Un système bancaire cousu sur
mesure*
Tout système financier repose sur
deux piliers essentiels. Ce sont la monnaie et le système bancaire qui la
porte. Celui qui assure le contrôle de ces deux leviers contrôle tout le
système financier et partant, toute la structure économique qui s'en nourrit.
C'est en cela qu’il faut comprendre la réticence américaine de voir le Fonds
monétaire international (Fmi) et le groupe de la Banque mondiale placés sous
l'autorité de l'Assemblée générale Nations Unies. Sortis grands vainqueurs de
la Deuxième Guerre mondiale, et devenus donc « nouveau cœur du monde »[1], les Américains
n'entendent pas saborder leur écrasante hégémonie. Ils savent que le monde doit
être reconstruit et ils entendent y jouer un rôle de premier plan.
Depuis 1922,
le Dollar américain domine la Livre anglaise et s'impose désormais comme devise
de référence dans les transactions commerciales internationales. Les Etats-Unis
d'Amérique se donnent les moyens d'imposer leurs règles dans le nouveau
mécanisme financier international en élaboration. Non seulement ils refusent
que les institutions issues des assises de Bretton Woods soient contrôlées par
l'Assemblée Générale où chaque pays membre de l'Onu ne pèse pas plus que sa seule
voix. Mieux, ils se donnent un droit de véto sur les délibérations de ces
structures. En contrôlant le système financier, ils prennent le contrôle de
facto de toute l’économie du monde. Ils contrôlent et dérèglent le système
monétaire international comme ils l'entendent. Et quand certaines de leurs
décisions concernant le dollar inquiètent le monde, leur réponse est sèche. «The dollar is our currenty, and your
problem » (le dollar est notre devise
et votre problème), dixit John Connaly, secrétaire d’Etat au Trésor américain,
en 1971.
Dans son empire africain, la
France gère une zone monétaire exclusive. Elle élabore et y implémente le système
bancaire qui complète son dispositif de contrôle.
Le dispositif bancaire mis en
place est une structure pyramidale. Le sommet est occupé par la Banque de
France et le Trésor français. A l'échelon immédiatement inférieur, l'on trouve
les deux banques centrales que sont la Banque centrale des Etats de l'Afrique
de l'Ouest (Bceao) et la Banque centrale des Etats de l'Afrique centrale (Bceac).
Au bas de la structure se trouvent les banques commerciales. La particularité
de cette structure est qu'elle est entièrement contrôlée du sommet à la base
par la France.
La structure est dirigée au
sommet par le gouvernement français par le biais de son ministre en charge de
l'économie ou du budget et le gouverneur de la Banque France. C'est l'Etat
français qui détermine le sort du FCfa. En 1994, la décision de dévaluer le
FCfa par rapport au FF a été prise par le gouvernement d'Edouard Balladur et
imposée aux Africains. L'Etat français est maître du jeu. Aucune décision
concernant par exemple le taux d'intérêt directeur ne peut se prendre sans
l'aval de la Banque France. Lorsqu'en 1973, le groupe des Dix[2] proclame l'abandon du
taux de parité fixe et l'adoption du régime des changes, le gouvernement
français prend une loi[3] pour interdire les
prêts consentis à l'Etat, au taux zéro, obligeant ainsi l'Etat à recourir, pour
ses besoins de financement, aux banques commerciales. Cette décision s'applique
automatiquement aux Etats africains dans leurs rapports avec leurs différentes
banques centrales. L'une des causes de l'endettement des pays africains se
trouve dans cette décision dont l'opportunité n'a pas été suffisamment
analysée. Au final, cette décision pénalisante pour les Etats a des effets a
fortiori plus dramatiques pour les Etats faibles. L'Etat reste un macro-acteur
économique la solidité et sa survie conditionnent l'existence des privées
quelle que soit leur importance. En
obligeant les Etats à financer leur déficit sur le marché, l’on met l'Etat dans
des conditions de compétition identiques à celles des entreprises privées alors
