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Issiaka Ouattara, dit "Wattao"
(au centre)
(Reuters)
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Le 6 novembre dernier, sur France Culture, le journaliste
Emmanuel Leclère a dressé un portrait surréaliste d’Issiaka Ouattara, dit «
Wattao », l’un des personnages centraux de la crise ivoirienne depuis la
rébellion issue du Coup d’Etat manqué du 19 septembre 2002 en Côte d’Ivoire.
Quand j’ai écouté la première fois ce billet «
culturel » (?!), j’ai d’abord fait le rapprochement avec le récent reportage de
Christophe Hondelatte où ce même Wattao joue la « vedette américaine » en
exposant sans vergogne sa « belle gueule » et son « bling-bling » comme le
répète Emmanuel Leclère. Puis je me suis posé la question : pourquoi une telle
médiatisation d’un personnage falot qui ne doit sa « réussite » qu’à ses
rapines de soudard éclaboussé du sang de ses compatriotes ?
En effet Wattao n’est ni un « ancien chef de
guerre », ni un « ex-chef rebelle efficace », ni un « bon commerçant dioula » (pour
les connaisseurs, c’est un pléonasme)…
Non Wattao est un prédateur nourri de mutineries,
de désertions et de rébellions, bras armé des vrais profiteurs de la longue
agonie de la démocratie en Côte d’Ivoire, qui n’aurait jamais atteint le sommet
du Pouvoir sans l’intervention militaire française en 2011, comme le reconnaît
benoîtement Monsieur Leclère.
Wattao est au niveau des autres chiens de guerre
qui ont sévi et continuent de sévir un peu partout en Afrique, le plus souvent «
commandités » par des mains « obscures » mais expertes à manipuler des pauvres
bougres vite enivrés par un pouvoir « inespéré » et qui finit, toujours, par les
dévorer.
J’ai connu Wattao petit kakaba du Coup d’Etat
contre Bédié en 1999. Il errait dans les couloirs de la Primature (où le
Général Guéi avait pris ses quartiers au début de la Transition). Il réapparait
au cours du Coup d’Etat manqué du 19 septembre 2002, après avoir fui au Burkina
à la suite de l’échec d’une mutinerie anti-Guéi en 2000. Il fait rapidement
partie des Commandants de Zones (les « Com’Zones ») mis en place par la
rébellion qui s’installe dans le Nord du pays après l’échec du Coup lui-même.
Il dirige la « compagnie »Anaconda (sans doute dénommée ainsi d’après son
surnom personnel : Saha Bélé Bélé, le gros serpent en dioula). Maître de la
zone de Seguela, il organise tous les trafics possibles (or, diamant, braquages
des agences de la BCEAO…) et n’hésite
pas à étendre son territoire en « annexant » la zone de son complice et
néanmoins adversaire « en affaires », Koné Zacharia, lors de la disgrâce de
celui-ci prononcée par Guillaume Soro, après une énième exaction mal venue dans
le contexte du rapprochement « tactique » entamé par le leader des rebelles
qui, on le sait aujourd’hui, n’était que le début de la machination qui devait conduire
au renversement du président Gbagbo par tous les moyens.
Ainsi, lors de la cérémonie pour la Fête Nationale
le 7 aout 2007, le « Commandant » Wattao exhibe son bel uniforme d’officier et
s’affiche, dans le sillage du président Gbagbo, entre le Général Mangou, Chef
d’Etat-major des Armées et le Général Clément-Bollée, patron de la Force
Licorne (celui-là même que Ouattara vient d’appeler pour « tenter » de recréer
une armée nationale digne de ce nom…).
Wattao et ses coreligionnaires sont de retour dans
la République. Mais, dès le début de la crise postélectorale, lui et les autres
retournent à leur destin : mercenaires sans foi ni loi, à la tête d’une horde hétéroclite
chargée de prendre Abidjan après avoir semé terreur et désolation dans tout le
pays. Malgré l’apport logistique et l’ordonnancement tactique mis au point par
les « donneurs d’ordre » occidentaux, ils seront mis en déroute les 31 mars et
1er avril 2011, contraints de se retirer de la majeure partie de la ville. Et si
la Force Licorne n’avait pas, comme le dit Emmanuel Leclère, « fait le ménage
», Wattao ne serait jamais arrivé à la Résidence le 11 avril (où, d’ailleurs,
ni lui, ni personne, n’a « passé » les menottes au président Gbagbo).
Il fallait rappeler tout cela pour faire
comprendre la réalité de la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui. Plus de 30 mois se
sont écoulés depuis que François Fillon, Premier Ministre à l’époque, a déclaré
devant l’Assemblée Nationale française qu’il « était fier que l’armée française
ait participé au rétablissement de la démocratie en Côte d’Ivoire ». Quelle
démocratie ? Celle qui érige en maitres du jeu des chefs de bandes qui
n’obéissent qu’à leurs propres lois, celle qui piétine les libertés
fondamentales au gré de ses humeurs, celle qui laisse mourir en prison les uns
et contraint à l’exil les autres, celle qui pille l’économie nationale et étale
insolemment le fruit de ses méfaits face à une population exsangue et meurtrie
?
Pour quelques observateurs des médias internationaux,
des « sujets » comme Wattao sont, peut-être, une « source d’inspiration » pour
des reportages « chocs », mais pour l’immense majorité des Ivoiriennes et des
Ivoiriens, ainsi que pour tous ceux qui sont attachés au respect du Droit et
des Libertés, où qu’ils soient, c’est une forme d’« insulte à l’intelligence ».
En effet, alors que le Procureur à la Cour Pénale
Internationale (CPI) n’en finit plus d’essayer de se justifier dans sa
tentative désespérée de trouver des charges contre le président Gbagbo, la Côte
d’Ivoire s’enfonce, jour après jour, dans une spirale infernale. Aujourd’hui le
pays du président Houphouët, père du « miracle ivoirien », le pays du président
Gbagbo, qui avait réussi à atteindre, dans un climat de guerre larvée et de
partition du pays, le Point de Décision de l’initiative PPTE (que Ouattara s’est
« adjugé », comme beaucoup d’autres réalisations entamées sous le président Gbagbo),
ce pays-phare de l’Afrique, vient tendre piteusement la main, ici et là, pour
faire « ses fins de mois »…. !
Il est temps que la « communauté internationale »,
ou du moins ceux qui s’en prévalent, comprennent enfin qu’une Nation ne peut
pas être l’otage de « héros » de mauvais films confortés par la lâcheté d’une
petite partie de la classe politique prête à toutes les compromissions pour
assouvir une soif effrénée d’argent et de pouvoir. La Côte d’Ivoire est une grande
nation qui ne se reconnaît pas dans des quelconques Wattao et qui aspire à se
développer dans l’harmonie et la concorde, dans le respect des convictions des
uns et des autres, dans le cadre d’un débat démocratique libre et pacifique.
L’immense espoir qui commence à naître, dans le
sillage des actions menées à travers le pays par les dirigeants du FPI, dans
l’attente de l’élargissement, indispensable désormais du président Gbagbo, préfigure
cette Côte d’Ivoire de demain où personne, quel que soient ses choix politiques
ou religieux, ne sera exclu de la communauté nationale.
Non Wattao n’est pas le «Sheriff» d’Abidjan mais,
plutôt, son Dalton.
Bernard Houdin, 11 novembre 2013.
en maraude
dans le web
Sous cette rubrique, nous vous
proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source : Le Nouveau Courrier 12 Novembre 2013
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