Ali Bongo et Jean Ping ou Bonnet Blanc et Blanc
Bonnet
La crise gabonaise est le symptôme d’une
politique de prédation qui explique l’âpreté du combat fratricide opposant
l’héritier Ali Bongo au cacique Jean Ping.
Au Gabon, le rejet du système vermoulu
de prédation.
Ni Ali Bongo, ni Jean Ping mais une
transformation substantielle de la politique au Gabon et ailleurs en Afrique
pour faire de l’Etat le gardien des libertés individuelles et collectives, le
défenseur de l’intérêt général, le serviteur de la société et du bien-être des
populations : c’est la demande de fond qui émerge de la crise post-électorale
que traverse le Gabon.
Les invectives de l’héritier et du
cacique qui se disputent la légitimité électorale occultent cette demande de
fond. Elle transparait pourtant dans le cri de révolte d’un manifestant
gabonais anti-Ali Bongo « Tous les
jours c’est la même souffrance : aller "puiser" l’eau (aux pompes
publiques), s’éclairer avec des lampes-tempête à cause des coupures
d’électricité, pas de boulot… Il n’a rien fait pour nous ». Cet abandon
scandaleux du plus grand nombre par le pouvoir gabonais dans un petit pays
riche en pétrole et en forêts est le passif d’Ali Bongo aussi bien que de Jean
Ping qui continuent pourtant de se disputer le pouvoir en revendiquant chacun
la légitimité électorale dans une logique patrimoniale.
Il faut donc éviter de réduire
exclusivement la crise Gabonaise au problème de la régularité des procédures
électorales et de la transparence de la proclamation des résultats. A focaliser
l’attention sur la régularité des procédures, on occulte l’essentiel. La crise
post-électorale gabonaise est le symptôme d’une gestion patrimoniale et
rentière de l’Etat, d’une politique systématique de prédation qui explique
l’âpreté du combat fratricide opposant l’héritier Ali Bongo au cacique Jean
Ping. La question de fond n’est donc pas de savoir si Ali Bongo a gagné les
élections à la régulière ou si Jean Ping n’a pas en réalité été floué d’une
victoire. Elle est de savoir si ces deux candidats, qui appartiennent au clan
et à la famille qui a eu la gestion de l’Etat depuis une cinquantaine d’années,
ont servi en tant que magistrats, les intérêts supérieurs du peuple gabonais,
ont travaillé à élever son niveau de vie, à réaliser les infrastructures
nécessaires qui devraient améliorer ses conditions d’existence, à diversifier
l’économie pour mettre le peuple à l’abri des aléas du cours des matières
premières.
Les invectives contraires des supporters
des deux camps ne doivent pas recouvrir la déficience politique de fond qui est
imputable aux deux candidats, à l’héritier Ali Bongo et au cacique Jean Ping
son challenger. « Ali doit partir
car il n’a rien fait pour nous », s’époumone un manifestant pro-Jean
Ping. Qu’a pourtant fait Jean Ping, un acteur central du système, pour éclairer
et orienter, dans le sens du service des intérêts du peuple gabonais, la
gouvernance du père Bongo dont il fut pourtant un collaborateur écouté et un
ministre influent ?
L’habileté de Omar Bongo à mener les
hommes, à réduire les critiques et les contestations par la ruse, le poids de
la tutelle de l’ancienne puissance coloniale, les déterminismes internes et
externes qui garantissaient la pérennité de l’ordre établi au Gabon ne peuvent
être une excuse. Jean Ping n’est pas crédible quand il s’évertue maladroitement
à se mettre en marge du système de prédation dont il accuse son adversaire tout
en clamant sa fidélité aux intérêts français. Les extravagances dispendieuses
de l’héritier Ali Bongo symbolisent la corruption politique et l’arbitraire
d’un pouvoir sans limite. Mais Jean Ping, acteur central de ce pouvoir
corrompu, est le serviteur fidèle du vieux monde postcolonial africain vermoulu
qui s’écroule sous les coups de boutoirs des jeunes générations de l’Afrique
post-postcoloniale assoiffées de justice, de liberté, d’égalité et
d’émancipation.
Les Gabonais qui se sont, faute de
mieux, rangés comme partout ailleurs en Afrique derrière le cacique mimant la
posture antisystème, désirent une autre politique qui change concrètement leurs
conditions de vie. Leur cri de révolte, au Gabon comme hier au Congo et
avant-hier en 2010 en Côte d’Ivoire, en appelle à l’avènement d’une nouvelle
génération de politiciens qui incarnent et mettent en œuvre la dimension
substantielle de la démocratie, qui révoquent par leur mode de gouvernance le
patrimonialisme, l’économie rentière, la prédation, la corruption, stigmates du
monde ancien qui s’écroule.
Le battage médiatique fait autour de
l’absence de transparence de l’élection occulte cet aspect substantiel de la
crise. Il est pourtant la raison explicative profonde de la révolte des
laissés-pour-compte gabonais qui se sont trouvé, faute de mieux, un faux
champion en Jean Ping. Cette dispute sur la transparence de la proclamation des
résultats porte involontairement au premier plan la dimension procédurale de la
démocratie. On appelle au strict respect des procédures et on réduit, ce
faisant, la légitimité politique en démocratie à la légitimité électorale. Or,
à ce jeu de dupe, le pouvoir gabonais et Ali Bongo pourraient, comme Laurent
Gbagbo en Côte d’Ivoire en 2010, en appeler à la souveraineté de l’Etat
gabonais contre les intrusions étrangères, au respect de ses institutions pour imposer
sa victoire grâce aux hommes de pailles qui les dirigent.
Au Gabon, comme hier au
Congo-Brazzaville, il est moins question de déficience quant au respect des
procédures et de la transparence des élections que de coupables manquements
quant à la transparence de la gestion des biens de la cité par les pouvoirs
successifs, de déficience quant à l’exigence de limitation du pouvoir par les
droits fondamentaux des personnes et des collectivités, de carences graves
quant au service des intérêts de la société par l’Etat. C’est à l’aune de ces
exigences de la démocratie substantielle que doit être appréciée et évaluée la
légitimité électorale réelle des protagonistes du conflit gabonais.
Alexis Dieth
Titre original : « Gabon : "Ali et Ping appartiennent au
même clan qui a géré depuis cinquante ans" ».
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crise ivoirienne ».
Source : iciabidjan.com 2 septembre 2016
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