que, par la nature de leurs missions, celles-ci se distinguent de celui-là
plusieurs niveaux. L'on se trouve dans une situation iconoclaste où la banque
centrale prête aux banques commerciales à un taux réduit, et celles-ci à leur
tour prêtent à l'Etat à des taux largement plus élevés. Ensuite des agences de
notations, une sorte de censeur mettent les Etats sous contrôle en leur
attribuant des satisfécits ou des blâmes sur leur gestion. C'est l'une des
grandes absurdités du capitalisme financier. L'Etat, le régulateur de f économie est mis sous
contrôle par le marché financier. C’est finalement une oligarchie se cachant
derrière le vocable flou du marché qui contrôle le sort des peuples. Et quand
ces banques, par leur gestion hasardeuse et spéculative et leurs prises de
positions hautement risquées sont au bord de la banqueroute, c'est bien l'Etat,
au nom de la nation, qui vient au secours des banques. Preuve que l'Etat ne
peut être regardé comme n'importe quel acteur économique. La crise des banques
californiennes de 2008 connue sous le vocable de la crise des « subprimes »,
dont l'onde de choc s'est ressentie à toutes les extrémités de la terre, exige
un autre regard sur le fonctionnement de la finance internationale. L'Etat ne
peut plus continuer de jouer les éboueurs de la finance internationale qui, par
ses mécanismes, contraste l'économie réelle du monde, et met une pression
énorme sur les Etats qui sont obligés de faire face aux difficultés et aux
craintes des populations.
Depuis donc plusieurs années, les
pauvres Etats africains sont soumis à la contrainte de leurs financements sur
le marché des capitaux. Et c'est là où la perversité atteint son point
culminant dans la zone monétaire sous contrôle de la France.
Dans cette zone, le marché
bancaire est dominé de façon écrasante par les banques françaises. La Bnp et la
Société générale y exercent un quasi-monopole. Dans certains pays, ces banques
contrôlent plus des deux tiers du marché. Dans une période très récente, le
marché bancaire de la Côte d'ivoire était partagé entre quatre banques
françaises.
La Bnp détenait la quasi-totalité
du capital de la Banque internationale pour le commerce et l'industrie de Côte
d'Ivoire (Bicici). Idem pour la Société générale française avec la Société
générale des banques de Côte d'Ivoire (Sgbci) qui y détient encore le plus
grand actif. Le Crédit lyonnais contrôlait la Société ivoirienne des banques
(Sib). Et le groupe franco-belge, la Belgolaise assurait le contrôle de la
Banque pour l'investissement de l'Afrique de l’Ouest (Biao).
Le schéma était le même d'un pays
à un autre. Seules les raisons sociales assuraient une certaine adaptation d'un
pays à l'autre. Les banques à capitaux africains sont récentes dans la zone
Cfa. Même là encore, à partir du moment où toutes les deux banques centrales de
la zone fonctionnent comme de simples sous-traitants de la Banque de France, presque
toutes les opérations à l'international
importantes se dénouent à Paris. Dans ces conditions, les banques africaines non françaises sont obligées
d'avoir des correspondants sur la place de Paris.
Finalement, les Etats africains
ne peuvent mobiliser en interne des capitaux que sur un marché contrôlé presque
intégralement par les banques françaises. C'est pourquoi le gouvernement français
n'a eu aucune peine à faire fermer les banques françaises en Côte d'ivoire à
compter du 7 février 2011, au mépris de toutes les règles, à la fois, de droit
et de bienséance. Une situation inédite dont les conséquences n'ont pas encore
été évaluées. Personne ne se soucie de ces nombreuses personnes qui ont perdu
leur vie par cette décision qui reste à tout point de vue, une violation grave
des droits de l'Homme, si bien sûr, ce terme signifie la même chose pour tous
les pays et pour tous les peuples.
Même sur le plan du droit
international, cette mesure marque un recul grave dans le système de sanctions
que l'Onu a adopté depuis la guerre du Golfe.
