vendredi 1 novembre 2013

CRIMES DE GUERRE DE LA CRISE IVOIRIENNE : NE PAS OUBLIER LA PART DE LA FRANCE, NI CELLE DE L’ONUCI

Qui va payer
pour les crimes de la France et de l'Onuci ?
« J’étais avec d’autres personnes et Gbagbo venait juste de nous accompagner au portail. Au moment où on s’apprêtait à monter dans la voiture, l’attaque de sa résidence a commencé et un obus est tombé dans la foule des jeunes amassés dans la cour. »
Moïse Lida Kouassi

Bien souvent, dans nos écrits, dans les discours officiels et des causeries privées, relativement aux crimes de sang et crimes de guerre liés à la crise ivoirienne, on passe sous silence les tueries perpétrées par la Force française Licorne et les Casques bleus de l’Onuci. Et malheureusement, cet oubli s’étend aujourd’hui, à l’heure des comptes, jusqu’à la Cour pénale internationale (Cpi), qui s’acharne sur le camp Gbagbo. Comme l’histoire le retient, la crise ivoirienne a véritablement éclaté le 19 septembre 2002. Ce, avec la tentative de coup d’Etat muée en rébellion sanglante du Mpci devenue Forces nouvelles, l’ex-rébellion dirigée par Guillaume Soro pour le compte d’Alassane Ouattara. Dès lors, le nombre de morts de cette crise va nécessairement au-delà du chiffre approximatif de 3000 liés au conflit postélectoral de 2010-2011, mais depuis 2002. Combien sont-ils donc en réalité ? Dix mille ? Quinze mille ? Vingt mille depuis 2002 ? Personne ne pourrait parier sur le chiffre exact de cette hécatombe. Mais le plus important à savoir dans notre démarche, c’est que parmi ces milliers de morts, il y a ceux qui le sont du fait de la Force française Licorne et des Casques bleus de l’Onu, sous l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire, l’Onuci. 
Pourquoi donc, dans l’établissement des responsabilités, les gens disent toujours « le camp Ouattara et le camp Gbagbo », comme s’il n’y a eu que ces deux camps. Même si la Licorne et l’Onuci ont combattu et tué aux côtés du camp Ouattara, ce sont tout de même des forces étrangères dont il convient de noter la responsabilité à part entière, dans les massacres des Ivoiriens. Rappelons qu’il y a eu trois groupes d’intervenant dans ce conflit. Lorsque le pays a été attaqué en 2002, il y avait d’un côté, la rébellion et de l’autre, l’armée républicaine qui défendait les institutions de la République, c’est-à-dire la Côte d’Ivoire. La période de 2002 à 2010 a été ponctuée de tentatives de coup d’Etat et d’expression massive de la violence politique. Il y a eu donc plusieurs événements que la conscience humaine et collective ne saurait ignorer. Dont la tentative de coup d’Etat de l’Armée française Licorne, qui a tué plus de 60 personnes parmi des manifestants pacifiques, devant l’Hôtel Ivoire et sur les ponts à Abidjan, en novembre 2004. Pour le même événement, lorsque l’Armée française quittait l’Ouest pour Abidjan, ses chars avaient marché sur des populations civiles, à  Duékoué. Bien avant les élections, l’Onuci a impunément tué des civils à Guiglo. Pendant le conflit, en mars 2011, avec ses Mi-24, l’Onuci a bombardé les populations soutenant Laurent Gbagbo, à Duékoué. De même, à Abidjan, l’Armée française et l’Onuci, à l’aide des hélicos, ont bombardé la résidence du Président Gbagbo et tué la foule qui s’était massée devant le domicile. Ceux qui ont fait ce massacre avec des hélicos, n’étaient ni le camp Gbagbo, ni le camp Ouattara proprement dit, c’est-à-dire les rebelles de Soro. C’étaient la Licorne et l’Onuci. Quand l’on parle donc de trois mille morts, de cinq mille morts, etc., où est la part de ces deux : la Licorne et l’Onuci ?  Au nom de quoi, devrait-on mettre ces morts en pertes et profits ? Des gens évoquent la résolution du Conseil de sécurité sous laquelle ces deux complices auraient accompli leurs œuvres. Mais le Conseil de sécurité les a autorisés à détruire les sites militaires et uniquement les sites militaires, et non à bombarder les civils rassemblés devant la résidence du chef de l’Etat. Or, ils l’ont fait et il y a eu des milliers des morts. En ne parlant que des camps Ouattara et Gbagbo, on fait croire que l’Armée française et l’Onu n’ont pas tué en Côte d’Ivoire, dans cette crise pour laquelle Laurent Gbagbo seul se trouve devant la Cpi. 
