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Juan Manuel Santos et Rodrigo Londoño après la signature de l'accord de paix Au 2e plan, on reconnaît de droite à gauche Raul Castro et Ban Ki-moon |
Après cinquante-deux ans de conflit armé, de nombreux défis attendent la
société colombienne : démobilisation des guérilleros, lutte contre le
trafic de drogue, justice transitionnelle…
L’accord
« pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et
durable » a été officiellement
signé, lundi 26 septembre, entre le président colombien, Juan Manuel
Santos, et Rodrigo Londoño, le chef des Forces armées révolutionnaires de
Colombie (FARC). Il met fin à l’un des plus vieux conflits de la planète,
au lourd bilan : 220 000 morts, 40 000 disparus et
6 millions de déplacés, selon les chiffres officiels. L’accord doit encore
être soumis au verdict des électeurs, le 2 octobre.
· Quelles sont les
parties signataires de l’accord ?
La guérilla des FARC. Elle est née
comme un mouvement d’autodéfense paysanne. Et l’est resté. L’organisation a été
officiellement créée en 1964 par une poignée de paysans qui avaient pris
le maquis au temps de « la Violencia » (la guerre civile qu’a connue
le pays dans les années 1950) et qui ont rejoint le Parti communiste dans
la foulée de la révolution cubaine.
Les FARC se sont
développées dans les régions retirées que l’Etat peine encore aujourd’hui à
occuper. L’offensive guerrière menée par le président Alvaro Uribe (2002-2010),
avec l’aide des Américains, a affaibli militairement les FARC. Selon le
ministère de la défense, les guérilleros en armes seraient encore quelque
8 000 et les miliciens (les réseaux civils de la guérilla), autant ou
plus. Plus du tiers des effectifs sont des femmes.
Juan Manuel Santos. Issu d’une des
grandes familles colombiennes, le président Juan Manuel Santos est économiste
de formation. Il a été plusieurs fois ministre – à la défense, il a collaboré à
la politique sécuritaire de M. Uribe. Il a alors acquis la conviction que
la guerre contre les FARC, extrêmement coûteuse, ne pouvait être gagnée sur le
terrain militaire. Les effectifs de la force publique colombienne (armée et
police) atteignent 500 000 membres.
Dès son investiture,
M. Santos a surpris ses compatriotes en tendant la main aux FARC. Les
négociations ont duré quatre ans. Elles se sont déroulées à La Havane,
sans cessez-le-feu sur le terrain. Le Comité international de la
Croix-Rouge a prêté main-forte pour organiser les allées et venues des
chefs guérilleros. En juillet 2015, les FARC ont décrété un cessez-le-feu
unilatéral.
· Que dit
l’accord ?
Long de 297 pages,
l’accord établit tout à la fois la feuille de route pour la démobilisation des
guérilleros et les réformes à entreprendre pour éliminer les causes
du conflit et construire un pays plus juste. Ses dispositions
concernent cinq points majeurs.
La fin du conflit. Les guérilleros
vont se regrouper dans vingt zones dites de normalisation et, dans un
délai de six mois, déposer leurs armes sous la supervision de L’ONU. Un programme
de réincorporation des guérilleros à la vie civile sera mis en place.
Le développement rural. Une ambitieuse
politique de restitution des terres et d’investissements publics doit
permettre d’améliorer les conditions de vie dans les campagnes. Les FARC,
qui entendent maintenir l’unité de leur organisation, veulent créer des
coopératives agricoles.
La participation
politique des guérilleros une fois démobilisés. Les FARC, une
fois transformées en parti politique, auront dix sièges au Congrès pendant deux
législatures.
La justice transitionnelle
et les victimes. Un système intégral de « vérité, justice et réparation »
est mis en place. Il comprend une commission de la vérité et un tribunal
spécial pour la paix qui sera chargé de juger les auteurs de crimes commis
en raison du conflit, qu’ils soient guérilleros, militaires ou civils. Les
coupables qui acceptent de dire la vérité et de « réparer »
leurs victimes bénéficieront de peines « restrictives de liberté » –
autres que la prison – de huit ans au maximum.
L’accord fait appel à
l’ONU pour la vérification du cessez-le-feu bilatéral (entré en vigueur le
24 août) et la mise en application des accords.
· Qui dit
« non » à l’accord de paix ?
L’ancien président
Alvaro Uribe a pris la tête de la campagne pour le non au plébiscite du
2 octobre. Aujourd’hui sénateur, il est resté populaire dans une partie de
l’opinion publique. Considérant que l’accord ouvre la voie à une prise du
pouvoir par les FARC, M. Uribe crie à la menace « castro-communiste ».
Il déplore que les guérilleros coupables de crimes graves n’aillent pas en
prison et réclame une renégociation de l’accord, que le gouvernement et les
FARC jugent « impossible ». « Aucun mouvement armé n’a
jamais négocié sa reddition pour finir en prison », a justifié le
président Santos.
Les derniers sondages
donnent la victoire au oui. Mais, paradoxalement, le débat sur la paix fracture
profondément la société colombienne.
· Quels sont les défis à
venir ?
A court terme, la paix
passe par la démobilisation des FARC. Le premier défi est d’assurer la sécurité
des guérilleros démobilisés, dans un pays qui a longtemps battu des records en
matière d’assassinats politiques.
Le deuxième est
d’assurer le succès des programmes de réincorporation dans la vie civile.
A plus long terme, la
question est de savoir si l’Etat aura la volonté et les moyens de tenir ses
promesses, notamment en matière de développement rural. Et si la société
colombienne, une des plus inégalitaire au monde, sera capable de se réconcilier avec
elle-même.
· Quelles perspectives
pour le pays ?
Au-delà de sa
dimension morale, la paix est porteuse de bien des espoirs. Le gouvernement
espère qu’elle permettra d’attirer les investissements étrangers, d’exploiter
les ressources minières et de développer le tourisme. A terme, la
réduction du budget de la défense pourrait permettre à l’Etat d’investir dans
le social, notamment dans la santé et l’éducation.
La disparition des
FARC va modifier la politique. Depuis plus d’un demi-siècle, le conflit
armé accapare le débat public. Il a conduit à la « diabolisation » de
la gauche. Et il a servi de prétexte aux élites pour éluder leurs propres
responsabilités dans la conduite du pays : la lutte contre la corruption
pourrait ainsi enfin devenir prioritaire.
Marie Delcas (Bogota, correspondante)
Source : http://www.lemonde.fr/ 27
septembre 2016
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