En effet, pendant cette guerre,
l'on s'est rendu compte du caractère arbitraire des sanctions économiques de
portée générale qui étaient appliquées à certains pays. Finalement, ce sont les
populations civiles innocentes et surtout les personnes faibles (femmes,
enfants et vielles personnes), qui en payaient le lourd tribut. C'est ce qui a
justifié que l'Onu ait adopté pendant la première guerre d'Irak, la solution de
nourriture contre pétrole. Malgré l'embargo, l'Onu autorisait la vente du
pétrole irakien, et le produit de vente était destiné à acheter seulement la
nourriture et les produits de premières nécessités, notamment, les médicaments.
Malgré les abus constatés dans cette opération, force est d'admettre qu'elle a
permis de sauver la vie d'innocentes personnes.
Dans le cadre de la Côte
d'ivoire, cette règle qui fait désormais jurisprudence, a été totalement
ignorée. L'on est revenu sur l'ancien système de sanctions généralisées.
L'embargo décrété par l'Union européenne sur la Côte d'ivoire atteste de ce que
le droit international reste totalement soumis aux intérêts des grandes
puissances.
Sur le plan même du droit
interne, la fermeture des banques
décidée par le gouvernement français
était totalement illégale et inacceptable.
L'activité bancaire est régie par la loi 90-589 du 25 juillet 1990,
portant réglementation bancaire en Côte d'ivoire. Ce texte de loi fait partie
des textes phares que le Premier ministre d'alors, le Docteur Alassane Dramane
Ouattara et son gouvernement avaient judicieusement pris pour relancer
l'économie ivoirienne. Ce texte, avec celui de l'aménagement du dispositif
fiscal sur les droits d'enregistrement des constitutions, des fusions et des
dissolutions de sociétés, constituaient les deux piliers essentiels pour
relancer les investissements qui s’étaient sérieusement ralentis du fait de la
conjoncture économique particulièrement difficile.
La loi portant réglementation de
l'activité bancaire place les banques sous la tutelle totale du ministre en charge
des finances. Cette tutelle est perceptible du premier article au dernier de la
loi. Deux articles particuliers méritent d'être lus. Ce sont les articles 29 et
30.
L’article 29 rappelle que :
« Sont subordonnées à l'autorisation préalable ministre des finances,
les opérations suivantes réalisées par les banques et les établissements
financiers ayant leur siège en Côte d’Ivoire :
tout transfert du siège social à l'étranger
;
toute dissolution anticipée ».
Quant à l’article 30, il précise
que :
« Sont également subordonnées à l'autorisation préalable du Ministre
des Finances (...) toute mise en gérance ou cessation de l'ensemble de leurs
activités en Côte d’Ivoire ».
Ces banques n'ont même pas eu l'élégance d'informer le ministre
des Finances de leurs actes à plus forte raison, lui en demander l'autorisation
préalable telle que prescrite par les dispositions pertinentes de la loi
ci-dessus rappelée.
Elles ne pouvaient non plus
avancer la force majeure. Cet argument serait totalement inopérant d'autant plus
que le gouvernement avait déjà trouvé
une solution ensemble avec les banques, pour contourner les difficultés
purement d’ordre technique que la décision de fermeture de ses agences
ivoiriennes prise par la Bceao avait induites. La compensation manuelle était
en marche et le mode opératoire avait été déterminé par les banques
ellesmêmes, fortes de leur expérience dans ce domaine. Il faut bien savoir que
l'informatisation du règlement des soldes des compensations date seulement de
2004. L'on a voulu faire d'un problème purement technique, une question
préjudicielle, alors qu'il était facilement contournable. Sur cette affaire, la
Bicici a joué à fond la carte de la déstabilisation. Elle s'était dressée seule
contre tous. Il n'est donc pas surprenant qu'elle fût la première à fermer ses
portes.
Bien avant, elle avait fermé ses
portes le 23 décembre 2010, pour empêcher ses clients fonctionnaires d'avoir
accès à leurs comptes sur lesquels l'Etat avait viré les salaires. Une action
en justice initiée par les syndicats des fonctionnaires avaient prospéré au
niveau du Tribunal d'Abidjan. La banque a été condamnée par une décision
devenue définitive au paiement de dommages et intérêts aux syndicats des
fonctionnaires à hauteur de 20 milliards de FCfa. Depuis le 11 avril 2011, le
dossier est suivi directement au niveau de la Chancellerie.