Pourquoi la Cpi n’en tient-elle pas compte ? Aujourd’hui, on voit une personnalité comme Kofi Annan à Abidjan, parler de réconciliation, comme si cet homme n’avait pas pris part au jeu. Or, avant l’avènement de Ban Ki-moon, c’était lui, Kofi Annan, le secrétaire général des Nations Unies, dressé contre Gbagbo pour Ouattara. On peut l’affirmer, l’Armée française et l’Onu n’ont pas été impartiales dans la crise ivoirienne. La Cpi doit inculper Jacques Chirac, l’ancien président français, sous qui la Licorne a tiré des roquettes sur des manifestants aux mains nues et tué plus de 60 Ivoiriens en novembre 2004, lorsque celle-ci voulait renverser Gbagbo. Elle doit également auditionner son successeur, Nicolas Sarkozy, qui a pratiquement forcé la main au Conseil de sécurité de l’Onu pour bombarder en Côte d’Ivoire. La Cpi doit incriminer aussi Kofi Annan et Ban Ki-moon pour leurs rôles dans le massacre, à divers moments, des Ivoiriens. Il y a eu beaucoup de morts en Côte d’Ivoire et la part de la Licorne et de l’Onuci a trop souvent été oubliée. Ce n’est pas normal. 
Car n’oublions pas que selon un membre du Commando invisible d’Ib, Séméfia Sékou ou « colonel Sékouba » dans l’ouvrage Le Commandant invisible raconte la bataille d’Abidjan (L’Harmattan, juin 2012), « C’est l’ONUCI même qui nous (rébellion) soutenait. Même pour pouvoir envahir Abidjan, on a passé des pactes avec eux ; ils ont fait retourner 700 de leurs vrais soldats qu’on a remplacés par 700 de nos éléments. Et nos éléments utilisaient les noms et grades des 700 qu’on avait renvoyés dans leurs différents pays pour un repos forcé et payé. Ayant infiltré l’effectif de l’ONUCI, il était plus aisé pour nous de progresser.» (Page 46). Concernant la Licorne, il avait expliqué à la page 37 : « Mais comme on n’arrivait pas à déloger les hommes du camp d’Abobo, on avait demandé des renforts en armes lourdes que la Licorne nous avait promises ». Question : « Qui vous a promis ? » Réponse : « La Force Licorne. C’est lorsque nous avons reçu ces armes lourdes que nous avons commencé à attaquer le camp Commando d’Abobo. On attaquait aussi les éléments des forces loyalistes qui habitaient dans la commune d’Abobo. » Question : « Et comment procédiez-vous ; certains mettaient le feu, d’autres…? » Réponse : « Il y avait deux ou trois étages où habitaient des loyalistes, des forces pro-Gbagbo au niveau du village Anonkoua Kouté ; c’est avec les armes qu’on nous avait données qu’on a pu attaquer ces étages, brûler plusieurs personnes vives là-bas.» Alors, lorsqu’on est trempé jusqu’à ce niveau, on doit se retrouver au banc des accusés d’une Cour de justice internationale et non jouer les saints parmi les innocents. Parce que la Cpi ne doit pas avoir une attitude sélective face à ce témoignage du commandant du théâtre des opérations du Commando invisible d’Ibrahim Coulibaly dit Ib, qui a été coupable d’atrocités à Abobo pendant la guerre. 

Germain Séhoué
Titre original : « Crimes de sang de la crise ivoirienne : la part de la Force Licorne et de l’Onuci trop souvent oubliée. » 

 
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Source : Le Temps 28 octobre 2013

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