génération qui vient et travailler dans ce sens.

Propos recueillis par Oumar L. Ouédraogo


Source : Lefaso.net 1er août 2016

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