Pour les habitués du microcosme
politique français, il n'est pas non plus surprenant que ce soit la Bicici qui
ait porté en avant-poste, les instructions de l'Elysée en cette période.
Sur le plan purement économique,
cette mesure de fermeture est un acte irresponsable.
Dans un pays à faible taux de
bancarisation, la fermeture des banques reste un très mauvais signal donné aux
populations. Déjà, les populations ivoiriennes gardent une certaine méfiance
vis-à-vis des banques. C'est pourquoi, l'ouverture des banques par le
gouvernement était le seul acte qui puisse rassurer la part congrue de la
population cliente des banques.
Il y a des questions sur
lesquelles la fibre patriotique, et le respect de l'Etat doivent gouverner les
actions de tous ceux qui se battent pour conquérir le pouvoir d'Etat. Ces
questions relèvent de la morale politique. Un modus vivendi doit être observé à
ce niveau. La bataille politique pour l'exercice du pouvoir d'Etat est en
lui-même l'expression d'un amour pour sa patrie et pour le peuple. C'est cet
amour qui fonde la morale politique. Cet amour ne peut tolérer certains actes,
dont notamment, la défiance vis-à-vis de
l'Etat. Ce qui ne peut être toléré ailleurs, ne doit nullement l'être en
Afrique. La fermeture des banques ordonnée depuis Paris reste un acte raciste
et impérialiste inacceptable qui bafoue la
morale politique. Rappelons qu'après la Deuxième guerre mondiale, le
général de Gaulle a nationalisé le Crédit lyonnais et la société de construction automobile
Renault. Ces deux entreprises phares françaises avaient collaboré avec
l’occupant allemand. C'était inacceptable pour la morale française que leurs
grandes entreprises puissent collaborer avec l’ennemi. Ce sont ces genres de
mesures qui construisent un peuple et une nation, autour des valeurs de
l'honneur et de la dignité.
La mise sous contrôle des Etats
ne s'arrête pas là. Le financement du secteur privé est également sous contrôle
de Paris.
En contrôlant plus des deux tiers
du marché bancaire, les banques françaises influencent énormément la politique
du crédit à l'investissement du secteur privé.
Pour mieux comprendre cette
réalité, il semble opportun d'ouvrir une lucarne sur les règles qui gouvernent
certains principes de banque dont notamment la règle très contestée bien que
nécessaire de la prudence. Ces règles sont dictées par la Banque des règlements
internationaux. Cette institution planétaire créée en 1930 a servi d'abord pour
rééchelonner les réparations imposées par le traité de Versailles à l’Allemagne
après sa défaite pendant la première grande guerre. C'est l'une des rares
institutions internationales qui ne dépend pas de l'Onu. Cette banque regroupe
tous les gouverneurs des banques centrales du monde entier qui s'y réunissent
pour déterminer les différents ratios prudentiels des banques. Ses réunions
prennent les titres de Bâle, la ville Suisse qui accueille ce sommet planétaire
des gouverneurs. Après Bâle I en 1988, puis Bâle II en 2004, Bâle III est en
préparation. En principe, ces réunions sont censées arrêter les règles qui
harmoniseraient la pratique bancaire sur toute la planète. Mais à
l'observation, chaque grand pays impose dans sa zone d'influence ses propres
règles sinon, le monde n'aurait pas connu la crise bancaire de 2008 essentiellement provoquée par des prises de
positions très risquées, alimentées par la spéculation sans limite.
Dans sa zone d'influence, la
France impose ses propres règles. Evoluant dans un environnement non
concurrentiel, les banques françaises opérant sur le marché africain ne veulent
prendre aucun risque. Pourquoi le feraient-elles alors que l'essentiel de leurs
produits est garanti par des opérations potables expurgées de tous les risques
?
En Côte d'ivoire par exemple,
autour de 40 % du produit net bancaire (PNB) de certaines banques proviennent
des opérations avec les fonctionnaires et agents de l'Etat, les éternels paumés
à qui ces banques consentent des prêts de soudure à des taux plus élevés que ceux
qui sont appliqués dans la métropole à ces genres d'opérations. Ce sont des
opérations sans risque et qui sont bien sûr rentables.
Cette rente est complétée par 45
% du PNB lesdites banques issues des opérations d'exportation du binôme
café/cacao.
Egalement des opérations sans
risques puisqu'elles sont contrôlées de bout en bout par les banques
elles-mêmes. En effet, en début de chaque campagne cacaoyère, les banques
financent les achats des exportateurs qui sont dans la quasi-totalité des
multinationales dont la solvabilité est garantie par ailleurs. Pour les petits
exportateurs locaux, c'est la croix et la bannière. Période de grand stress
pour eux, puisqu'ils doivent honorer certains engagements déjà pris auprès de
leurs clients. Mais pour les multinationales, il s'agit de simples formalités.
Les achats ainsi financés par les banques sont immédiatement nantis par elles.
Ce nantissement n'est levé sur un lot que lorsque l'exportateur produit la
preuve par le crédit documentaire, que le produit de la vente de ce lot sera
versé sur un compte bancaire que la banque elle-même aura désigné.
Généralement, il s'agit de compte ouvert dans les maisons mères des filiales opérant en Côte d'ivoire. Par cette
procédure, les banques s'assurent du remboursement des sommes qu'elles ont
engagées. Tous les frais liés à cette opération et supportés par l'exportateur,
qui vont des intérêts sur les prêts aux différentes autres commissions,
assurent des produits purs pour les banques. Les 15 % restant de leurs produits
sont partagés par les ressources générées par les autres opérations qui
englobent les quelques rares crédits à l'investissement que ces banques
consentent aux autres activités menées généralement par des entrepreneurs
expatriés.
Certains pans entiers de
l'économie sont exclus des financements des banques. Les prêts au logement
n'existent quasiment pas. Ces prêts qui sont généralement à long terme sont peu
rentables là où des opérations liées à exportation du cacao génèrent avec
peu d'efforts, des ressources faramineuses.
Pour mieux assoir sa domination
sur sa zone monétaire, la France l'a subdivisée en deux. L'on a voulu attribuer
scission intervenue en 1987 à l'animosité que se nourrissaient mutuellement les
deux gouverneurs des deux banques. Cette situation qui dure depuis plus de
vingt ans peut s'expliquer par les sautes d'humeurs de deux fonctionnaires, qui
du reste, ne sont plus en activité. Les sous-zones sont tenues par deux banques
centrales qui sont liées entre elles, au sommet, par la Banque de France,
formant une sorte de triangle ouvert par le bas. Les opérations entre les deux
sous-zones se dénouent à Paris. Il n’est donc pas possible pour un Gabonais de
transférer de l’argent directement de Libreville à Dakar. L'opération, pour son
dénouement, doit absolument transiter par Paris si elle s'effectue entre deux
banques qui ne sont pas liées entre
elles. Cette compartimentation renforce le contrôle de la France sur les flux
financiers entre les deux zones.
En outre elle rend ces opérations
onéreuses pour le donneur d'ordre, puisqu'une
partie des commissions qu'il supporte à l'occasion de cette opération
est encaissée par la Banque de France.
Le parapluie français qui couvre
les banques françaises opérant en Afrique francophone, leur confère une grande
immunité. Ce parapluie limite le pouvoir des institutions le contrôle sur ces
banques. Certaines injonctions de la commission bancaire de l'Union économique
et monétaire ouest-africaine (Uemoa) sont sans effets sur ces banques. C. Onana
observe : « En 2010, par trois fois, cette commission a exigé sans succès de la
Bicici le rapatriement de son dépôt de plus de 30 milliards de Francs Cfa (450
millions d'euros) effectué trois ans plus tôt à la Bnp »[4]
Ce parapluie leur accorde
également un quasimonopole sur les opérations boursières qui sont les
opérations par lesquelles, les entreprises se financent sur le marché des
capitaux privés.
La bourse est un puissant moyen
de collecte de l'épargne des particuliers pour financer l'économie de la Côte
d'Ivoire. Les activités boursières sont menées en Côte d'Ivoire par la Bourse
régionale des valeurs monétaires (Brvm).[5] L'entrée en bourse
ainsi que les opérations de gestion des portefeuilles des actions des
entreprises qui y sont cotées, sont menées par les intermédiaires (SGl).[6] Deux de ces
intermédiaires se partagent la quasi-totalité des sociétés cotées à la Brvm. Ce
sont :
·
La Société générale de bourse
(Sogebourse) qui assure la gestion du portefeuille de 17 sociétés.
·
La Banque internationale pour le
commerce et de l'industrie de bourse (Bicibourse) qui assure celle de 14 sociétés.
Donc sur les 33 sociétés cotées à
la Brvm, ces deux intermédiaires gèrent les portefeuilles de 31. Est-il besoin
de rappeler que la Sogebourse est filiale de la Sgbci et la Bicibourse, filiale
de la Bicici ?
Ce monopole s'explique par deux
raisons essentielles :
La première, ces deux banques ont
les plus vastes réseaux bancaires qui couvrent tout l'espace de l'Uemoa. Elles
ont donc
une capacité opérationnelle plus
élevée que les autres établissements bancaires.
La seconde tient de ce que la
majorité des sociétés cotées sont tenues par des capitaux européens notamment
français. Il y a donc là un bel esprit de solidarité.
L'une des absurdités de la crise
ivoirienne, c'est que des personnes bien pensantes ont voulu délocaliser les
activités de la Brvm dans un autre pays. Cet acte était un acte de défiance de
trop pour le peuple ivoirien. Parce que les 33 sociétés qui y sont cotées,
seule une seule n'est pas de droit ivoirien. Il s'agit de la Société nationale
de télécommunication (Sonatel), une société de droit sénégalais qui est
contrôlée par le groupe français Orange».[7] Le respect que tout
responsable politique doit à son peuple exige qu'un tel acte ne soit toléré
pour aucune raison.
La question monétaire est au
centre des enjeux du développement. Aujourd'hui, une certaine bipolarisation du
monde commence à prendre forme avec l'avènement Brics.[8]
Les Brics qui regroupent certains pays émergents autour de la Chine font
entendre de plus en plus leur voix. La Chine, la Russie, l'Inde, le Brésil,
l'Afrique Sud, pour ne citer que ceux-là ont compris qu'il faut donner une
assise monétaire et bancaire à leurs ambitions politiques. Ils ont déjà admis
durant leurs assises de mars 2013, à Durban, en Afrique du Sud, le principe de
la création d'une banque d'investissement, véritable doublon de la Bird ou
encore Banque mondiale. Ils ont déjà obtenu certaines positions de premier rang
dans les organes de décision du Fonds monétaire international. Leur menace de
créer il y a un an, un fond monétaire qui leur soit propre a fait bouger les
lignes conservatrices de l'ordre de 1945. Ces pays font plus du tiers de la
population mondiale. Consommer l'existence de deux gendarmes de la gestion
monétaire concurrents est un risque majeur que les Occidentaux ne peuvent
facilement prendre. L'idée de création de leur propre banque d'investissement par
les Brics montre clairement que les enjeux politiques sont toujours portés par
des moyens financiers conséquents.
En gérant ces questions par
sous-traitance, les Etats d'Afrique francophone se sont dessaisis d'un levier
important du contrôle de leur destin. La France a une mainmise totale sur sa
zone d'influence. Elle contrôle et oriente la politique monétaire et bancaire
au gré de ses intérêts. Cette présence étouffante de la France dans cette vaste
zone plombe les efforts d'intégration avec les autres zones monétaires. Or, il
est constant que l'Afrique ne peut s'en sortir que par une harmonisation de
toutes ses politiques monétaires. Les barrières linguistiques ne sont pas des
raisons suffisantes pour maintenir l'émiettement des monnaies africaines. La zone
Cfa qui regroupe déjà une quinzaine d'Etats constitue un pré-requis important
dans le cheminement vers une monnaie unique. Mais tous les Etats qui ont gardé
une libre gestion de leurs monnaies ne peuvent s'accommoder d'une monnaie gérée
par une autre puissance. La suspicion que les autres Etats ont de la zone Cfa
est tout à fait légitime. L'explosion du verrou français devient donc un
impératif stratégique majeur, si la zone Cfa veut jouer la rame de propulsion
de la politique d’intégration des monnaies.
L’Afrique de l'Ouest, dans le
cadre de la Cedeao, s'est fixé l’horizon 2020 pour parvenir à une unicité
monétaire. L’enjeu est de taille pour les Etats africains, mais tourne déjà en
eau de boudin à cause notamment de ce verrou. A titre d'exemple, imaginons une
monnaie en commun usage à la Côte d'ivoire et au Ghana. Ces deux pays font plus
de 60 % du cacao mondial qui demeure l'une des économies majeures de la
planète. En contrôlant à peu près les deux tiers de la production du monde, ces
deux Etats, dans le cadre d'une économique et monétaire intégrée se donnent des
moyens renforcés pour influer les prix sur le marché. Très peu de personnes
savent que sur cette question, sous l’impulsion du président Laurent Gbagbo,
dans la discrétion, les deux pays avaient fait des progrès significatifs. Ceci
pourrait expliquer le sort qui lui a été réservé.
Une monnaie africaine forte est
loin d'être une vue de l’esprit ou un simple cas d'école. L'Afrique réunit
suffisamment d'arguments pour soutenir sa monnaie ne serait-ce qu'en utilisant
l'arme des matières premières. Cette monnaie pourrait devenir très rapidement
une devise dans le système monétaire mondial et renforcer le pouvoir des Etats
africains. Pour ce faire, ces Etats faire des toilettes intimes à l'intérieur de
chacun d’eux en inventant leur propre démocratie.
Justin Koné Katinan
*
- Extrait de « Côte d’Ivoire. L’audace de la rupture », de Justin
Koné Katinan, L’Harmattan, Paris 2013 ; pp. 62-77.
Notes
Notes
[1] - J. Attali, « Demain,
qui gouvernera le monde ? », Librairie Arthème Fayard, Paris, 2011.
[2] - Groupe des Dix : Il
s'agit en réalité d'un groupe informel de 11 Etats, créé dans les années 1960
en vue d'apporter des ressources supplémentaires au FMI à travers d'abord les
accords généraux d'emprunts, puis les nouveaux accords d'emprunts. Ce groupe se
réunit suivant ses deux composantes. G10 des ministres et des gouverneurs qui
se réunit une fois par an pendant les réunions annuelles du FMI et de la BM, et
le G10 des gouverneurs qui se réunit tous les deux mois lors des réunions du
Conseil d'administration de la Banque des règlements internationaux. Les pays
concernés sont : Allemagne, Belgique, Canada, Etats-Unis, France, Italie,
Japon, Pays-Bas, Royaume Uni, Suède, Suisse.
[3] - Loi 73-7 du 3
janvier 1973 sur la Banque de France.
[4] - C. Onana, « Côte
d'ivoire, coup d'Etat », édition Dubois, Paris, 2011.
[5] - Bourse régionale des
valeurs monétaires est née de la régionalisation de la Bourse des valeurs
d'Abidjan (Bva) qui était contrôlée totalement par la Caisse autonome
d'amortissement (Caa). Aujourd'hui, la Brvm est ouverte à tous les membres de
l'Uemoa.
[6] - Société de gestion
et d'intermédiation.
[7] - Ce groupe contrôle
quasiment toutes les sociétés nationales de télécommunication des Etats
d'Afrique noire francophone.
[8] - Groupe de pays
émergents qui comprend le Brésil, la Russie, Mode, la Chine et l'Afrique du
Sud. L'Indonésie y est presque admise. Dans ce cas, les Brics deviendront
Briics.
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